Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lorraine (suite)

Les grandes industries

Le travail du fer et du verre était connu en Lorraine depuis au moins le xviie s. La grande industrie, née au xixe s., devait, cependant, bouleverser les paysages traditionnels.


Le sel

Exploité de façon artisanale depuis la préhistoire, le sel a été pendant des siècles le produit de base le plus exporté de Lorraine. Dans l’est de la région, la richesse en sel des couches du Trias donne lieu à deux méthodes d’exploitation. Dans les « salines », le sel dissous est pompé à la surface. Là où les couches sont intéressantes, il peut être extrait par galerie. Jadis, l’exploitation se déroulait dans une vaste région délimitée par les villes de Château-Salins, de Dieuze, de Sarralbe et de Dombasle. Aujourd’hui, elle tend à se concentrer autour de Dombasle-sur-Meurthe. Deux sociétés dominent l’extraction et la fabrication des produits dérivés, Kuhlmann et Solvay. La production de carbonate de sodium est de 1 Mt.


Le charbon

La situation frontalière a lourdement pesé sur l’essor du bassin houiller. En effet, le bassin lorrain n’est que le prolongement sud-ouest du bassin sarrois, qui fut exploité d’abord. L’annexion de 1871 ne fut pas un facteur favorable, car les industriels allemands ne voulurent pas se créer de concurrent. La production ne s’élevait qu’à 3,8 Mt en 1913. Le charbon de la Ruhr, en partie pour sa qualité meilleure, a eu pendant longtemps la préférence des industriels lorrains. Il a fallu attendre la lin de l’antagonisme franco-allemand, après 1945, pour que l’extraction prenne de l’ampleur. La découverte d’un procédé permettant l’utilisation de charbon lorrain pour la fabrication de coke métallurgique fut favorable. Techniquement, l’exploitation n’est pas trop difficile. Les couches carbonifères plongent vers le sud ; c’est à proximité de la frontière que l’extraction est la plus facile. Les morts-terrains aquifères n’ont que 80 m d’épaisseur à Petite-Rosselle, mais 400 m à Faulquemont, où l’extraction est aujourd’hui arrêtée. L’épaisseur moyenne des couches productrices ne dépasse pas 2 m. À Merlebach, on compte une vingtaine de veines totalisant 75 m de houille. En 1959, la profondeur moyenne d’extraction se situait à 600 m ; elle avoisine aujourd’hui 700 m. Constamment modernisées, les Houillères du Bassin de Lorraine connaissent la productivité la plus élevée parmi les grandes Houillères françaises. Cependant, à la suite de l’évolution du marché des produits énergétiques, leur production n’a cessé de décroître : plus de 15 Mt autour de 1960, 10 Mt seulement en 1975. Malgré ce recul, la Lorraine assure plus du tiers de la production nationale et est devenue le premier bassin français. Les effectifs ont baissé considérablement, tombés d’une quarantaine de milliers de travailleurs vers 1950 à moins de 24 000 en 1976. L’utilisation de la houille par la carbochimie qui s’est développée autour de Saint-Avold et Carling, la cokéfaction (Carling, Marienau) et la production d’électricité surtout (Carling encore, vallée de la Moselle) ne suffisent pas à maintenir la production. Le gaz naturel des Pays-Bas est vendu aujourd’hui jusque dans le bassin. Le pétrole débarqué sur les bords de l’étang de Berre arrive, lui aussi, dans le bassin (étant raffiné à Hauconcourt, près de Metz). La carbochimie n’emploie guère plus de 5 000 travailleurs. La crise de l’emploi attire de plus en plus le bassin houiller dans l’orbite sarroise.


Les mines de fer et la sidérurgie

Contrairement à bien d’autres régions, la sidérurgie lorraine est installée sur le gisement ferrifère et non sur le gisement houiller. L’exploitation du minerai de fer a subi les vicissitudes de la politique et des données techniques. Si la « minette » lorraine a été utilisée dès le xviie s., son fort pourcentage de phosphore lui enleva longtemps son intérêt industriel. C’est parce que le procédé de déphosphorisation Thomas-Gilchrist (1877) n’était pas encore inventé lors du traité de Francfort (1871) et qu’on ignorait alors encore l’importance du bassin ferrifère de Briey que ce dernier put rester français. Le bassin ferrifère lorrain fut divisé par la nouvelle frontière franco-allemande. Dans la partie annexée, l’Allemagne a extrait surtout du minerai, se préoccupant moins de développer la sidérurgie. Par contre, la France, pauvre en grandes régions sidérurgiques, favorisa l’essor d’une sidérurgie frontalière. La victoire de 1918 unifia le bassin industriel. Les concessions minières actuelles s’étendent sur plus de 120 000 ha. Le minerai a une teneur rarement supérieure à 31 p. 100 ; au-dessous, on tend à l’enrichir ; le maximum d’enrichissement permet d’obtenir un produit ayant 50 p. 100 de fer. La faible teneur naturelle est compensée par les facilités d’extraction. En effet, les couches, peu inclinées, se situent entre 100 et 300 m. Au début, l’exploitation se faisait par carrières et galeries en partant des vallées. Aujourd’hui, l’extraction par puits en partant du plateau est presque exclusive. Le bassin n’est pas d’un seul tenant. Sur une longueur de 25 km, de Marbache à Arnaville, l’anticlinal de Pont-à-Mousson introduit une zone stérile. On peut distinguer deux sections d’extension inégale : au nord, la région Briey-Longwy-Thionville, la plus importante ; au sud, la zone de Nancy. La production s’élève au total à 47,6 Mt, en baisse, en raison de la concurrence des minerais d’outremer. Le département de Meurthe-et-Moselle, avec près de 30 Mt, est le principal producteur. L’extraction est, le plus souvent, le fait des sociétés sidérurgiques. La crise a surtout touché les sociétés commerciales, travaillant pour une exportation aujourd’hui pratiquement arrêtée.

La fabrication de la fonte et de l’acier avait permis très tôt à la famille De Wendel de jouer un rôle décisif dans l’économie lorraine. Cependant, pendant l’annexion, certains groupes allemands avaient entrepris la production d’acier et de fonte : Thyssen à Hagondange, Klöckner à Knutange, Später à Rombas, Röchling à Thionville, Sturm à Uckange. En 1913, leurs usines produisaient 3,5 Mt de fonte et 2,8 Mt d’acier. Mais, de part et d’autre de la frontière, on hésitait alors à implanter de grosses unités de production. Le retour à la France a permis à des sociétés françaises d’absorber les entreprises allemandes confisquées par l’État français. Cependant, toujours pour des raisons politico-militaires, il faudra attendre 1945 pour assister au véritable essor de la sidérurgie lorraine. Jusqu’à la mise en service de l’usine sidérurgique de Dunkerque (1963), la Lorraine produisait, en moyenne, 71 p. 100 de la fonte et 63 p. 100 de l’acier français. Depuis quelques années, la production a tendance à stagner. La création de « Solmer » à Fos-sur-Mer marque une nouvelle étape pour la sidérurgie lorraine. En 1975, la fonte ne représente plus que 68 p. 100 et l’acier 47 p. 100 de la production nationale. Les usines sidérurgiques des vallées de l’Orne, de la Fentsch et de la Chiers ferment les unes après les autres. La fonte liquide est dirigée par wagons spéciaux, à une température élevée, à l’usine de Gandrange, qui sera sans doute la dernière grande unité sidérurgique construite en Lorraine. La migration de la sidérurgie vers les littoraux est vraisemblablement une évolution logique. Néanmoins, elle pose le problème de la reconversion de l’économie. Certaines villes ont déjà subi le contrecoup des fermetures d’usines et de mines. Briey, Longwy, Moyeuvre-Grande ont vu leur population diminuer entre les deux recensements de 1962 et 1968. Moyeuvre-Grande a enregistré la fermeture de son usine sidérurgique, qui, en 1951, comptait 5 000 travailleurs. En 1962, l’ensemble de la sidérurgie employait 93 000 ouvriers. En 1971, les effectifs sont tombés à moins de 65 000. Quant aux effectifs des mineurs (fer), ils sont passés de 18 000 en 1965 à 10 000 en 1971. Le regroupement de la sidérurgie lorraine en deux puissants groupes, Usinor (région de Thionville) et Wendel-Sidelor, le plus important (Hayange-Gandrange), laisse présager une nouvelle réduction des effectifs. La lenteur des implantations d’industries nouvelles explique un courant d’émigration qui affecte d’abord les jeunes.