Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XIV (suite)

Cette adolescence agitée et pérégrine, si elle est néfaste à sa culture livresque, lui apprend à connaître très tôt les hommes et les choses de son royaume. En outre, le cardinal Mazarin*, investi de la confiance de la reine régente et qui gouverne en son nom de 1643 à 1661, l’initie au gouvernement. Malgré l’amour de son élève pour sa propre nièce, Marie Mancini (1640-1715), le cardinal lui impose le mariage avec l’infante d’Espagne Marie-Thérèse (1638-1683), couronnement de sa politique, qui triomphe en 1659 au traité des Pyrénées.

À la mort du cardinal, en 1661, Louis décide de gouverner par lui-même, ce qui est « révolutionnaire » dans l’Europe d’alors, où ministres et favoris gouvernent au nom des rois. Il élimine d’un coup le surintendant des Finances, Fouquet*, accusé de prévarication, et donne sa confiance à Colbert*, que Mazarin lui a recommandé.

De 1661 à 1715, cette volonté de gouverner par lui-même ne se relâchera pas un seul instant. Louis XIV exercera ce qu’il appelle le « métier de roi » avec la conscience — puisée dans la notion profonde de ses devoirs envers Dieu, des devoirs de ses sujets envers lui — d’être l’« oint du Seigneur », le représentant de Dieu sur terre. Il écrira dans ses Mémoires : « Ce qui fait la grandeur et la majesté des rois n’est pas tant le sceptre qu’ils portent que la manière de le porter. C’est pervertir l’ordre des choses que d’attribuer la résolution aux sujets et la déférence au souverain. C’est à la tête seule qu’il appartient de délibérer et de résoudre et toutes les fonctions des autres membres ne consistent que dans l’exécution des commandements qui leur sont donnés. »

L’essence de sa doctrine politique, l’absolutisme, auquel Richelieu* et Mazarin avaient préparé la voie et dont il sera le champion, est contenue dans ses formules. Elles expliquent sa politique étrangère brutale, son orgueil, son égoïsme, ses erreurs tragiques, telles la révocation de l’édit de Nantes ou la persécution des jansénistes, avec la prétention d’imposer sa loi aux consciences mêmes de ses sujets.

Pareillement, elles font comprendre pourquoi il sera toute sa vie un travailleur acharné, passionnément attaché à remplir toutes les charges de son « métier », à en goûter tous les plaisirs aussi. Il sera aidé par sa constitution particulièrement robuste, qui était capable de résister à tous les excès, ceux du travail, de la chasse, de la table, de l’amour, de la maladie et des médecins. En cela, il ressemble plus à son grand-père Henri IV qu’au valétudinaire Louis XIII.

De son aïeul, il a le tempérament amoureux. Ses maîtresses : Louise de La Vallière (1644-1710), Montespan (1640-1707), Fontanges (1661-1681) ne sont que les plus célèbres et les plus durables de ses innombrables passions. Il comblera de biens ses différents bâtards, qu’il légitimera, surtout les deux fils de Mme de Montespan, le duc du Maine (1670-1736) et le comte de Toulouse (1678-1737) ; il prendra soin, en outre, de les marier à sa descendance légitime. Ainsi, il obligera son neveu Philippe d’Orléans (1674-1723), le futur Régent, à épouser Mlle de Blois, fille de Mme de Montespan, ou bien une petite-fille du Grand Condé à s’unir au duc du Maine. Mais l’influence des maîtresses sur les affaires du royaume est à peu près nulle, de par la volonté même du roi.

C’est donc toujours le roi et non l’homme privé qui a le dernier mot, au point que l’homme s’estompe et disparaît derrière le Roi-Soleil, toujours en représentation et esclave de l’étiquette, héritage maternel, d’ailleurs plus dans la tradition espagnole que française.

Est-ce l’effacement de l’individu derrière le personnage royal qui a empêché l’histoire de rendre justice au Grand Roi ? Il faut se rendre à l’évidence, il y a un « cas Louis XIV ». Trop peu d’historiens ont fait l’effort de replacer le personnage dans son temps et de le comprendre en fonction de son époque et d’un univers mental si différent du nôtre. Certains l’ont louange exagérément, d’autres en ont fait le type du monarque absolu, tyrannique, égoïste et soucieux de sa seule gloire, sans se rendre compte que Louis XIV ne fut jamais sensiblement différent des autres souverains de son temps, mais que, à cause de la force de son royaume, de l’exceptionnelle pléiade de génies qui illustrent son règne, du sentiment particulièrement aigu aussi qu’il avait de la grandeur de son rôle, il accentua seulement, mais jusqu’au paroxysme, les avantages et les inconvénients de l’absolutisme. Tendance politique qui est celle de l’époque, des Provinces-Unies de Guillaume* d’Orange et de Daniël Heinsius (1580-1655) à l’Angleterre des Stuarts ou au Brandebourg du Grand Électeur.

Si l’homme nous reste encore mystérieux, en revanche ce qui fut la passion dominante de son existence, la recherche de la gloire et de la grandeur — gloire de son royaume, qui se confondait pour lui avec la sienne propre —, nous est bien connu. Il écrit : « Vous remarquerez toujours en moi la même passion pour la grandeur de l’État, et la même ardeur pour la véritable gloire. »


Le royaume

Ce désir, il essaiera de l’accomplir par une politique de prestige et une suite de guerres de conquête. Le roi avait-il les moyens de mener à bien cette politique ? Pour répondre à cette question, il faut se demander quel était alors l’état de la France et quels étaient les instruments de gouvernement à la disposition du pouvoir.

Malgré les ravages occasionnés par la Fronde, la France en 1661 est un pays riche. P. Goubert écrit : « Le fait le plus caractéristique est l’augmentation des impôts dus aux guerres de Louis XIII et de Mazarin. Le montant des tailles des seuls pays d’élection passe de 20 millions en 1624 à 45 en 1635 et les impopulaires gabelles de 7 à 14 millions dans le même temps. Ce qui frappe le plus c’est l’extraordinaire richesse du royaume qui fut capable de supporter cela. Un tel effort n’affecta sérieusement ni l’équilibre financier, ni la balance des comptes, ni la solidité de la monnaie, la preuve en est qu’il ne fallut pas trois ans à Colbert pour mettre clarté et ordre dans les finances. »