Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Liszt (Franz) (suite)

Les dernières œuvres

Dans les différents genres évoqués jusqu’ici, on a souligné le caractère exceptionnel des œuvres tardives. Il existe encore nombre de pages de cette période, souvent très brèves et d’une allure absolument insolite. La plupart du temps, la virtuosité est complètement absente, la structure difficilement analysable par des moyens traditionnels, le langage harmonique complètement révolutionnaire (atonalité), et les recherches de sonorités préfigurent, elles aussi, celles du xxe s. (Debussy, Bartók). Cette étrange musique expérimentale (« N’importe quel accord peut succéder à n’importe quel accord », disait Liszt à ses élèves) commence à se faire jour, mais elle passionnera toujours plus les fervents lisztiens qu’elle ne prendra sa place au concert, d’autant qu’il en émane un sombre désenchantement.


Les pièces pour piano et orchestre

Les deux concertos rappellent le même esprit unitaire que la Sonate ; ils sont pourtant moins denses, plus brillants par vocation ; le second est le plus riche. La Totentanz (la Danse des morts) offre l’un des plus étonnants exemples de la variation lisztienne ; sur les thèmes du Dies irae, elle s’inspire des fresques du Campo santo de Pise. Ces trois partitions ont été ébauchées dès les années de jeunesse et considérablement remaniées ensuite. Liszt a encore réalisé une très personnelle transcription pour piano et orchestre de la Wandererfantasie de Schubert (1851).


L’œuvre symphonique


Les poèmes symphoniques

La dénomination de poème symphonique, inventée par Liszt, servira à tous les musiciens qui le prendront pour modèle. Il est certain, en revanche, que Liszt n’a pas inventé le genre, dont on trouve déjà l’essence bien romantique dans les ouvertures de Beethoven, de Berlioz, de Schumann ou de Mendelssohn, inspirées par une pièce de théâtre et non liées à un opéra. Ce qui est typiquement lisztien et comme un agrandissement logique des poèmes pianistiques, c’est la multiplicité des prétextes invoqués : poèmes de Hugo, de Joseph Autran (1813-1877), de Lamartine, de Herder, de Shakespeare, de Schiller ; un vase étrusque du Louvre ; des tableaux de W. von Kaulbach, de Mihály Zichy (1827-1906).

Les préfaces de Liszt donnent généralement un commentaire passionnant de ses intentions et de son esthétique ; elles sont malheureusement trop peu connues. Tous les Poèmes ne réalisent pas pleinement leurs ambitions, et, malgré l’admirable transfiguration des thèmes par variation, certains paraissent trop développés et d’une texture un peu lâche. Mais Tasso, Orphée, Prométhée et Hamlet égalent et surpassent parfois les deux plus joués : les Préludes et Mazeppa.

Les deux épisodes du Faust de Lenau, Procession nocturne et Méphisto-Valse (1860) peuvent se rattacher aux poèmes symphoniques.


Les symphonies

Si l’on devait s’en tenir à deux partitions de l’œuvre immense de Liszt, ce seraient à coup sûr la Sonate pour piano et la Faust-Symphonie (dédiées la première à Schumann, l’autre à Berlioz). Liszt a réuni dans ses symphonies la descendance du Beethoven de la neuvième Symphonie, faisant intervenir les chœurs en conclusion, et celle de Berlioz, en les concevant comme des poèmes. Mais, tandis que Berlioz parle de « symphonie dramatique » (Roméo et Juliette), avouant son aspiration vers le théâtre, Liszt souligne que sa trilogie Faust, Gretchen, Méphistophélès est faite de trois « portraits psychologiques », libre interprétation du drame de Goethe. L’étonnant thème dodécaphonique qui ouvre le premier tableau, superbe autoportrait du musicien, l’exquise tendresse du deuxième portrait et l’hallucinante transformation-défiguration du premier portrait dans le volet Méphistophélès, ainsi que la conclusion pour ténor et chœur sur le Chorus mysticus du Second Faust, font de la Faust-Symphonie la symphonie romantique la plus originale et la mieux venue entre la Symphonie fantastique et les symphonies de Mahler.

Malgré de grandes beautés et une subtile mise en œuvre de thèmes grégoriens, le diptyque Inferno-Purgatorio de la Dante-Symphonie n’atteint pas tout à fait ces cimes. Il est encore symptomatique de l’esprit audacieux du musicien qu’il ait primitivement prévu des projections en diorama pour accompagner son hommage à Dante.

Comme pour les poèmes symphoniques se pose le problème de l’orchestration : ici, Liszt n’a pas fait œuvre de novateur ; il a magnifiquement entendu la leçon de Berlioz, dont il a si souvent dirigé les partitions. Son imagination dans ce domaine est probablement moins singulière qu’au piano, mais il suffit d’écouter le début de Gretchen dans la Faust-Symphonie pour admirer le sens de la couleur renforçant l’expression.


La musique religieuse

Comme toute la musique sacrée du romantisme, celle de Liszt a longtemps souffert d’un ostracisme navrant. Il était aisé de la mépriser sans la connaître. C’était d’autant plus fâcheux que l’intérêt passionné porté par Liszt aux problèmes de la musique à l’église et ses essais si divers de réforme d’un répertoire en décadence en font, sur ce point comme sur tant d’autres, un des musiciens les plus significatifs du romantisme.

Trois messes sont d’une grande diversité : la Messe de Gran, la plus somptueuse, représente, avec le Psaume XIII, le grand style romantique, celui des poèmes symphoniques et pianistiques transportés à l’église. La Missa choralis, a cappella, rejoint un idéal palestrinien dans la clarté et la luminosité de la conduite polyphonique des voix, où les harmonies modernes introduisent une étrange saveur ; de nombreuses pages plus courtes de la musique d’église de Liszt (motets, chorals) peuvent s’en rapprocher. La Messe hongroise du couronnement, plus composite, reflète ce singulier désir de synthèse qui hantera Liszt dans sa musique sacrée ; chant grégorien, modes hongrois, polyphonie archaïque, écriture symphonique moderne y cohabitent de façon très originale et souvent très émouvante.