Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

loisirs (suite)

Il est exact, par exemple, que, dans la société française, la diminution du nombre d’heures de travail hebdomadaire durant ces trente dernières années n’a pas été très nette. La durée du travail a même nettement augmenté de 1936 à 1950, pour stagner ensuite pendant une vingtaine d’années autour de 45 heures environ. Cependant, depuis les accords de Grenelle en 1968, le mouvement de diminution de la durée de la semaine de travail a repris. Ainsi, la durée moyenne du travail dans le secteur non agricole, qui était de 46 heures jusqu’en 1967, est descendue à 45 heures en 1969, et le Commissariat au plan prévoit qu’en 1975 cette durée tombera d’au moins 1 heure 30, c’est-à-dire qu’elle atteindra 44 ou 43 heures. D’autre part, pendant cette même période (1967-1971), la semaine de 5 jours de travail a eu tendance à se généraliser. C’est une revendication actuelle pour un nombre croissant de travailleurs. L’année de travail s’est raccourcie : les 12 jours de congés payés acquis en 1936 sont devenus 3  semaines, puis, après 1968, un mois pour la majorité des salariés. Et les idées évoluent : en 1963, un sondage national de l’I. F. O. P. montrait que, parmi les ouvriers, environ un tiers préféraient une diminution des heures de travail plutôt qu’une augmentation de salaire, mais les deux tiers faisaient le choix inverse. Or, depuis cette époque, une actualité nouvelle a été donnée à la diminution de la durée de la semaine de travail (samedi libre tout entier) ainsi qu’à l’avancement de l’âge de la retraite. Et, dans un sondage réalisé à la Régie nationale des usines Renault, 65 p. 100 du personnel de Boulogne et 80 p. 100 du personnel du Mans ont déclaré préférer raccourcir le temps de travail plutôt qu’augmenter leur revenu (O. S. travail normal : 43,7 p. 100 Boulogne ; 78,4 p. 100 Le Mans — O. S. en équipe : 55,4 p. 100 Boulogne ; 87,9 p. 100 Le Mans) [H. Faure et J. C. Backe, la Consommation, no 2, 1971].

En ce qui concerne la société américaine, certains auteurs ont pu soutenir que ce mouvement général vers la diminution du temps de travail pouvait être mis en doute. H. Wilenski a utilisé des informations partielles relatives à certaines catégories de travailleurs grâce à des observations sur la durée de la semaine et de la vie de travail. Depuis le moment où il a établi ces calculs, deux études quantitatives exhaustives ont paru : celle de Peter Henle et celle de Marion Clawson, qui permettent de serrer de plus près l’évolution réelle globale. L’étude de Peter Henle, qui porte sur l’évolution de 1948 à 1966, permet de faire le point. Elle révèle deux modèles. Tout d’abord il est exact que le nombre des salariés non agricoles qui travaillent plus de 48 heures par semaine a doublé en 18 ans, puisqu’il est passé de 4,8 à 9,4 millions, soit de 12,9 à 19,7 p. 100. Ces travailleurs sont en général ou de grands « managers » ou des ouvriers peu qualifiés, des employés de maison, de petits commerçants. Mais il ne faut pas oublier que la proportion de ceux qui travaillent 40 heures et moins est passée dans le même temps de 56,6 à 64,5 p. 100 : ils représentent donc la grande majorité. Depuis ces cinq dernières années, la tendance à la diminution s’est encore accrue avec une croissance rapide des employés à temps partiel, surtout pour la main-d’œuvre féminine, dont la part dans le travail professionnel a été croissante. Outre que la semaine de 4 jours (de 9 à 10 heures) est en plein essor (400 entreprises en septembre 1971), la tendance à l’accroissement de la durée des vacances est récente et générale. En 1971, selon un rapport récent du « Bureau of statistics », la majorité des salariés disposait en fait de 3 semaines de vacances, malgré une législation rétrograde sur ce point par rapport à celle de la France.


Loisir et durée des obligations domestiques et familiales

Une partie du temps libéré par le travail professionnel est occupée non par le loisir, mais par les obligations familiales : le travail domestique, les courses, le temps de la nourriture ou des soins, l’éducation des enfants, etc. Dans le budget-temps d’un salarié urbain (1960), le temps consacré à ces obligations est de 4 heures 1/10 par jour en moyenne en France, de 4 heures 4/10 en Tchécoslovaquie, de 3 heures en U. R. S. S., de 3 heures 3/10 aux États-Unis. Cependant, la conjonction des progrès de la science et des mouvements de libération de la femme associés à ceux de la révolte des jeunes a fait évoluer la conception de ce qu’on appelle les activités familiales. L’expression est équivoque ! De quoi s’agit-il dans les faits ? Parmi ces activités, lesquelles sont nécessaires, lesquelles sont facultatives ? Certaines activités sont imposées par les fonctions et le fonctionnement des ménages (que le ménage soit composé d’un célibataire, d’un couple ou d’une collectivité) ; les autres ne sont-elles pas des loisirs ou des semi-loisirs ?

Une enquête de 1970 dirigée par Evelyne Sullerot sur un échantillon représentatif permet de distinguer dans toutes les classes sociales, à des degrés variables, un « éclatement du travail ménager » conçu comme une nécessité et un devoir indiscutés. Ce travail éclate en occupations différentes, par le degré de nécessité qu’elles présentent aujourd’hui ; ainsi, la fabrication des confitures, le rangement des armoires ne sont pas à placer sur le même plan que le ménage ou la vaisselle. Il s’ensuit que toutes ces tâches ne peuvent plus être rangées sous le titre générique « travail ». Une partie des anciennes tâches ménagères est devenue loisir ou semi-loisir, à choisir parmi d’autres loisirs, à partir d’un certain seuil de la consommation de masse et du niveau de revenus. Le travail éducatif avec les enfants, sauf pour les enfants en bas âge, lui non plus n’exige plus cette présence constante, qui s’accompagnait d’une distinction nette entre l’obligation pédagogique et le loisir. L’action des médecins, des éducateurs, des « copains » relaye en partie celle des parents. Les jeunes revendiquent de plus en plus une autonomie dans l’emploi de leur temps et de leur argent en dehors des obligations scolaires ou familiales ; il s’agit de ce qu’il faut bien appeler d’une expression plus forte que jeux d’enfants ; c’est en fait une vie latérale qui a les mêmes caractères que pour l’adulte et qui relève du loisir. Dans la société américaine, quoique, selon un récent sondage national, les deux tiers des jeunes de 15 à 25 ans aient des idéaux de vie professionnelle, scolaire, familiale identiques à ceux de leurs parents, la quasi-totalité de ces jeunes revendique cette autonomie croissante du loisir. Il s’ensuit que les activités éducatives de la mère se scindent en un travail éducatif — toujours et peut-être de plus en plus nécessaire — et des activités de loisirs ou de semi-loisirs partagés avec les enfants en sorties, en vacances, en week-ends, où la nécessité éducative et le loisir personnel sont de plus en plus mêlés, où l’affection nécessaire et l’affectivité non nécessaire sont à distinguer selon les besoins de chaque personnalité.