Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

logique (suite)

Une importance particulière doit être accordée à la sémantique des stoïciens, qui présente des analogies importantes avec celle d’auteurs comme Frege et Husserl*. Cette sémantique se fonde sur une distinction fondamentale entre trois éléments : deux éléments « corporels », le signifiant linguistique, c’est-à-dire le signe parlé ou écrit, par exemple le nom « Socrate », et l’objet, désigné par le signe, en l’occurrence l’individu Socrate ; et un élément « incorporel », le signifié (lekton), c’est-à-dire la signification du signe, qui doit être distinguée à la fois de la chose dénotée et de la représentation mentale qui accompagne éventuellement le signe. Dans la conception des stoïciens, c’est sur des lekta, et non pas sur les expressions linguistiques auxquelles ils correspondent, que porte la logique.

Les lekta font l’objet d’une classification détaillée. Ils se divisent d’abord en déficients et complets. Les déficients sont exprimés par des noms propres et communs ou par des verbes ; les complets par des phrases entières. Au nombre des lekta complets figurent donc, à côté des propositions proprement dites, les questions, les ordres, les souhaits, les prières, etc. La logique ne s’intéresse évidemment qu’aux propositions, qui sont des lekta complets susceptibles d’être dits vrais ou faux. Une proposition au sens des stoïciens est la signification d’une phrase déclarative. Les propositions se divisent à leur tour en simples et composées, une distinction qui correspond assez bien à celle que nous faisons aujourd’hui entre les propositions « atomiques » et les propositions « moléculaires ». Une proposition simple est une proposition qui ne comporte aucun connecteur binaire (la négation d’une proposition simple est considérée encore comme une proposition simple). Une proposition composée relie deux propositions plus simples à l’aide d’un connecteur. À côté de connecteurs proprement dits comme l’implication, la conjonction et la disjonction, les stoïciens semblent avoir considéré également des liaisons interpropositionnelles non extensionnelles — c’est-à-dire caractérisées par le fait que la proposition composée n’est pas une fonction de vérité des propositions composantes — comme, par exemple, les liaisons causales ; mais, comme il se doit, ces dernières n’interviennent pas dans leurs travaux de logique proprement dite.

En ce qui concerne la négation, la logique stoïcienne manifeste un souci d’exactitude tout à fait remarquable, insistant notamment sur la nécessité de former la négation d’une proposition en utilisant un signe de négation préfixe, qui fasse reconnaître clairement que la négation porte sur l’ensemble de la proposition. La disjonction utilisée par les stoïciens est la disjonction exclusive, la proposition disjonctive « ou p ou q » n’étant vraie que lorsqu’une et une seule des deux propositions p et q est vraie. Mais ils connaissent également la disjonction inclusive : « Socrate se promène ou Socrate discute. » Une recommandation de Chrysippe à propos des formules des devins montre qu’il savait comment exprimer l’implication matérielle à l’aide de la négation et de la conjonction.

Comme la syllogistique aristotélicienne, la logique des propositions stoïcienne est présentée sous forme de théorie déductive. Les éléments en sont non pas des propositions, mais des suites de propositions représentant des inférences valides. Les schémas d’inférence reconnus sont cinq schémas primitifs utilisés comme « axiomes » et tous ceux qui peuvent être ramenés à ceux-là à l’aide de certaines règles bien définies. Les cinq formes d’inférence fondamentales sont formulées de la façon suivante (les nombres ordinaux représentent des propositions) :
I. Si le premier, alors le second, or le premier, donc le second ;
II. Si le premier, alors le second, or pas le second, donc pas le premier ;
III. Pas à la fois le premier et le second, or le premier, donc pas le second ;
IV. Ou le premier ou le second, or le premier, donc pas le second ;
V. Ou le premier ou le second, or pas le second, donc le premier.
À partir des cinq indémontrés ci-dessus, les stoïciens effectuaient la démonstration d’un grand nombre de raisonnements en utilisant quatre métarègles, dont nous ne connaissons que deux, la première et la troisième. La première était : « Si de deux propositions on peut déduire une troisième, alors l’une ou l’autre des deux premières avec la négation de la troisième permet de déduire la négation de la proposition restante. » Et la troisième : « Si de deux propositions on peut déduire une troisième, et s’il y a des propositions dont une des prémisses peut être déduite, alors l’autre prémisse en conjonction avec les propositions en question permet de déduire la conclusion. » Les stoïciens semblent avoir considéré que leur système était complet, c’est-à-dire que toute inférence valide de la logique des propositions pouvait être réduite en dernière analyse à une chaîne d’inférences appartenant aux cinq types primitifs. Comme nous ne connaissons pas toutes les métarègles dont ils se servaient, il ne nous est pas possible de dire si cette prétention était ou non justifiée.

Parmi les arguments mentionnés comme conséquences des axiomes, on peut citer les deux suivants, dont la démonstration ne nous est pas parvenue :
Si le premier, alors le second, si le premier, alors pas le second ; donc pas le premier.
Ou le premier ou le second ou le troisième, pas le premier, pas le second ; donc le troisième.
Du deuxième, Chrysippe disait qu’il est accessible même à un chien (lorsqu’il suit une trace et doit choisir entre trois chemins différents).


La fin de l’Antiquité

L’histoire de la logique ancienne après Chrysippe ne comporte pas de nom qui puisse être mis sur le même plan que le sien ou celui d’Aristote. C’est la période des manuels et des commentaires, qui se caractérise à la fois par le manque d’invention et le syncrétisme. Parmi les auteurs que l’on peut créditer de quelque contribution réellement novatrice, il faut citer Apulée et Galien (iie s. de notre ère), Porphyre (fin du iiie s.) et Boèce (ve-vie s.) ; parmi les commentateurs, Alexandre d’Aphrodisias, un philosophe péripatéticien (iie-iiie s.) dont le commentaire sur l’Organon reste une des meilleures sources pour l’exégèse de cette œuvre, Jean Philopon (v. 490-566), qui a donné une définition devenue classique des termes du syllogisme, et Simplicius (vie s.).