Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Louis XV (suite)

La France du négoce attire l’intérêt de l’historien moderne. Elle a pour l’homme du xviiie s. une moindre importance que les questions de la foi. Rien n’est plus faux que d’identifier cette France de la première moitié du siècle à Voltaire. L’école historique formée par Gabriel Le Bras (1891-1970) l’a démontré : la masse des Français reste profondément attachée à la religion catholique. Et ce n’est pas vrai seulement du monde paysan, mais aussi des élites bourgeoises ou aristocratiques. Dans leurs bibliothèques le Spectacle de la nature (1732) en neuf volumes de l’abbé Pluche (1688-1761) s’y rencontre plus fréquemment que l’ouvrage philosophique.

La grande affaire, dans ce domaine, c’est encore l’acceptation ou le refus de la bulle Unigenitus, tournée contre les jansénistes. Encore ne faut-il pas se laisser influencer par les doctes manuels d’histoire religieuse : pour plus de 90 p. 100 des Français, c’est là une question qui n’effleure pas la conscience. Des exaltés qui, au cimetière Saint-Médard, entrent en convulsion sur la tombe du diacre François de Pâris († 1727), ne représentent qu’une frange citadine. Mais question religieuse et affaire politique sont intimement liées, et l’historien décèle sous ce qui n’est pour quelques-uns qu’une mode la traduction d’aspirations profondes. Pour certains curés, la question janséniste et l’opposition à la bulle pontificale imposée par le pouvoir royal (1730), c’est la possibilité de renouer avec le courant richériste qui, dans l’Église, contestait le pouvoir de l’évêque au profit des prêtres. Enfin, à un autre niveau, le rejet de la bulle est un moyen d’affirmer « les libertés » des Français, face au pouvoir spirituel et au pouvoir temporel. Gallicanisme* et jansénisme* seront pour maint parlementaire des justifications à leur désir de s’affirmer comme représentant le peuple face au pouvoir royal. Mais le « pouvoir de faire les lois dans tous les domaines est réservé au roi » (chancelier d’Aguesseau), et le parlement, après lit de justice et exil de 139 de ses membres en 1732, acceptera de ne veiller qu’à leur exécution. À travers l’affaire janséniste, les parlementaires, ces privilégiés, auront joué à bon compte « les sénateurs romains » face à l’arbitraire royal. La petite guerre des aristocrates contre le pouvoir royal se répétera souvent.

Pendant ce temps-là, d’autres Français défendent avec héroïsme leur liberté de conscience. Les protestants continuent d’être persécutés, envoyés au galères, emprisonnés à Bordeaux, ou à Agde, ou dans la tour de Constance d’Aigues-Mortes.

À l’extérieur, la prudence de Fleury maintient la paix avec l’Angleterre. S’il intervient dans la guerre de la Succession de Pologne (1733) et lutte contre l’Autriche, il en tire bénéfice pour le royaume : par le traité de Vienne (1738), le duc François de Lorraine, époux de Marie-Thérèse d’Autriche, cède la Lorraine à Stanislas, père de Marie Leszczyńska. À sa mort, elle reviendra à la France. En échange, la France reconnaît l’autorité du duc François sur la Toscane.


Les essais de réforme (1743-1774)

À la mort de Fleury, le roi décide de gouverner sans Premier ministre. À trente-trois ans, il est dans la force de l’âge et a conservé la beauté de sa jeunesse. Les contemporains, tel François Vincent Toussaint (v. 1715-1772), se plaisent à décrire « la taille avantageuse, la jambe parfaitement bien faite, l’air noble, les yeux grands, le regard plus doux que fier » du monarque. De tempérament délicat, il s’est fortifié au point de soutenir à la chasse comme à la guerre les plus grandes fatigues. « Sa dignité tempérée par la grâce qui lui était naturelle faisait que l’on reconnaissait en lui l’homme né pour plaire aux Français et pour les gouverner » (comte de Saint-Priest).

Mais l’homme manque de caractère. Indolent, il fait son métier de roi à contrecœur et abandonne le plus souvent le gouvernement à ses ministres, qui, chacun dans son département, sont les maîtres des affaires. Il n’est pourtant pas ce « roi fainéant », indifférent aux intérêts de l’État que des historiens à la suite des pamphlétaires du siècle ont stigmatisé. Il sait à l’occasion surmonter son aversion du travail prolongé et la défiance qu’il a de lui-même. Mais le roi aime l’intrigue et joue de l’inquiétude que ses brusques interventions produisent dans l’âme de ses ministres. En même temps qu’elles révèlent le vide habituel du trône, ces interventions contrarient souvent les politiques entreprises sans jamais leur donner cette unité de direction nécessaire à la bonne marche de l’État.

Puis le roi retrouve le « bourreau familier de sa lente existence » : l’ennui. « Ne croirait-on pas, écrivent à ce sujet les Goncourt, qu’il assiste à son règne comme à une cérémonie solennelle, fatale et insupportable ou plutôt comme à une mauvaise pièce ? » « Une femme saura le distraire : c’est dame Le Normant d’Etiolles, née Poisson, qui deviendra marquise de Pompadour*. Svelte, souple, élégante, elle a un visage à l’ovale parfait, des yeux dont la couleur incertaine enchante, une bouche charmante et la plus belle peau du monde » (Le Roy, lieutenant des chasses de Versailles). Bourgeoise, elle a reçu une éducation qui en fait une excellente animatrice de salon. Elle sait attirer les plus beaux esprits de son temps et reçoit Quesnay, Montesquieu ou Rousseau. D’Alembert et Voltaire sont ses amis et elle protège l’œuvre de combat entreprise par les philosophes du siècle : l’Encyclopédie. Mécène, elle fait travailler Gabriel, Boucher ou Quentin de La Tour. Mais elle s’immisce aussi dans les affaires politiques ; elle aide la carrière de qui la sert, elle fait renvoyer qui lui déplaît, tels Orry en 1745 ou Maurepas en 1749. En fait, derrière elle, c’est encore le monde de la finance dont elle tire ses origines qui cherche à contrôler un gouvernement de plus en plus discrédité.

Ce gouvernement « à la turque », où le pouvoir est « dilué » (H. Méthivier), est attaqué par les élites, bourgeoise et nobiliaire. Celles-ci jouent de leur clientèle pour ternir l’image du souverain. Louis le Bien-Aimé pour qui la France entière pria lorsque la maladie manqua le terrasser (1744) devient Louis le Mal-Aimé que les publicistes brocardent. En 1751, on trouve ainsi répandues dans les rues de Paris de petites cartes où il y a : « Rasez le roi et pendez la Pompadour. » Mais Louis XV n’est qu’un des principaux acteurs d’un drame dont il n’est pas le responsable et qui tient à la crise de la société.