Peintre, architecte et théoricien russe (gouvernement de Smolensk 1890 - Moscou 1941).
Comme Chagall*, il passe sa petite enfance à Vitebsk. Après quelques essais picturaux dans cette ville, il étudie l’architecture à Darmstadt à partir de 1909. Ingénieur diplômé, il revient en 1914 en Russie, où il s’occupe d’architecture. Après la révolution de 1917, il prend une part active au bouillonnement général des arts. En 1919, Chagall fait appel à lui pour diriger les ateliers d’architecture et d’art graphique de l’École d’art de Vitebsk. Lissitski subit là l’influence de Malevitch*, qui succède à Chagall à la tête de cette école. En 1921, il est appelé à Moscou pour diriger la faculté d’architecture des Vkhoutemas (Ateliers supérieurs d’art et de technique). Après des séjours en Allemagne et en Suisse, où il collabore à des revues, organise le groupe ABC, participe aux expositions, écrit avec Arp* Die Kunstismen (les Ismes de l’art, 1925), il se fixe à Hanovre de 1925 à 1928. De retour en Russie, il fait de la décoration architecturale, du cinéma et de la typographie.
L’activité créatrice de Lissitski s’est exercée dans quatre directions principales : illustration et typographie, peinture pure, organisation spatiale des intérieurs et architecture. De 1917 à 1922, Lissitski travaille à l’illustration d’une dizaine de livres juifs ; on y sent l’influence mystico-expressionniste de Chagall. Tempérament explosif et inventif, il arrive, dans l’art graphique, à donner l’impression d’un mouvement vertigineux grâce aux formes géométriques qui se déroulent sur la feuille comme des bandes de dessins animés. Apparaissent des lignes colorées parsemées de lettres et de chiffres en rouge et noir ainsi que des montages-collages faits avec des pages de journaux ou des photographies, qui servent à l’ornementation de murs et de plafonds. Les aquarelles exécutées en 1923 pour l’opéra Victoire sur le soleil sont d’une finesse remarquable. Il paie aussi son tribut à l’art de l’affiche de propagande (Bats les Blancs avec le coin rouge).
Sa formation d’ingénieur et l’influence capitale de Malevitch l’ont dirigé vers une nouvelle figuration géométrique. C’est le suprématisme qui sera à partir de 1919 la base de son art. Lissitski y apporte la rigueur et le sens de la clarté de l’architecte : « Le suprématisme a déplacé la pointe de la pyramide visuelle finie de la perspective dans l’infini. » Les volumes géométriques, arrachés à la pesanteur terrestre, planent dans un espace infini. Ce sont les pro.ou.n. (sigle en russe de projet d’affirmation du nouveau), lieux de convergence de l’art et de l’architecture. Là aussi, Lissitski rejoint Malevitch, pour qui l’ère de la peinture de chevalet était terminée. Les pro.ou.n. furent à la base de divers projets architecturaux. Dans sa célèbre Tribune de Lénine (1920-1924), l’artiste utilise une photographie pour souligner le pathétique romantique de l’orateur, porté par l’élan d’une haute construction d’acier en diagonale qu’équilibre un cube de béton rouge. Un des apports les plus originaux de Lissitski est l’utilisation du suprématisme volumique pour organiser l’espace des salles d’exposition ou de théâtre, de façon à rendre le visiteur actif, grâce à la couleur (peinture et lumière) et aux formes géométriques.
J.-Cl. M. et V. M.
S. Lissitzky-Küppers, El Lissitzky (Dresde, 1967).