Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

livre (sociologie du) (suite)

 P. Otlet, Traité de documentation. Le livre sur le livre (Bruxelles, 1935). / R. Escarpit, Sociologie de la littérature (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1958) ; la Révolution du livre (P. U. F., 1965 ; 2e éd., 1970). / P. Angoulvent, l’Édition française au pied du mur (P. U. F., 1960). / L. Goldmann, Pour une sociologie du roman (Gallimard, 1964). / J. Duvignaud, Sociologie du théâtre. Essai sur les ombres collectives (P. U. F., 1965). / R. Estivals, la Statistique bibliographique de la France sous la Monarchie au xviiie siècle (Mouton, 1965) ; la Bibliométrie bibliographique (Lille, 1971).

livret d’opéra et d’opéra-comique

Argument littéraire d’un ouvrage dramatique musical.


En raison d’une machinerie de plus en plus considérable qui exigeait des dépenses croissantes, l’art lyrique devait être de plus en plus tributaire à la fois des succès dont dépendaient les recettes et d’une aide susceptible de couvrir les dépenses ou de combler les déficits. Cela impliquait la soumission, plus étroite que pour aucun autre genre musical, à des impératifs non seulement esthétiques, mais moraux, voire politiques, soumission en dehors de laquelle le succès ou l’appui financier demeureraient problématiques. Aucun domaine, depuis sa naissance, n’aura plus souffert des convenances nuisibles à la vérité que l’expression dramatique ; à celle-ci d’ailleurs le public, par trop différent de celui des concerts, s’est montré jusqu’à nos jours moins sensible qu’à la splendeur du spectacle ou aux prouesses des chanteurs. Pour se renouveler, aucune forme n’aura enfreint plus de servitudes, brisé plus de conventions, donc suscité davantage de querelles. Cela permet de mesurer les handicaps qui ont pesé d’abord sur le librettiste. Comment expliquer les édulcorations de Shakespeare ou de Virgile par Nahum Tate (1652-1715), librettiste de Purcell, sinon par le puritanisme de l’Angleterre de Charles II ? Comment justifier les amenuisements de Molière ou de Beaumarchais par Lorenzo Da Ponte (1789-1838), librettiste de Mozart, sans tenir compte du despotisme — éclairé ou non — de Joseph II ? Comment admettre les dénaturations de Mérimée par Henri Meilhac (1831-1897) et Ludovic Halévy (1834-1908), librettistes de Bizet, sans évoquer l’« ordre moral » de la France de Mac-Mahon ? Cela dit, le librettiste est apparu, dès la naissance de l’opéra, comme un tailleur à qui le musicien imposait de couper à ses mesures. En ce sens, Lully trouva chez Philippe Quinault (1635-1688), Purcell chez Dryden, Richard Strauss chez Hugo von Hofmannsthal un poète dont le talent s’accommodait d’exigences aussi tyranniques sans abdiquer sa personnalité. Certains vers de Quinault (« Les oiseaux enchantés se taisent pour l’entendre »), qui, dans la tragédie lyrique et l’opéra-ballet, ne sera ni égalé ni dépassé, sont dignes de Racine. Par souci de vraisemblance et de naturel, le xviiie s. délaissera le symbole mythologique pour se tourner vers des sujets d’actualité. Il cherchera son propre reflet dans l’opéra-comique. Au point — fait nouveau — de discuter âprement l’adaptation par Poinsinet (1735-1769) — laquelle ne pouvait être qu’incomplète et donc imparfaite — du roman réaliste de Fielding, Tom Jones, pour F. A. Philidor (1765).

À l’aube du xixe s., dans le lied et la musique de scène, l’association de compositeurs et de poètes ou dramaturges d’égale stature annonce le renouvellement du livret. Prônant l’union étroite du geste, de la poésie et de la musique, Wagner sera, dès ses débuts, son propre librettiste. Il suscite des émules, surtout en France, et d’abord Berlioz, qui écrit lui-même le poème des Troyens (1855-1858) — essai de contrepoids latin à la Tétralogie — après avoir, dans la Damnation de Faust (1846), ajouté du sien aux traductions de Nerval et de A. Gandonnière. Dans cette même voie de créateur unique s’engageront E. Chausson (le Roi Arthus, représenté seulement en 1903), Bréville (Éros vainqueur, 1910), A. Magnard (Yolande, 1888-1891), d’Indy (l’Étranger, 1903 ; la Légende de Saint-Christophe, 1915 ; Fervaal, 1887-1895 ; le Chant de la cloche, 1879-1883), A. Bruneau (Naïs Micoulin, 1906 ; les Quatre Journées, 1908-1916), S. Lazzari (la Tour de feu, 1928), R. Laparra (le Joueur de viole, 1925)... Wagner, qui a trouvé ses premiers défenseurs dans le monde littéraire — Nerval, Champfleury, Baudelaire, Gautier, Catulle Mendès, Villiers de L’Isle-Adam — devait rapprocher littérateurs et musiciens. Cette action salutaire sera contrecarrée en France, après 1870, où l’art lyrique traverse une grave crise, due précisément au retard dans l’implantation de Wagner. Le librettiste est toujours ravalé au rang de tâcheron-du-vers-tout-juste-bon-à-être-chanté. Rares sont les écrivains qui s’essayent au livret d’opérette — George Sand, Paul Verlaine, Jules Verne — sans viser des succès lucratifs. Rares sont ceux qui ne croient pas déchoir en se consacrant au drame lyrique, tels Catulle Mendès (1841-1909), Jean Richepin (1849-1926), Armand Silvestre (1837-1901). Plus rares encore sont les dramaturges et romanciers qui prennent part à l’adaptation de leurs pièces ou de leurs romans, tels Victorien Sardou pour E. Paladilhe (Patrie, 1886) ou Émile Zola pour A. Bruneau (l’Attaque du moulin, 1893 ; le Rêve, 1891).

Un autre courant original s’était dessiné en Russie au milieu du siècle. L’initiateur de l’école russe, M. I. Glinka, s’était appuyé pour son deuxième opéra, Rouslan et Lioudmila (1842), sur le poème de Pouchkine. Il avait même sollicité le poète de faire des retouches ; seule la mort de Pouchkine devait empêcher cette collaboration. Jusqu’à l’aube du xxe s., la plupart des opéras russes seront d’ailleurs inspirés de Pouchkine. Pour Boris Godounov (1868-1872), Moussorgski mettra en musique le texte même du drame. Il agira pareillement à l’égard de la comédie le Mariage, de Gogol. Cette démarche à l’égard d’un chef-d’œuvre du roman ou du théâtre classique ou contemporain se retrouvera chez Richard Strauss (Salomé, 1905), Ravel (l’Heure espagnole, 1907), Falla (le Retable de Maître Pierre, 1923), Berg (Wozzeck, 1921), Durey (l’Occasion, 1925), Poulenc (Dialogue des carmélites, 1957 ; la Voix humaine, 1958). Les musiciens s’appuyaient sur la prose comme sur les vers, surtout après l’abandon, à la suite de Wagner, de toute mélodie carrée et symétrique en faveur d’un discours continu. Déjà Stanislas Champein s’était essayé en 1813 à un opéra sur une traduction en prose de l’Électre de Sophocle. À son tour, Gounod adoptera la prose en s’efforçant de mettre en musique la comédie de Molière George Dandin. En 1894, Louis Gallet (1835-1898) fournit à Massenet le livret en vers blancs de Thaïs. Mais en 1894, Émile Zola a terminé son premier poème lyrique en prose, Lazare (que A. Bruneau mettra en musique en 1902 seulement). En 1895, les Éditions Durand mettent en vente le poème de Fervaal de d’Indy, qui ne sera représenté qu’en 1897 au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, quelques mois après l’apparition de Messidor à l’opéra. Lazare, signé Bruneau-Zola, impose la prose dans le théâtre lyrique, où le naturalisme triomphe, trois ans plus tard, avec Louise de Gustave Charpentier. Bien que signé du compositeur, le livret de ce « roman musical » est, en réalité, de Saint-Pol Roux. Entre-temps, le symbolisme a trouvé son dramaturge en Maeterlinck, dont plusieurs pièces seront adaptées par des compositeurs : Pelléas et Mélisande, Ariane et Barbe-Bleue (dont le premier acte inspirera au Hongrois Béla Balázs [1884-1949] le Château de Barbe-Bleue, mis en musique par Bartók en 1911). Jusqu’à la venue du cinéma — voire au-delà —, l’adaptation lyrique a toujours séduit les écrivains et dramaturges, qui y trouvaient une substantielle confirmation de leurs succès de théâtre ou de librairie. Sardou et Richepin contribuèrent eux-mêmes à l’arrangement de leurs propres pièces. Des prosateurs participeront, eux aussi, à la confection des livrets tirés de leurs romans ou de leurs nouvelles, parfois avec le concours du compositeur ; tel aura été le cas, en 1922, de V. I. Brioussov (l’Ange de feu) ou, en 1939, de V. P. Kataïev (Semen Kotko) avec Prokofiev. Démarche inverse et beaucoup plus insolite : Claudel aura indiqué à Honegger, et jusque dans ses moindres détails, l’atmosphère musicale de ses textes. Sans doute, le livret en tant que genre n’a pas complètement disparu, surtout dans le domaine léger, où, d’une génération à l’autre, les compositeurs ont de mieux en mieux choisi leurs collaborateurs : qu’il s’agisse de dramaturges spirituels comme de Flers et de Caillavet ou Sacha Guitry, de poètes délicats comme André Rivoire, qui inspirèrent si heureusement Messager, Gabriel Pierné, Reynaldo Hahn..., ou encore de librettistes de talent comme Nino, associé avec un même bonheur à Jacques Ibert (Angélique, 1926) ou à Albert Roussel (le Testament de la tante Caroline, 1932-33).

F. R.