Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Anselme (saint)

Philosophe et théologien (Aoste 1033 - Canterbury 1109).


L’« argument de saint Anselme » demeure d’une extraordinaire fécondité dans l’histoire de la pensée occidentale, au point qu’il peut être considéré, dans ses implications, comme une ligne de clivage entre les orientations philosophiques, tant de ceux qui lui donnent, de manière fort variée, leur consentement (saint Bonaventure, Descartes, Leibniz, Hegel), que de ceux qui le récusent (saint Thomas d’Aquin, Locke, Kant) ; là critique à laquelle le soumit Karl Barth manifeste son actualité permanente. Ceux qui le refusent sont les tenants d’une philosophie qui n’engage la vie de l’esprit, y compris l’intelligence d’un Être suprême, qu’à partir d’un donné empirique existant ; ceux qui l’approuvent relèvent d’une philosophie selon laquelle l’existence réelle s’identifie à l’être intelligible conçu par la pensée.

Anselme développe son argumentation dans l’ouvrage intitulé Proslogium, qu’il élabora après le Monologium, composé auparavant en expression de sa méditation sur l’existence et l’essence de Dieu, dont le ressort est tendu par une analyse des lois de la participation dans des êtres doués de perfection inégale. Dans son second ouvrage, Anselme est plus rigoureux, tant en dialectique qu’en projet contemplatif : il y a un être tel qu’on ne puisse en percevoir de plus grand, et donc il ne peut pas n’exister que dans l’intelligence. L’être tel qu’on ne puisse en concevoir de plus grand existe donc indubitablement : il implique la position de son existence par la pensée qui le conçoit. Telle est l’articulation de l’argument que Kant dénommera ontologique.

Autant que cette structure rationnelle, c’est son animation religieuse qui, chez Anselme, est remarquable, à partir de sa conviction. La foi est, pour le croyant, un donné d’où il doit partir, au-delà de son intelligence. Mais, établi dans la foi, le croyant est engagé dans une requête irrépressible et légitime de son intelligence. Il cherche des « raisons » à ce point efficaces que, sans rendre les mystères intelligibles en eux-mêmes, elles comportent non seulement un pouvoir illimité, mais une nécessité à l’intérieur de ce comportement : ce sont des « raisons nécessaires ». La formule en est fameuse, dans son intraduisible latin : fides quaerens intellectum. Elle demeurera l’axiome, très diversement appliqué d’ailleurs, de toutes les théologies.

Pour ses démonstrations, Anselme recourt à la dialectique, domaine alors en plein essor, et alors aussi contesté, des techniques de l’esprit. Adversaire des dialecticiens qui soumettent la foi à l’initiative de la raison, il s’oppose non moins aux dépréciateurs de la raison. À ce titre, Anselme reste l’un des maîtres à penser de la « scolastique ». Il faut cependant le situer beaucoup plus au terme d’une théologie monastique arrivée à sa plénitude que dans la perspective des formes universitaires dont Abélard, à la génération suivante, sera le coryphée dans la civilisation urbaine. De fait, cette haute méditation d’Anselme se développa à l’abbaye du Bec (Le Bec-Hellouin, en Normandie), où il était entré en 1060, et où il exerça les fonctions de prieur, puis d’abbé, jusqu’à son élévation au siège de Canterbury, en 1093.

Archevêque de Canterbury jusqu’à sa mort, Anselme poursuivit, au milieu de nombreuses difficultés administratives et politiques suscitées par le pouvoir temporel — il fut exilé par Guillaume le Roux, puis par Henri Ier —, son entreprise de méditation théologique, et rédigea alors son ouvrage Cur Deus homo, où le dialogue entre la logique et la foi se porte sur le mystère central de la révélation, l’incarnation de Dieu pour la rédemption de l’homme. Ce pouvoir de penser Dieu, et son mystère dans l’histoire, ne peut s’exercer que dans l’amour, dont l’appétit commande, subjectivement et objectivement, la spéculation. À travers la dialectique, le désir de l’âme s’apaise. « Qui n’a pas cru n’expérimentera pas ; qui n’aura pas expérimenté ne comprendra pas ; la science de celui qui expérimente l’emporte sur la connaissance de celui qui entend. » Pareil propos aura un destin qui débordera le climat médiéval qui le produisit.

M.-D. C.

 K. Barth, Fides quaerens intellectum (Munich. 1931 ; trad. fr. Fides quaerens intellectum. La preuve de l’existence de Dieu d’après Anselme de Cantorbéry, Delachaux et Niestlé, 1958). / F. S. Schmitt, Anselm of Canterbury (Munich, 1937). / S. Vanni Rovighi, S. Anselmo e la filosofia del sec. XI (Milan, 1949). / R. Roques, Structures théologiques, de la gnose à Richard de Saint-Victor (P. U. F., 1963). / J. Vuillemin, le Dieu d’Anselme et les apparences de la raison (Aubier, 1971).

Antarctique

Ensemble continental et océanique de l’hémisphère austral.


L’Antarctique (ou régions polaires australes) est situé au sud des pointes de l’Afrique, de l’Australie et de l’Amérique. Il est formé de deux domaines distincts, délimités par des cercles centrés au voisinage du pôle : une calotte continentale couverte de glaces (l’Antarctide), presque entièrement inscrite à l’intérieur du cercle polaire ; une zone océanique (océan Austral) aux limites imprécises, formée par la réunion des trois océans.


Le milieu antarctique

Le trait distinctif de l’Antarctique est l’isolement, qui trouve son explication dans la dureté d’un climat considéré comme le plus rigoureux du monde et la présence d’une mer tempétueuse et englacée, enfermant un continent sans attrait, véritable « bout de monde », tardivement exploré et vide. Milieu répulsif, l’Antarctique est un désert humain.


Le froid et les vents

Un froid excessif et des vents violents caractérisent le climat exceptionnel de l’Antarctique, conditionné certes par l’altitude du continent, mais surtout par le jeu complexe de divers facteurs.