Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

lumineux (organes) (suite)

Il n’est pas certain que la bioluminescence ait dans tous les cas une signification biologique ; chez les Bactéries et les Protistes, il se peut que ce ne soit qu’un épiphénomène respiratoire ; chez les Crustacés, les Mollusques et les Poissons, toutefois, les photophores sont trop complexes, et leur fonctionnement trop subtil pour qu’ils n’aient pas une telle signification. On évoque des fonctions de protection, quand l’animal attaqué décharge un nuage lumineux sur lequel s’acharne le prédateur ; des fonctions de leurre chez les Poissons bathypélagiques dont le photophore est situé à l’extrémité de l’illicium pêcheur (Cératiidés) ; des fonctions d’illumination du milieu, permettant aux Poissons pourvus de bons yeux de voir les proies qu’ils éclairent ; mais la fonction la plus importante est certainement celle d’un signal sexuel ou social, permettant aux membres de la même espèce de se reconnaître et de se réunir, dans ces eaux obscures à faible densité de population.

R. B.

 E. N. Harvey, Bioluminescence (New York, 1952). / J. A. C. Nicol, The Biology of Marine Animals (Londres, 1967). / N. B. Marshall, la Vie des poissons (Rencontre, Lausanne, 1970).

Lumpenproletariat

Terme du vocabulaire marxiste désignant ceux qui, au sein du prolétariat, sont dépourvus de toute conscience politique.


On utilise couramment le terme allemand Lumpenproletariat, voire Lumpen tout court, de préférence à sa traduction française « prolétariat en haillons, en guenilles ». Cette expression imagée, régulièrement accompagnée chez Marx* et Engels* d’épithètes péjoratives — « lie d’individus corrompus », « pourriture inerte », « pègre » —, est pratiquement synonyme pour ces auteurs de sous-prolétariat et de classe dangereuse. Elle désigne les masses urbaines marginales, vivant de manière parasitaire et fondamentalement incapables d’accéder jamais à une conscience révolutionnaire. En font partie les vagabonds, les mendiants, les voleurs, les criminels, les prostituées, les souteneurs et, d’une façon générale, tous les individus n’ayant pas d’activité bien définie.

Si le Lumpenproletariat « habite l’enfer du paupérisme », il y occupe cependant une place bien particulière. Le paupérisme vient de la surpopulation relative ; Marx parle de surpopulation relative pour indiquer qu’il n’y a surpopulation que par rapport aux besoins toujours variables de l’exploitation capitaliste. Les surnuméraires forment l’armée de réserve du travail. Ce sont aussi bien des chômeurs par accident que la réserve de main-d’œuvre des campagnes, à domicile, ou, plus misérables encore, les exclus du processus de travail en raison de leur âge, de leurs infirmités ou de la désuétude de leur qualification. Tous sont susceptibles, en certaines conjonctures, de reprendre du service actif. Exclus, victimes du système étant passés « par la dure mais fortifiante école du travail » ou disposés à passer par elle, ils sont, à tous ces titres, potentiellement révolutionnaires. Le Lumpenproletariat, à l’opposé, n’est jamais passé par cette « dure mais fortifiante école » ; c’est pourquoi il est a-révolutionnaire. Formé de « gens sans aveu ni feu », il est vénal, prêt à se mettre au service de la bourgeoisie ; c’est lui qui constituait les gardes mobiles formés en 1848. Il peut à l’occasion, et avec une égale facilité, se mettre au service du prolétariat ; mais il en est le pire allié. Engels estimait que le premier devoir des chefs révolutionnaires était de fusiller ses membres.

Ajoutons que le Lumpenproletariat, en tant qu’élément parasitaire, hors du système, aux mœurs déréglées, a son correspondant dans les sommets de la société bourgeoise avec l’aristocratie financière. L’analyse qu’en fait Marx est menée dans les mêmes termes.

Enfin, le Lumpenproletariat n’est pas une catégorie sociale propre au système capitaliste : on le retrouve plus ou moins développé dans toutes les phases de la société passée. Selon Engels, il n’a jamais été plus abondant qu’au début du xvie s. Ce Lumpen, toutefois, n’aurait pas encore atteint, et de loin, le « degré de vénalité et de dépravation de la racaille civilisée moderne ».

À la tradition marxiste, impitoyable pour cette catégorie condamnée sans appel, s’oppose, allant de l’anarchisme* à certaines formes du gauchisme* contemporain, un courant plus compréhensif, voire sympathisant. Sous sa forme extrême, cette dernière thèse pourrait être résumée de façon schématique par l’idée que la contestation de ceux qui sont totalement hors du système est plus radicale que celle de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, y participent. Pour que cette contestation naisse, encore faut-il qu’apparaisse une conscience collective d’exclus, c’est-à-dire une mise en cause de leur situation dans ce système.

Quoi qu’il en soit, depuis deux décennies, une série de faits ont suscité un regain d’intérêt pour des catégories sociales oubliées et des thèmes que l’on estimait surannés. Ils ont conduit à mettre en question les lignes de partage tracées par Marx entre ces différentes catégories de la misère et de la criminalité, et, partant, les jugements qu’il portait sur chacune d’elles. Ces faits sont d’abord, dans les années 1950, la découverte de la pauvreté aux États-Unis, pays le plus riche. Ce phénomène, jusqu’alors non perçu ou considéré comme vestige du passé destiné à disparaître, s’est révélé plus caractéristique des sociétés avancées qu’il n’y paraissait. Un autre fait est constitué par l’immense développement, notamment dans les grandes villes des pays en voie d’industrialisation, de masses vivant dans les bidonvilles, non intégrées dans les emplois réguliers qui, par définition, sont insuffisants. Ces masses — et l’on pense notamment aux descamisados de l’Argentine de Perón* — constituent la base des mouvements populistes. Elles sont aussi concernées dans les émeutes et la révolte des Noirs aux États-Unis en 1967 ou dans les mouvements des prisons.