Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XVIII

(Versailles 1755 - Paris 1824), roi de France (1814-1824).



Avant la Révolution

Louis XVIII a bénéficié à tort d’une réputation de libéral, que lui ont value ses intrigues des dernières années de l’Ancien Régime et les dix années de règne à la tête de la monarchie restaurée. La réalité est plus complexe.

Quand, le 10 mai 1774, le duc de Berry monte sur le trône sous le nom de Louis XVI, le futur Louis XVIII, Monsieur, comte de Provence, devient le second personnage du royaume. Il a son palais, le Luxembourg, où il entretient une véritable cour à l’imitation de celle de Versailles. Son train de vie est proprement fastueux. Son service compte huit cents personnes, et le gaspillage ne le cède en rien à celui de Versailles. Si le frère du roi se pique de belles-lettres et d’épigrammes, s’il entretient une petite académie de grammairiens et de poètes, il sacrifie largement aux plaisirs de la table en jouisseur fort peu soucieux alors des souffrances du bon peuple.

Le déclin de la monarchie s’accentue, mais Monsieur manifeste d’étranges et ténébreuses visées. Loin de réaliser au départ la profondeur et la gravité de la crise que traverse la France, il joue au prince éclairé, ennemi des abus et partisans de sages réformes. Sensible à la flatterie, il cherche à se rendre populaire et donne volontiers dans la démagogie. Le parti autrichien, mené par la reine, soupçonne ses manœuvres. On l’écarté du Conseil royal. En réalité, c’est le servir, et Monsieur apparaît comme un chef de l’opposition.

• 1787-88 : l’Assemblée des notables met Monsieur en vedette. Sur la proposition de l’Assemblée, la commission qu’il préside vote le projet d’impôt territorial. Le comte de Provence va plus loin et s’affirme favorable au principe du doublement de la représentation du tiers état. Chargé de faire enregistrer l’édit de l’impôt en Chambre des comptes, il est l’objet de manifestations populaires de sympathie.

• 1789 : la royauté subit le premier assaut, mais Monsieur persiste à jouer un jeu subtil, destiné, sait-on jamais, à sauvegarder un avenir personnel. Il œuvre pour obtenir la lieutenance générale du royaume, mais Marie-Antoinette, décidément irréductible et, à vrai dire, assez lucide, fait révoquer la nomination. Le parti de la Cour abhorre désormais le frère du roi, qui n’a plus que la ressource de manœuvres occultes et dégradantes. Au carrefour des intrigues, il rencontre Mirabeau, qui pense un moment pouvoir l’utiliser. Impliqué dans le complot du marquis de Favras (déc. 1789), le comte de Provence se livre à une astucieuse mise en scène : il comparaît volontairement devant la Commune de Paris, se disculpe et désavoue les conjurés.

• 20-21 juin 1791 : fuite du roi et retour de Varennes. Monsieur a fui, lui aussi, mais avec une facilité qui éveille les soupçons. A-t-il eu des intelligences avec les patriotes ? Toujours est-il qu’il va tenter d’assurer sa position tant auprès des émigrés que des Cours étrangères.


Le roi des émigrés (1791-1814)

Depuis Varennes, le roi constitutionnel n’est plus. Monsieur, qui entretient une abondante correspondance avec son frère, veut obtenir de lui la régence. Au fond, la situation du souverain, privé de sa liberté de manœuvres, le sert merveilleusement. Mais c’est compter sans le baron de Breteuil (1730-1807), homme de confiance de la reine et de Vienne, qui suscite contre l’intrigant l’hostilité des Cours. Le comte de Provence s’active cependant. De Coblence, il mène une diplomatie parallèle et organise des réseaux d’agents secrets, ce qui lui vaut, comme le comte d’Artois, d’être décrété d’accusation par la Législative. Il est déchu de ses droits pour conspiration contre la France et intelligence avec les puissances étrangères. Ces dernières ne lui sont point acquises, tant s’en faut. Monsieur n’est pas une autorité crédible et va d’un protecteur à l’autre au gré des événements.

Au début, il a dans son jeu Gustave III de Suède et Catherine II de Russie. Mais le premier meurt assassiné, et la guerre qui éclate le 20 avril 1792 modifie la situation. Le comte de Provence est alors à Coblence à la tête de l’armée des princes sous commandement prussien et pense s’appuyer sur Frédéric-Guillaume III. Las ! les intérêts des Cours passent bien avant ceux des Bourbons. À l’issue de tortueuses négociations, Monsieur a le marché en main : soutien des puissances contre cessions de territoires et rectifications de frontières. Le petit-fils de Saint Louis, défenseur des vrais principes et des terres des ancêtres, ne peut que rejeter ces honteuses propositions. Le lys est sans tache, mais la régence est perdue. Plus la Révolution se radicalise, plus le comte de Provence se rapproche du trône et plus son crédit diminue.

Le 21 janvier 1793, à la suite de l’exécution de Louis XVI, Monsieur se proclame régent de son propre chef, curieuse entorse à la légalité monarchique de la part d’un prince engagé dans le combat pour la légitimité. Les Cours se refusent à entériner cette étrange auto-investiture, et Monsieur, que nul ne s’empresse d’accueillir, se réfugie à Vérone.

La mort de Louis XVII, le 8 juin 1795, le fait enfin roi de France et de Navarre sous le nom de Louis XVIII. Le nouveau souverain lance sa première proclamation à ses sujets égarés, « infidèles à Dieu et rebelles à l’autorité légitime » pour les conjurer de revenir à la sainte religion et de rétablir un gouvernement « qui fut pendant quatorze siècles la gloire de la France et les délices des Français ». Le châtiment s’abattra sur les criminels, mais la clémence royale et auguste englobera tous ceux qui abjureront les idées funestes et viendront se jeter au pied du trône. La proclamation de Vérone, maladroite et brutale, ne fait guère honneur au sens politique de Louis XVIII. Elle inquiète d’ailleurs Londres bien plus que Paris.

La Grande-Bretagne, tout en s’affirmant favorable à une restauration, entend qu’elle soit appuyée en France par un réel mouvement d’opinion. La menace du rétablissement du statu quo ante, avec restitution de domaines vendus et de droits abrogés, hypothèque gravement la perspective d’un retour à la paix intérieure et extérieure. Londres dépêche alors à Vérone lord Macartney, chargé de prodiguer à Louis XVIII la fraternelle sollicitude de la monarchie britannique, c’est-à-dire de contrecarrer les dangereuses initiatives du Bourbon.