Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Louis XVI (suite)

Après s’être heurtée au refus du parlement de livrer ses meneurs, d’Éprémesnil et Monsabert, la royauté tente de briser cette opposition aristocratique. En même temps qu’ils réduisent le parlement, les édits du 8 mai 1788 s’essayent à de profondes réformes. L’enregistrement des actes royaux sera désormais le fait d’une cour plénière formée de dignitaires de la couronne. Quarante-cinq « grands bailliages » reçoivent une partie des attributions judiciaires du parlement. L’organisation de la justice est simplifiée, rationalisée, et son exercice dépouillé de certains traits barbares comme la torture qui précédait l’exécution des criminels. Pourtant cette réforme de Lamoignon, garde des Sceaux du roi, vient trop tard. Déjà, la province s’agite, mais, en prenant le relais de Paris, elle révèle que la bourgeoisie a, elle aussi, un programme de réformes et qu’elle n’entend pas être à la remorque des aristocrates. Encore est-elle prête à s’entendre avec eux, car elle craint les masses populaires que, apprenti sorcier, l’aristocratie a mises en branle dans l’été de 1788. La bourgeoisie accepterait le maintien des droits seigneuriaux et des privilèges honorifiques en échange de la liberté et de l’égalité politiques. Elle a fait l’apprentissage de celle-ci dans les assemblées provinciales, elle entend la maintenir lors des futurs états généraux. Mais ce compromis est-il possible ? Des notables comme Jean-Joseph Mounier ou Antoine Barnave, dans le Dauphiné, le croient. La parole va leur être donnée.

Durant l’été 1788, l’aristocratie pousse le peuple à la révolte ouverte pour soutenir le parlement. À Dijon, à Toulouse, à Rennes, à Pau et à Grenoble, des troubles éclatent. Dans cette dernière ville, les parlementaires refusent d’enregistrer les édits du 8 mai (v. Dauphiné). Ils reçoivent des lettres de cachet. Le 7 juin, les boutiques se ferment, des hommes s’assemblent, ils sont armés de barres, de pierres, de haches et de bâtons. Beaucoup sont des « clients » des magistrats, car leur départ signifierait le ralentissement accentué des affaires. La troupe intervient. Du toit des maisons, des gens font pleuvoir une grêle de pierres, de briques et de tuiles. Cette « journée des Tuiles » aboutit au maintien des magistrats dans leur ville. Mais sept jours plus tard, les notables se réunissent : il y a là 9 membres du clergé, 33 nobles, 59 membres du tiers état. S’ils espèrent que les parlementaires seront réinstallés par le roi, ils demandent aussi la réunion des « états particuliers de la province », où les membres du tiers siégeront en nombre égal à celui des membres du clergé et de la noblesse réunis. Cette assemblée sera le prélude à celle des états généraux du royaume. Puis, le 21 juillet, à quelque distance de Grenoble, dans le château d’un gros industriel, Claude Perier, à Vizille, a lieu l’assemblée générale des municipalités du Dauphiné. Ecclésiastiques, nobles, tiers état mêlés arrêtent : « qu’empressés de donner à tous les Français un exemple d’union et d’attachement à la monarchie, prêts à tous les sacrifices — que pourraient exiger la sûreté et la gloire du trône —, ils n’octroieront les impôts par dons gratuits ou autrement que lorsque leurs représentants en auront délibéré dans les états généraux du royaume. Que dans les états de la province, les députés du tiers état seront en nombre égal à ceux des deux premiers ordres réunis ; que toutes les places y seront électives ; et que les corvées seront remplacées par une imposition sur les trois ordres ». Ils arrêtent en outre « que les trois ordres du Dauphiné ne sépareront jamais leur cause de celle des autres provinces, et qu’en soutenant leurs droits particuliers ils n’abandonneront pas ceux de la nation ». Voilà qui dépasse le projet de l’aristocratie au début de sa révolte : il y a l’égalité politique, un premier pas de fait dans l’égalité fiscale, et surtout cette volonté d’échapper au cadre étroit des libertés provinciales pour s’élever jusqu’à la liberté de la patrie tout entière.

Les caisses sont vides, les assemblées provinciales n’acceptent pas d’augmentation d’impôt, l’alliance semble se faire entre bourgeoisie et aristocratie, enfin les forces de répression échappent au roi. Tantôt les régiments (c’est le cas notamment de la cavalerie) sont dévoués à leurs chefs aristocrates, tantôt ils sont formés d’hommes sortis du peuple qui se rebellent contre la discipline indigne qu’on leur impose ou qui sont les victimes d’une réaction aristocratique qui leur bouche toute possibilité d’ascension sociale. Dans un cas comme dans l’autre, ils sont peu sûrs. Dans quelques mois, ils vont déserter en masse pour rejoindre le peuple en révolution. N’étant plus maître de la situation, Brienne annonce la réunion des états généraux (5 juill. 1788), et un édit (8 août) les convoque pour le 1er mai 1789. Le même édit suspend la cour plénière. Le 24 août, Brienne se retire ; le 25, le roi appelle pour le remplacer Necker. La réforme de Lamoignon est abolie, les parlements rétablis. Mais si la royauté capitule, l’impossible alliance des aristocrates et de la bourgeoisie se défait.

Dès septembre 1788, le parlement signifie au tiers qu’il n’entend pas lui donner l’égalité politique demandée ; il estime en effet que les prochains états devront se réunir dans la forme qu’ils avaient en 1614 : les ordres séparés et chacun disposant d’une voix. Face aux aristocrates se forme alors le « parti » des patriotes.

Il groupe des bourgeois, surtout des banquiers ou des avocats, et des nobles libéraux. Quelques têtes s’en détachent : Mirabeau*, La Fayette* et surtout le duc d’Orléans (v. Orléans [maison d’]). Il a à sa solde des publicistes, tel P. Choderlos de Laclos*, qui répandent les idées du parti à Paris et en province : égalité civile, judiciaire et fiscale. Dans l’immédiat, les patriotes se battent pour le doublement du tiers et le vote par tête et non par ordre aux états généraux. Des milliers de pamphlets ou de journaux circulent librement dans les salons, les sociétés de lecture et les cafés. Placardés dans les rues, ils suscitent le rassemblement et la discussion : les sujets du roi font mutuellement leur éducation politique et se découvrent, les uns les autres, membres solidaires d’une même communauté, des citoyens désireux d’établir la liberté et l’égalité, la fraternité qui leur procureront le bonheur.

Mais de cette « patrie », les nobles s’excluent en majorité ; s’accrochant à leurs privilèges, ils posent au roi la question : « Votre Majesté pourrait-elle se déterminer à sacrifier, à humilier sa brave, antique et respectable noblesse ? »

Un premier coup semble lui être en effet porté le 27 décembre 1788 : le « Résultat du Conseil » du roi tenu à Versailles, ce jour, admet le doublement du tiers. En fait le principal est, pour l’aristocratie, sauvegardé : le roi ne se prononce pas sur le vote par tête. Le règlement électoral paraît le 24 janvier 1789.