Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Lorraine (suite)

La guerre de 1870 marque profondément la région. D’abord par les batailles qui se livrent en Moselle et près de la Belgique, puis surtout par la partition douloureuse qui fait de la Moselle un département allemand. La nouvelle frontière pose des problèmes aux Français et aux Alsaciens-Lorrains, sujets du Kaiser. La partie de la Lorraine devenue étrangère reste pour vingt ans étonnamment française de cœur et d’esprit. Les députés au Reichstag sont élus pour protester contre l’annexion (Mgr Dupont des Loges [1804-1886], Dominique Antoine [1845-1917]). Cependant, à partir de 1890 environ, on commence à admettre les « faits accomplis ». Les nouveaux occupants, immigrés en grande quantité, prennent le dessus. L’économie, fortement touchée dans certains secteurs par les départs de 1871, atteint et dépasse vite son ancien niveau. La sidérurgie, par exemple, que les Prussiens ont voulu faire leur, connaît un essor parallèle de part et d’autre de la frontière. Une nouvelle génération vient à la vie politique. Mais les sentiments français restent très vivaces, et l’on espère toujours le retour à la France.

Du côté de Nancy, dont la population s’est gonflée des réfugiés et des optants, il faut aménager la nouvelle frontière (voie ferrée de Longwy à Nancy ; système de fortifications mis en place, à partir de 1875, par le général R. Séré de Rivières), accueillir les Alsaciens-Lorrains, exalter le patriotisme et animer l’esprit de revanche. Les politiciens de la Meuse et des Vosges sont actifs à Paris ; Jules Ferry*, Raymond Poincaré* en sont de brillantes illustrations.

La Lorraine française connaît de 1870 à 1914 une réelle activité dans tous les secteurs. Le fer devient une vraie richesse. Les Vosges groupent dans leurs vallées des usines textiles nombreuses, animées par les Alsaciens. La cristallerie a beaucoup de succès (Nancy, Baccarat), et l’activité artistique d’Émile Gallé (1846-1904), dont les créations se vendent dans le monde entier, contribue à son maintien. La campagne connaît de moindres modifications. L’agriculture traditionnelle prédomine dans les petits villages, partout semblables avec leurs coutumes d’assolement triennal, leur polyculture prudente. L’élevage gagne peu à peu, et la vigne, qui se réduira bientôt à quelques exploitations isolées, a encore besoin des faveurs.

La Première Guerre mondiale laisse des ruines impressionnantes, et les traces n’en sont pas encore partout effacées un demi-siècle après. La reconstruction est lente et difficile. La vie politique est dominée par les anciens combattants, le souvenir de Verdun, la peur de l’Allemand. La Moselle recouvrée est autorisée à conserver le régime anachronique d’avant 1870 (concordat, institutions judiciaires particulières). L’on est à peine remis de cinq ans de guerre cruelle quand le conflit reprend en 1940. La Lorraine, vite occupée, de nouveau « annexée » pour une partie à l’instar de la période 1870-1918, voit sa population bouleversée. Mais partout les Allemands maintiennent la production agricole et industrielle à leur profit, créant notamment le régime particulier de l’Ostland pour une vaste entreprise d’annexion des terres. Depuis 1945, la Lorraine, lentement rebâtie, fait face à des problèmes économiques difficiles, qu’une politique gouvernementale insuffisante ne contribue pas à régler.

M. P.

 C. Pfister, Histoire de Nancy (Berger-Levrault, Nancy, 1902-1908 ; 3 vol.). / M. Toussaint, la Lorraine à l’époque gallo-romaine (Dory, Nancy, 1928). / Histoire de Lorraine (Soc. lorraine des études locales, Nancy, 1939). / J. Schneider, Histoire de la Lorraine (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1951, 2e éd., 1967). / C. Gérard, la Lorraine (Arthaud, 1964). / G. Poull, la Maison ducale de Lorraine (l’auteur, Rupt-sur-Moselle, 1968). / La Lorraine dans l’Europe des lumières (Fac. des lettres, Nancy, 1968). / E. Hlawitschka, Die Anfänge des Hauses Habsburg-Lothringen (Sarrebruck, 1969). / Le Diocèse de Metz (Letouzey et Ané, 1970). / S. Bonnet, Sociologie politique et religieuse de la Lorraine (A. Colin, 1972).


L’art en Lorraine et Barrois

La civilisation gallo-romaine a produit en Lorraine des monuments d’architecture, tel l’amphithéâtre de Metz. L’originalité artistique de cette région charnière a souvent résulté d’une fusion d’influences dominées. Le Musée historique lorrain de Nancy et celui des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye conservent de nombreux objets de fouilles (armes, damasquinures, bijoux, représentations d’animaux) attestant l’occupation, à l’époque mérovingienne, par les Alamans, les Alains, les Francs, des vallées du Rhin et de la Moselle. Datant de l’époque carolingienne, qui voit également naître de précieux manuscrits enluminés, la célèbre statuette équestre de Charlemagne* en bronze (musée du Louvre) porte témoignage d’un haut degré d’aptitude aux arts du métal ; au xiie s., l’orfèvre Nicolas de Verdun (v. mosan [art]) étend son influence aux régions scaldienne et rhénane. Le trésor de la cathédrale de Metz*, en grande partie dispersé, eut une grande célébrité. La cathédrale de Verdun*, qui remonte aux xie-xiie s., est d’ascendance à la fois germanique et bourguignonne.

Les sculpteurs du xiiie s. se montrent sensibles aux séductions de la statuaire champenoise, notamment dans des ouvrages de petites dimensions (Vierge à l’Enfant, xive s., cloître de la cathédrale de Saint-Dié ; Couronnement de la Vierge, xve-xvie s., musée de Cluny à Paris). Dans le domaine des arts de la couleur, les vitraux de la cathédrale de Toul sont à signaler, de même qu’un plafond de bois peint (xiiie s.) conservé au musée de Metz et surtout une nouvelle série de manuscrits d’origine messine, très finement décorés (Bréviaire de Marguerite de Bar, xve s., bibliothèque de Verdun). Deux églises de pèlerinage, celle d’Avioth (xive s.) et surtout la basilique de Saint-Nicolas-de-Port (xve-xvie s.), marquent le passage de l’architecture gothique au style flamboyant.