Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Antarctique (suite)

• Le rôle réfrigérant de l’hiver nocturne. Selon un phénomène normal de latitude, passé le cercle polaire austral, deux périodes s’individualisent dans l’année : l’une à l’époque du solstice de décembre, où le soleil est en permanence au-dessus de l’horizon ; l’autre au moment du solstice de juin, où il est constamment au-dessous. À mesure que l’on se rapproche du pôle, la période de nuit continue (l’hiver), ou de jour continu (l’été), gagne en durée, puis l’emporte. Au pôle, l’année est donc partagée en deux saisons d’illumination : l’une de mars à septembre, où le soleil ne se lève pas, l’autre d’octobre à février, où il ne se couche pas. C’est au cours de la nuit hivernale qu’intervient une intense déperdition thermique par rayonnement dans une atmosphère claire.

• L’inefficacité d’un été sans chaleur. Le réchauffement associé à la durée de l’illumination estivale ne parvient pas à compenser le déficit hivernal. À ces hautes latitudes, les rayons solaires, qui ont une trop faible incidence au sol, doivent traverser une masse atmosphérique plus épaisse, où la déperdition par réflexion, absorption et diffusion est donc accrue. Seul un reliquat de radiation solaire atteint le sol : on estime qu’au pôle, au plein de l’été (décembre), sur les 36 000 cal/cm2 entrant dans l’atmosphère moins de 80 p. 100 parviennent dans les basses couches. Facteur aggravant, une importante fraction de cette énergie incidente est réfléchie sur la surface blanche des glaciers et de la banquise, qui interviennent comme d’immenses réflecteurs (albédo de 0,76). Les mers libres, qui absorbent toute la chaleur reçue, sont trop éloignées du pôle pour jouer un rôle thermique décisif. Enfin, l’inversion de température en altitude (par advection de chaleur venue des tropiques) disparaît en été, et ne vient plus freiner la perte calorique du sol sous l’effet de la radiation infrarouge, très efficace dans l’air sec et transparent des voisinages du pôle.

Au total, le bilan radiatif est déficitaire pour toute la calotte située au sud du 37e degré : à Mirny, le bilan thermique global varie entre – 2 et – 3 000 cal/cm2 par an, et est de – 8 000 pour l’intérieur du continent. À Mirny, il est négatif pendant 5 mois, et au pôle pendant 11 mois. C’est donc dans le domaine antarctique que l’on enregistre les températures les plus basses du monde (et de plus en plus rigoureuses à mesure que l’on se rapproche du centre du continent) ; ce domaine se caractérise en outre par l’absence d’été, fait que l’on exprime en choisissant l’isotherme 10 °C du mois le plus chaud pour le délimiter.

Un refroidissement d’une telle ampleur a pour effet un alourdissement de l’air et un tassement des basses couches engendrant au voisinage du pôle un anticyclone pelliculaire. Au nord, une auge de basses pressions est installée vers 55-65° sud, tout autour du continent. Les vents divergent en descendant et soufflent vers l’est à sa périphérie ; fortement refroidis au-dessus de la glace, ils ont un écoulement qui s’accélère et devient turbulent vers la côte, où ils sont connus sous le nom de vents catabatiques. Le contact entre l’air antarctique, d’origine continentale, et l’air maritime circulant sur l’océan Austral est exprimé sous la forme d’une discontinuité frontale, parcourue par des dépressions cycloniques très creusées qui circulent vers l’est, traversant à l’occasion tout le continent, de la mer de Weddell à celle de Ross. Dans l’ensemble, il s’agit d’une circulation zonale, puissante et rapide, car non perturbée par l’obstacle de masses continentales. Tous les navigateurs et explorateurs ont décrit la violence de ces vents agissant sans entrave sur la neige et sur les eaux : si le continent antarctique connaît les plus violents blizzards, l’océan Austral est le plus tempétueux du monde.

Interdisant ou limitant le dégel, donc l’évaporation, le froid a pour corollaire une humidité atmosphérique faible en valeur absolue (sur le continent, elle est 10 000 fois moindre qu’à l’équateur) ; en valeur relative elle ne dépasse pas 70 p. 100, sauf sur la ceinture littorale ou maritime, où les vents viennent puiser leur humidité. Les précipitations, surtout sous forme neigeuse, totalisent seulement 150 mm (en eau de fusion) pour l’ensemble du continent, avec un minimum remarquable de 10 pour la partie orientale et un maximum de plus de 500 mm sur les littoraux et îles subantarctiques. En se déplaçant vers le nord, on passe ainsi d’une aridité saharienne à des régimes pluvieux caractéristiques des latitudes moyennes.


La glace et les eaux

Le froid se manifeste directement par la prise en glace et par l’animation des grands courants marins.

• Le monde des glaces.
1. Il est remarquable de constater que, dans l’une des régions les plus arides du globe, s’est constituée la plus grande réserve d’eau douce. La quasi-totalité du continent antarctique (98 p. 100) disparaît en effet sous une énorme masse de glace (ou inlandsis), accumulée sur une épaisseur de plusieurs kilomètres, jusqu’à adopter la forme caractéristique en coupole, dont le sommet dépasse 4 000 m. Localement affleure la roche sous la forme de crêtes, suffisamment élevées pour isoler des glaciers locaux de type alpin à l’alimentation autonome. Le relief sous-glaciaire, déterminé séismiquement, est donc très diversifié, fait de chaînes montagneuses cloisonnant des bassins, dont le fond descend parfois sous le niveau de la mer (dépression unissant les mers de Weddell et de Ross), et isolant des archipels.
Les glaciers antarctiques sont de type froid (parties supérieures au-dessous de 0 °C) et restent donc couverts sous plusieurs dizaines de mètres de neige meuble : ce n’est qu’en profondeur, et au bout de plusieurs années, que la neige évolue en névé, puis en glace, par tassement et recristallisation sans fusion. Les horizons les plus froids se situent à plusieurs centaines de mètres sous la surface (– 28 °C à – 800 m à la station Byrd) ; en dessous, la température augmente jusqu’au contact avec la roche, où le forage réalisé en cette même station a trouvé de l’eau liquide ; ce fait tendrait à prouver que la glace y atteint le point de fusion sous l’effet de la pression. La longueur de temps nécessaire à la formation de la glace est la raison majeure de la lenteur de ses mouvements. Même à l’intérieur du continent, son énorme épaisseur n’est pas suffisante pour engendrer des vitesses appréciables : on parle alors de régime stagnant propre à un glacier-réservoir. Mais sur les marges, des courants s’individualisent dans la glace, se moulent au tréfonds rocheux pour donner finalement naissance à des émissaires : ces régions fonctionnent alors comme un glacier évacuateur. Localement, un débordement peut se produire sous la forme de plates-formes, ou immenses pontons flottant sur la mer, dont se détachent des icebergs. Par leur abondance, ces derniers sont caractéristiques de l’Antarctique. Les moins nombreux, provenant de petites plates-formes, sont alourdis par des moraines, s’enfoncent beaucoup dans l’eau et sont fortement burinés par l’érosion, qui les rend reconnaissables à leur surface chaotique. Les plus nombreux ont une forme majestueusement tabulaire et des parois éblouissantes, qu’ils conservent longtemps. Leur abondance varie avec les saisons (maximum en décembre) et les années ; ils peuvent dériver jusqu’aux latitudes tempérées.
2. Lorsque la température de l’eau de mer descend au-dessous de – 2 °C, celle-ci à son tour se prend en glace pour former la banquise. Parfois, l’embâcle peut être facilité par de gros apports neigeux qui contraignent la banquise à s’enfoncer et à s’alimenter à l’eau de mer par capillarité. Par temps calme, les étapes caractéristiques de la congélation (fraisil, « mélasse », glace en crêpe, puis en plaques finalement soudées en banquise) se déroulent normalement. Mais, dans le monde très perturbé de l’Antarctique, notamment sous l’effet des fortes houles, la prise en glace est fréquemment contrariée par des cassures, des compressions donnant naissance à des crêtes hautes de plusieurs mètres. L’édification de la banquise est donc un travail de Pénélope, perpétuellement remis en cause ; une telle instabilité la rend peu épaisse (moyenne : 6 à 7 m ; maximum : 13 m), discontinue, soumise à des courants et des dérives qui en rendent l’extension fort variable dans l’espace et le temps.