Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XVI (suite)

On a dit de l’archevêque de Toulouse qu’il « était l’égal de Calonne pour la moralité sans en avoir les talents, étant mieux à sa place dans un cercle de femmes qu’au timon des affaires : depuis vingt ans, il visait au ministère, et, dans l’assemblée des notables, dont il faisait partie, il n’avait combattu Calonne que pour le remplacer ». E. Loménie de Brienne (1727-1794) reprend les projets de l’homme qu’il a contribué à abattre ; il réclame un impôt territorial, un impôt du timbre, la suppression des corvées, la libre circulation des grains et des assemblées provinciales. Il n’obtient rien dans le domaine fiscal. On se décide à renvoyer l’assemblée qui venait ainsi de siéger durant trois mois (22 févr. - 25 mai 1787). Brienne et le roi se retrouvent devant le parlement.

Celui-ci, de l’été 1787 au printemps 1788, se pose en champion des libertés du royaume. Habilement, les nobles de robe assortissent leur refus de la subvention territoriale d’une demande de convocation des états généraux, seuls aptes à voter les impôts nouveaux. Le 6 août 1787, l’enregistrement des édits a lieu de force, « en lit de justice ». Le lendemain, le parlement réuni proteste contre « la violence » qui lui a été faite. Le roi répond en exilant ses membres à Troyes. À travers la France, les autres parlements se déclarent solidaires, et le monde de la basoche, clientèle des magistrats, excite le peuple contre les agents de l’autorité royale. Devant l’ampleur que prend le mouvement, le roi rappelle le parlement, le 4 septembre 1787.

La marine de Louis XVI

En 1783, les traités de Versailles avaient consacré en même temps que les victoires de Rochambeau et de La Fayette celle des marins de De Grasse (1722-1788) sur ceux de l’amiral anglais Hood (1724-1816). La France avait vaincu l’Angleterre sur mer, et le prestige de Louis XVI, l’un des rares souverains qui se soient intéressés aux affaires navales, était immense.

Commencée sous Choiseul, la restauration de la marine fut avant tout l’œuvre d’Antoine de Sartine (1729-1801) et du marquis de Castries (1727-1800), qui donnèrent à la France une des plus belles flottes qu’elle ait jamais possédées. En 1789, la marine royale compte 71 vaisseaux, 64 frégates, 45 corvettes, 32 flûtes ou gabares. En tout, 212 unités portant 13 310 canons et armées par 2 000 officiers, 8 700 capitaines, maîtres et pilotes, 14 300 officiers mariniers, 48 700 matelots, 9 400 novices, tous navigateurs de profession employés à la manœuvre aux gréements ou au service de l’artillerie. Une garnison d’infanterie assure la mousqueterie des vaisseaux en temps de guerre.

Avec Jacques Noël Sané (1740-1831), le meilleur ingénieur de son temps, l’art naval atteint sa perfection. Les petites unités sont la réduction des grandes. Un vaisseau d’environ 100 canons coûte 1 350 000 livres, une frégate 500 000 livres. Les canons de 36, 24, 18 portent à 3 000 m, mais on ne tire pas au-delà de 800. Les forces navales sont divisées en 9 escadres permanentes entretenues à Brest, Rochefort et Toulon, sortes de dépôts où le personnel est caserne et instruit ; 36 bâtiments armés par 4 000 hommes opèrent au loin pour la protection du commerce et des colonies. Sous l’autorité de l’amiral* de France, l’état-major comprend trois vice-amiraux, 15 lieutenants généraux, 41 chefs d’escadre. Derrière eux, 110 capitaines de vaisseau, 100 majors, 680 lieutenants de vaisseau. Le grade d’enseigne est supprimé : 500 élèves de marine, créés par Castries, remplacent les gardes marines. Sont admis dans le grand corps, autrefois composé de gentilshommes, des officiers bleus : officiers de fortune et du commerce.

Vêtu d’un habit bleu doublé d’écarlate, d’une veste et d’une culotte de cette teinte, coiffé d’un chapeau, l’officier de vaisseau revêt sa grande tenue brodée d’or pour le combat. Veillant à tout et sur tous, maître après Dieu, le commandant, porte-voix en main, se tient sur la dunette les jours de combat et les nuits de tempête, tandis que les gabiers volent dans la mâture et que l’équipage donne toute sa force pour la destruction de l’ennemi et l’honneur du pavillon.

Tel est l’esprit qui lie le chef à l’équipage, dont la vie est rude. Castries se penche sur les problèmes les plus divers concernant la marine et les marins, il accorde une pension aux hommes âgés de 60 ans, s’occupe de l’uniforme encore mal défini. Il veut des navires aérés, une nourriture saine et surveillée. Peu à peu, la tactique navale évolue sous l’impulsion de Sébastien François Bigot de Morogues (1705-1781), de Louis Guillouet d’Orvilliers (1708-1792), de François d’Albert de Rions (1728-1802)... Suffren* a rué dans les brancards conformistes ; une école s’est formée : offensive brusque et vigoureuse qui donne confiance à l’équipage et déconcerte l’adversaire, combat de près avec toutes les pièces des ponts, des gaillards, avec la mousqueterie jusqu’à l’abordage.

H. L.


De 1787 à 1789

Mais il faut trouver de l’argent, et vite : l’impôt étant écarté, on en revient à l’emprunt. Pour obtenir cette fois l’enregistrement d’un édit prévoyant un emprunt de 420 millions, le gouvernement accepte de convoquer pour 1792 les états généraux. La séance royale où l’édit est présenté se transforme en lit de justice (19 nov. 1787). À la protestation du duc d’Orléans : « C’est illégal », le roi répond par le dernier cri de la monarchie absolue : « C’est légal, parce que je le veux. » Le duc est exilé en même temps que plusieurs conseillers. Puis le gouvernement prépare ce que certains appelleront son « coup d’État » : réduire le rôle du parlement. Mais les nobles de robe sentent la menace et de nouveau intéressent l’opinion publique à leur sort par des prises de position libérales : ainsi, le 4 janvier 1788, ils condamnent solennellement les lettres de cachet, dont l’emploi les menace directement. C’est surtout le 3 mai 1788 que leur déclaration a le plus de résonance. Ils attaquent les ministres et les accusent de vouloir instaurer le despotisme ; ils rappellent que « la France est une monarchie gouvernée par le roi, suivant les lois ; que ces lois... embrassent et consacrent le droit de la nation d’accorder librement les subsides par l’organe des états généraux, régulièrement convoqués et composés ; les coutumes et les capitulations des provinces ; l’inamovibilité des magistrats ; le droit des cours de vérifier, dans chaque province, les volontés du roi, et de n’en ordonner l’enregistrement qu’autant qu’elles sont conformes aux lois constitutives de la province, ainsi qu’aux lois fondamentales ; le droit de chaque citoyen, de n’être jamais traduit en aucune manière, par devant d’autres, que les juges naturels qui sont ceux que la loi lui désigne ». Un mois après, l’assemblée du clergé, réunie pour fournir au roi un « don gratuit », prend fait et cause pour le parlement. Le haut clergé, car c’est lui qui tient la plume à ces remontrances au roi, souligne que « le peuple français n’est pas imposable à volonté. La propriété est un droit fondamental et sacré et cette vérité se trouve dans nos annales, quand même elle ne serait pas dans la justice et dans la nature... Depuis les premiers états généraux jusqu’à ceux d’Orléans et de Blois, le principe ne se perd jamais de vue que nulle imposition ne peut se lever sans assembler trois états et sans que les gens desdits états n’y consentent ». Nulle part, il n’est question de l’abolition des privilèges. Il s’agit pour les aristocrates de parvenir à réunir des états qu’ils domineront et qui seront un moyen de subjuguer la royauté. Mais les thèmes et le langage employé peuvent séduire le tiers ; liberté individuelle et liberté de consentir ou non l’impôt.