Pratiquement, le style « Louis XVI » est entièrement formé sous Louis XV, dès les années 1760.
En architecture, il s’exprime dans l’harmonie classique des ouvrages de Jacques Ange Gabriel* (Petit Trianon, 1762-1764) ; en matière de décor, il démarque les modèles gréco-romains découverts dans les ruines d’Herculanum et dans celles de Pompei, dont le roi des Deux-Siciles autorisa l’exploration archéologique en 1748. Artistes et savants y coururent. Dès 1749, le futur marquis de Marigny visitait le champ de fouilles, que décrira son guide, le graveur Charles Nicolas Cochin le Fils (1715-1790), relatant le voyage en Italie destiné à préparer son disciple à la surintendance des bâtiments, qu’on le destinait à remplir. À Paris, vers 1760, le diplomate amateur d’art Lalive de Jully faisait aménager une aile de son hôtel en musée pour y présenter au public ses collections d’antiques. La mode s’en empara : le style « à la grecque » régna partout, fût-ce à contresens. « Tout se fait aujourd’hui à la grecque », écrit le baron Grimm en 1763. Aux formes à dominance courbe du style rocaille*, dénoncé par le critique influent qu’est C. N. Cochin, se substituent les plans droits. Cette révolution entraîne l’effacement des modèles de meubles essentiellement liés au style Louis XV*, notamment de la charmante toilette « en forme de cœur ». Les autres se transfigurent : le secrétaire à dessus brisé devient la « table à gradin », qui, elle-même, remplaçant à la fin du siècle son modeste serre-papiers par un petit corps d’armoire, prendra nom de bonheur-du-jour. Le style décoratif se modifie dans une optique nouvelle. Sans doute, la conversion n’est-elle ni brutale ni totale ; et, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, certains ébénistes exécuteront, pour une clientèle fidèle aux goûts d’antan, des meubles de style rocaille, voire, sous Louis XVI, des ouvrages marquetés d’écaillé et de cuivre à l’imitation de Boulle*.
Le décor des boiseries murales de la seconde moitié du siècle se réduit à des baguettes enrubannées circonscrivant des panneaux nus, généralement peints de tons frais : bleu pâle, lilas clair, surtout « verdeau ». Les meubles passent du curviligne au rectiligne par une remarquable transition, dont les commodes exécutées dans la décennie 1765-1775 offrent la formule : leur caisson, plan à toutes faces, est porté par un piétement galbé, dont la grâce fait contraste avec la simplicité du meuble. Après 1775, l’esprit de doctrine s’affirme : des pieds en gaine à section carrée, ou en tronc de cône effilé renversé remplacent les supports galbés, et les commodes prennent leur figure définitive. Les autres meubles se réforment à son exemple. La chiffonnière, la toilette, le bureau de dame subissent la loi des droites. Le secrétaire lui-même change de forme. En 1760, Jean François Œben* élabore pour le roi un modèle nouveau, à volet mobile fait de lattes parallèles collées sur une toile forte ; la mise au point du mécanisme prit neuf années d’essais et ce fut, Œben étant mort en 1763, son auxiliaire et successeur Jean-Henri Riesener* qui termina ce chef-d’œuvre, aujourd’hui conservé à Versailles (v. Louis XV [styles Régence et]). Le système était fragile ; il fera place dès 1770 au secrétaire « à panse », à volet rigide semi-cylindrique.
L’adoption d’un style à prépondérance géométrique n’excluait pas les inventions. On voit apparaître dans les années 1775 la commode « circulaire », aujourd’hui dite « en demi-lune », la table « à la Tronchin » aux plateaux exhaustibles, et pareillement tout un mobilier créé pour la salle à manger, laquelle n’apparaît dans les appartements, avec son affectation limitative, qu’à la fin du xviiie s. Ce mobilier comporte une commode basse, longue, aux extrémités cintrées, fermant à portes : c’est la « commode aux coins arrondis » des inventaires. Très tôt, les deux encoignures perdent leurs vantaux, et présentent leurs tablettes revêtues d’une feuille de marbre : c’est la « commode à l’anglaise ». En même temps, la commode circulaire se donne une variante destinée à la salle à manger, la « commode desserte » formée d’un étagement de tablettes et d’un tiroir. Claude Charles Saunier (1735-1807) a laissé d’admirables spécimens de ces meubles, qu’il a traités avec prédilection. L’ingéniosité des maîtres ébénistes n’est en rien freinée par la sévérité des formes droites. Ils inventent les « tables à fleurs », ou jardinières ; les « tables à rafraîchir », à caissons doublés d’étain qu’on garnissait de glaçons pour y frapper les vins ; les tables à ouvrage, précieux petits meubles aux formes très diverses, depuis la table barlongue à plateau d’entrejambes exécutée pour la reine par Adam Weisweiler († apr. 1809) jusqu’aux tables rondes à plusieurs plateaux recueillies par la Wallace Collection.