Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Luther (Martin) (suite)

À Leipzig, l’année suivante, il affirme que, quand bien même le concile espéré lui donnerait tort, il ne se rétracterait pas, soumis qu’il est à la seule autorité légitime, celle de l’Écriture ; puis il fait paraître son traité De la papauté qui est à Rome. La réponse est, le 15 juin 1520, la bulle Exsurge Domine, qui l’excommunie, dénonçant quarante et une erreurs répandues dans ses écrits.

À Louvain, le nouvel empereur, Charles Quint, préside un autodafé de ses ouvrages ; à Cologne, le nonce apostolique en organise un autre ; Luther, qui a vainement tenté de s’adresser directement au pape, brûle solennellement la bulle, le 10 décembre 1520, à Wittenberg, en présence de ses collègues de l’université, d’étudiants et de bourgeois de la ville.

Entre-temps, il a rédigé « les grands écrits réformateurs » : outre De la liberté du chrétien (Von der Freiheit eines Christenmenschen) — le mieux construit et le mieux écrit de ses ouvrages —, il a publié un appel À la noblesse chrétienne de la nation allemande sur l’amendement de la condition de chrétien (An den christlichen Adel deutscher Nation), où, conscient du rôle historique des grands, à cette heure décisive, il leur adresse une pressante invite à prendre leurs responsabilités. Face aux trois murailles édifiées par la papauté (distinction entre l’état ecclésiastique et l’état laïque ; monopole du magistère dans l’interprétation de l’Écriture ; privilège papal de la convocation du concile), il oppose trois principes évangéliques (sacerdoce universel : tous les baptisés sont prêtres de Dieu pour le monde ; intelligibilité de l’Écriture pour tout lecteur croyant au Christ ; responsabilité de tous les fidèles dans le gouvernement de l’Église, et singulièrement de ceux qui ont déjà une fonction civique). Immédiatement après, il a fait paraître Prélude sur la captivité babylonienne de l’Église (De captivitate Babylonica Ecclesiae praeludium), texte destiné aux théologiens et analysant avec une impitoyable rigueur le processus de perversion grâce auquel les sacrements sont devenus un moyen d’aliénation religieuse entre les mains du pouvoir clérical ; selon lui, il ne doit en subsister que deux, le baptême et la cène, à propos de laquelle il prend résolument parti contre la transsubstantiation. Dans le premier de ces ouvrages, il vise l’ensemble du peuple chrétien ; dans le second, les autorités politiques ; dans le troisième, les clercs ; sa ligne de bataille est bien en place. Et déjà s’esquisse ce que pourrait être une Église évangélique : la communion spirituelle de ceux qui croient au Christ, tous égaux les uns aux autres, les questions d’organisation et de structure étant secondaires.

L’affaire prend un tour définitif ; aussi, en avril 1521, profitant de ce que l’empereur vient de convoquer le Reichstag à Worms, les ennemis de Luther l’y font citer. Celui-ci part, persuadé que c’est le sort de Jan Hus qui l’attend. En deux comparutions successives, séparées par une nuit d’intense prière (Luther a souvent prié longtemps et virilement), il fait face à tous les dignitaires de l’Empire et de l’Église rassemblés. Encore une fois, il se réclame de l’Écriture seule : « J’ai été vaincu par les arguments bibliques que j’ai cités et ma conscience est liée par la Parole de Dieu. Je ne puis et ne veux rien révoquer, car il est dangereux et il n’est pas droit d’agir contre sa propre conscience. Dieu me soit en aide. Amen. » Et un peu plus tard, ayant mis en doute l’infaillibilité des conciles : « Je ne puis autrement, me voici. »

La foule, à sa sortie, lui fait un accueil triomphal ; venu avec un sauf-conduit, il quitte Worms sans être inquiété. Dans une forêt de Thuringe, il est enlevé par des cavaliers ; le 4 mai, il est au château de la Wartburg, près d’Eisenach ; le 26 mai, Charles Quint le met au ban de l’Empire.


Le médecin malgré lui

Suscitant une immense espérance, il est entré dans le jeu complexe des aspirations populaires à une libération sociale, des calculs des princes, des rapports de forces entre grands et petits États, des intrigues et mouvements de réforme qui agitent le catholicisme et vont bientôt aboutir, l’année précédant la mort de Luther, à la convocation du concile de Trente. Qu’il le veuille ou non, il est devenu un symbole, un chef, un oracle. Et pourtant, quoi qu’il en paraisse, il est un homme brisé, comme l’est aussi, malgré lui, l’unité de la chrétienté occidentale ; et il faudra attendre quatre siècles pour entreprendre, au sein du mouvement œcuménique, la réparation de la rupture qu’il n’a jamais complètement acceptée. Trop peu politique, il ne va pas tarder à faire la dure expérience que, s’il ne peut les tuer, le pouvoir tente au moins de domestiquer les prophètes.

Avant de se lancer dans une activité publique qui ne cessera qu’à sa mort, il connaît d’abord une période de retraite providentielle. Frédéric le Sage, pour le mettre à l’abri, l’a fait enlever et garder clandestinement au château de la Wartburg, en Thuringe. Presque déçu au fond de lui-même de n’avoir pas été jugé digne de subir le sort de Jan Hus, il ne tarde pas à se consacrer à une intense production littéraire : il écrit de nombreuses lettres, poursuit un commentaire des Psaumes, achève son explication du Magnificat, rédige des postilles ecclésiastiques — notes homilétiques sur les Épîtres et Évangiles de l’année liturgique, qui doivent servir de guide aux prédicateurs évangéliques —, un ouvrage sur la confession, un autre sur les vœux monastiques, d’autres sur l’abrogation des messes privées, sur la justification... Mais surtout, en moins d’un an (il demeure à la Wartburg de mai 1521 à mars 1522), sur la base du texte grec récemment publié par Érasme* (1516), il traduit le Nouveau Testament, mettant ainsi à la disposition du peuple le texte sacré, dans une langue qu’il crée avec un étonnant génie d’interprète et d’écrivain. Plus tard, il complétera son œuvre en traduisant au cours des années l’Ancien Testament, donnant ainsi une version complète de l’Écriture, qui est la meilleure, aujourd’hui encore, en langue allemande.