Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis-Philippe Ier (suite)

L’avènement de Charles X rend au duc la faveur royale et le titre d’Altesse. Louis-Philippe demeure dans une prudente expectative. D’un côté, il n’est pas avare de déclarations de fidélité respectueuse envers la couronne, mais, de l’autre, il entretient avec certains chefs libéraux des rapports politiques et des rapports d’affaires. On connaît son amitié pour Jacques Laffitte, le banquier qui patronne le National, un des principaux organes d’opposition. Les milieux de la Cour ne s’y trompent pas, qui, au fur et à mesure que la crise s’aggrave, désignent ouvertement le duc d’Orléans comme le bénéficiaire, voire l’instigateur de toutes les manœuvres et de toutes les agitations.

Le Palais-Royal redevient, pour une certaine opposition parisienne, le centre de la nouvelle Fronde. En juin 1830, à l’occasion de la réception du roi de Naples, beau-père de Louis-Philippe, une curieuse émeute éclate au Palais. La populace brûle des fauteuils et pousse des cris hostiles aux aristocrates. Les malveillants — ou les plus lucides ? — y voient la main du duc d’Orléans.

C’est encore au Palais-Royal que se forment les premiers rassemblements au matin du lundi 26 juillet 1830, quand Paris apprend la parution des ordonnances. Pour endiguer la vague révolutionnaire, Laffitte, Thiers* et Mignet lancent la candidature orléaniste. À Neuilly, en l’absence du duc, prudemment caché au Raincy, Thiers précise à Madame Adélaïde (1777-1847), la sœur du monarque de demain, le sens de sa démarche : « Il nous faut une dynastie nouvelle, qui nous doive la couronne, et qui, nous la devant, se résigne au rôle que le système représentatif lui assigne. » Dans la nuit du 31, le duc d’Orléans rentre à Paris. Il fait savoir qu’il accepte la lieutenance générale du royaume que lui offrent les députés libéraux. Dans le même temps, pour se garder du côté de Saint-Cloud, il semble avoir cherché à accréditer l’idée d’un enlèvement par les insurgés. Le 2 août, Charles X a abdiqué, mais Louis-Philippe n’est pas encore roi. Il lui faudra d’abord accepter les conditions qui lui sont imposées par la Chambre. C’est chose faite, quand il prête serment à la Charte révisée, en cette séance solennelle et significative du « sacre parlementaire », le 9 août 1830.


La personnalité du roi

Louis-Philippe Ier est peu connu de ses contemporains. Ce que l’on sait de lui n’est pas l’essentiel. On est bien renseigné sur son comportement bourgeois, sur sa vie familiale droite et simple. On apprécie qu’il envoie son fils au collège et qu’il rompe avec les pratiques extérieures surannées et quelque peu méprisantes de ses prédécesseurs.

Mais les idées politiques du souverain de Juillet et ses conceptions du gouvernement échappent à tous. Louis-Philippe est très réservé, voire secret. Ses adversaires le disent cauteleux et fourbe. À coup sûr, il a le goût du pouvoir. Pragmatiste et manœuvrier, il se méfie des doctrines et des doctrinaires. Sa volonté de jouer un rôle de premier plan ne se trahit jamais, tout au moins au début. Le roi respecte scrupuleusement les institutions, en particulier les formes parlementaires. Il sait ce qu’il doit à la bourgeoisie libérale et évite soigneusement de laisser soupçonner ses vues par des gestes ostentatoires et maladroits. Mais il ne perd aucune occasion d’« occuper le terrain » et de profiter des dissensions. Il se résigne à accepter les ministres que le Parlement lui soumet, mais divise pour régner. La monarchie de Juillet aurait pu être l’occasion d’implanter en France un système parlementaire stable et régulier. L’action personnelle du roi a tout faussé et a perdu la dynastie.


Le roi et le pouvoir

La Charte modifiée est devenue un contrat entre le souverain et la nation, plus exactement la nation censitaire. Ce pacte contractuel a d’abord affermi le caractère parlementaire du régime de Juillet. Le roi doit partager le pouvoir législatif avec les Chambres. Les députés ont le droit d’initiative, le droit d’amendement et le droit d’interpellation. Mais la Charte laisse dans l’ombre le rôle exact des ministres et, par là même, le rôle du souverain. C’est laisser libre cours aux interprétations les plus contradictoires et servir ainsi les desseins secrets de Louis-Philippe. Il y a d’abord la thèse des partisans de la prééminence royale. Le roi délègue une part du pouvoir exécutif aux ministres choisis dans la majorité des Chambres. La direction des affaires lui appartient en propre, et les ministres ne sont que les fidèles exécutants de la volonté royale. À l’opposé, il y a la doctrine de la prépondérance parlementaire. « Le roi règne, mais ne gouverne pas » (Thiers).

Guizot* illustre une troisième thèse, bien conforme à son attachement pour le « juste milieu ». Le roi gouverne avec l’appui des pouvoirs institués par la Charte, sans privilégier les uns par rapport aux autres, ni dissoudre l’unité institutionnelle qu’elle consacre. Les ministres lui proposent une politique. Le roi peut accepter ou refuser, mais son accord conditionne alors un appui sans réserve. Parlementaires, juristes et publicistes débattent de la question. En 1834 paraît une brochure du comte Pierre Louis Rœderer (1754-1835), partisan de la prérogative royale. C’est une attaque véhémente contre les prétentions du pouvoir parlementaire.

« Le roi seul a la direction de l’État », écrit-il. Il dispose d’un domaine réservé, la politique extérieure. Il n’y a pas de Conseil des ministres, mais un Conseil, où le roi appelle ses ministres. Un peu plus tard, la naissance de la grande coalition contre Molé relance la polémique. À l’opposé de Prosper Duvergier de Hauranne (1798-1881), qui défend la prépondérance parlementaire (Des principes du gouvernement représentatif et de leur application, 1838), Henri Fonfrède (1788-1841) reprend les conclusions de Rœderer (Du gouvernement du roi et des limites constitutionnelles de la prérogative parlementaire, 1839). Écarté du débat et des urnes, le pays réel tranchera en février 1848.