Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XVII (suite)

Pour des raisons demeurées assez mystérieuses, le savetier-instituteur dut résilier ses fonctions le 19 janvier 1794 (30 pluviôse an II). Après son départ, des travaux furent entrepris à l’étage. « Charles Capet », confiné dans une pièce obscure (ses repas lui étaient passés à travers un guichet), fut tenu dans un isolement rigoureux. Quatre commissaires se relayaient quotidiennement pour garder le prisonnier, devenu alors un otage précieux et une cause de discussion entre les différents partis politiques. Quelques hauts personnages vinrent s’assurer de sa présence au Temple. Ainsi vit-on arriver Robespierre (ce fut, du moins, ce que crut Marie-Thérèse, demeurée seule à son étage après les exécutions de sa mère et de sa tante), puis, après le 9-Thermidor, Barras. Celui-ci trouva le petit prisonnier en très mauvais état de santé. Pour garder les deux enfants royaux, le futur directeur appela alors un créole de la Martinique nommé Laurent (29 juill. 1794), auquel on adjoignit un certain Gomin. En décembre, trois Conventionnels vinrent à leur tour en inspection au Temple : Mathieu, Reverchon et Harmand de la Meuse. Ce dernier signala dans un rapport qu’il avait trouvé un petit prisonnier hébété, quasi idiot, souffrant de tumeurs. De nouveau, le silence retomba sur le Temple. En avril suivant, Laurent fut remplacé par un peintre en bâtiment nommé Lasue. Peu après, l’Espagne, prête à signer un traité avec la France, se montra désireuse de récupérer les enfants royaux et entama des pourparlers. Mais l’état du dauphin s’aggrava. Malgré les soins donnés par Desault, médecin-chef de l’Hôtel-Dieu, puis par le chirurgien Pelletan, il mourut le 8 juin 1795 (20 prairial an III). Le lendemain, quatre médecins ayant procédé à l’autopsie déclarèrent que le décès de l’enfant était dû à un « vice scrofuleux ». Le cadavre fut inhumé le 10 juin dans la fosse commune du cimetière Sainte-Marguerite.


Les faux dauphins

Très vite, des rumeurs circulèrent, qui s’amplifièrent après la Restauration : le dauphin n’était pas mort, on l’avait fait évader, un garçon muet et imbécile lui avait été substitué. Au début du xixe s., une trentaine de faux dauphins surgirent. Parmi les plus connus des « prétendants » il faut nommer : Jean Marie Hervagault, fils d’un tailleur de Saint-Lô, condamné à plusieurs reprises pour vagabondage, écroué en 1809 à Bicêtre, où il mourut en 1812 ; Mathurin Bruneau, alias Charles de Navarre, mythomane paranoïaque arrêté plusieurs fois et mort en prison en 1822 ; un pseudo-baron de Richemont, sans doute de son vrai nom Claude Perrin, auteur des Mémoires du duc de Normandie, fils de Louis XVI, incarcéré, lui aussi, pour escroqueries et décédé en 1853 ; Karl Wilhelm Naundorff, peut-être né à Weimar ou à Halle (son vrai nom aurait été Werg), qui arriva en France en 1833 ; il mourut à Delft (Pays-Bas) en 1845 et fut « reconnu », après sa mort, par les autorités hollandaises comme le fils de Louis XVI. Parmi les faux dauphins, on peut encore citer les noms de pauvres aliénés, tels Jean François Dufresne, Simon Loritz, Claude Labroissière, Victor Persat, ainsi que quelques autres imposteurs : Poncelet, traiteur à Londres ; Mèves, habitant également l’Angleterre ; un métis indien nommé Éléazar Williams ; un certain Poiret, mort aux îles Seychelles sous le nom de « Monsieur Louis » ; Brosseau, décédé en 1873 à Chicago ; etc. La duchesse d’Angoulême fut harcelée de lettres et de placets, mais elle se refusa toujours à recevoir les personnages qui prétendaient être son frère.


L’énigme Louis XVII

Diverses hypothèses sont soutenues aujourd’hui par les historiens sur l’affaire Louis XVII :
1o Le dauphin est bien mort au Temple le 8 juin 1795 et il n’y a aucune énigme à son sujet ;
2o Il est mort de maladie plusieurs mois avant son « décès officiel », sans doute en janvier 1794, lors du départ de Simon ; les Conventionnels, consternés de voir disparaître un petit prisonnier qui aurait pu leur servir d’otage dans leurs négociations avec les puissances étrangères, décidèrent de tenir ce décès secret et de substituer à l’enfant royal un enfant anormal, qui mourut effectivement le 8 juin 1795 ;
3o Le dauphin fut enlevé du Temple, soit par Hébert ou par Chaumette, soit par des royalistes, et remplacé par un autre enfant ; ainsi rendu à la liberté, il serait, selon les uns, mort peu après de maladie (en 1801, le général d’Andigné trouva dans les douves du Temple le squelette d’un enfant et imagina qu’il avait sous les yeux les restes de Louis XVII) ; selon les autres, il aurait survécu sous le nom de Naundorff, personnage qui devait faire beaucoup parler de lui.

Les partisans de l’évasion appuient leur thèse sur divers faits : la façon véritablement inhumaine dont le petit reclus du Temple fut séquestré à partir de janvier 1794, de sorte qu’aucune personne l’ayant connu ne pût l’approcher (sa sœur Marie-Thérèse ne fut jamais admise à le revoir), ainsi que sa transformation physique et mentale après le départ de Simon ; l’attitude assez étrange de Louis XVIII après son retour en France à propos de son neveu (ainsi, le roi fit exhumer les restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette, mais refusa de faire chercher ceux de l’enfant) ; enfin et surtout les fouilles entreprises à deux reprises (1846 et 1894) au cimetière Sainte-Marguerite : elles permirent de mettre au jour le squelette d’un garçon au crâne scié (cette opération avait effectivement été faite le 9 juin 1794 sur le petit mort du Temple), mais qui était celui d’un adolescent de quatorze ans et non d’un enfant de dix ans. Les historiens restent toujours très passionnés sur la question, mais l’énigme n’a jamais été résolue de façon irréfutable.

A. M.-B.

 G. Lenotre, Louis XVII et l’énigme du Temple (Perrin, 1920 ; nouv. éd., Rencontre, Lausanne, 1967). / P. Sainte-Claire Deville, À la recherche de Louis XVII (Flammarion, 1946). / A. Decaux, Louis XVII retrouvé, Naundorff roi de France (l’Élan, 1947). / M. Constantin-Weyer, Naundorff ou Louis XVII ? (S. F. E. L. T., 1950). / L. Hastier, la Double Mort de Louis XVII (Flammarion, 1951 ; nouv. éd., « J’ai lu », 1968) ; Nouvelles Révélations sur Louis XVII (Fayard, 1954). / M. Garçon, Louis XVII ou la Fausse Énigme (Hachette, 1952 ; nouv. éd., 1968) ; Plaidoyer contre Naundorff (Fayard, 1955). / R. Escaich, l’Affaire Louis XVII devant la justice et devant l’histoire (Éd. de Navarre, 1954). / Le Procès Louis XVII, mai-juillet 1954 (Amiot-Dumont, 1955). / J. P. Romain, les Trois Louis XVII évadés du Temple (Institut des sciences historiques, 1956). / J. Berge, Naundorff était bien Louis XVII (Nouv. éd. latines, 1958). / A. Castelot, Louis XVII (Fayard, 1960 ; nouv. éd., Perrin, 1968). / L. Truc, Histoire et légende de Louis XVII (Hachette, 1965). / E. Muraise, Du Roy perdu à Louis XVII (Julliard, 1967). / R. Reicher, la Survie de Louis XVII (Martineau, 1967).