Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

lexique (suite)

Il est à noter toutefois que certaines unités (notamment les « locutions prépositives », « conjonctives ») ressortissent aux deux classes : au moment où pourra être une conjonction de temps (on ne prendra pas alors en considération le sens de moment) ou bien une suite où moment doit être considéré comme un nom. Cela pose le problème plus général de la liste des unités lexicales.


Lexique et syntaxe

En grammaire moderne, les problèmes des rapports entre lexique et syntaxe se posent à plusieurs niveaux. Étant donné une phrase en structure profonde, posera-t-on qu’elle contient déjà une composante lexicale sous une forme ou sous une autre (par exemple, pour rendre compte de la phrase Les petites filles mangent des pommes : petit, fille, pomme et manger) ou bien uniquement des symboles de catégories ? En outre, il faut se demander jusqu’où doit aller l’analyse : un mot comme nomination doit-il être considéré comme nom d’action de nommer ou comme une unité lexicale entrant telle quelle dans l’ensemble des procédures qui engendrent la phrase suivante : La nomination d’un professeur n’a pas été acceptée. Enfin, certains traits syntaxiques permettent de définir avec précision les unités lexicales : on caractérisera le verbe pousser = « croître » par le fait qu’il a un sujet nom de végétal et aucun complément d’objet.


La lexicographie

Les lexicographes rencontrent dans leur pratique le problème difficile des rapports entre la liste des formes et la liste de leurs sens.

Même si on admet la légitimité des distinctions par l’orthographe (sceau, sot, seau différenciés par l’écriture), par la catégorie et le genre grammaticaux (un livre vs une livre vs il livre), rien n’est réglé pour autant : des formes identiques par le son, l’orthographe, la catégorie et le genre ont des sens différents ; ainsi grève = « arrêt de travail » et grève = « sorte de plage ».

Les différences de sens peuvent en effet être de plus en plus nombreuses pour peu qu’on les analyse de plus en plus finement : marcher quand il s’agit d’une personne et marcher quand il s’agit d’un mécanisme sont différents, mais boire (dans un verre) et boire (à une fontaine) aussi. Et même boire (de l’eau) et boire (du vin), par exemple si on prend en considération les effets de l’alcool sur un conducteur. L’utilisation systématique des séries dérivationnelles (les sens de abattre distingués par la dérivation abattage d’un côté, abattement de l’autre), pratiquée par les dictionnaires les plus modernes, est fondée sur l’existence, admise au départ, de plusieurs sens différents correspondant à une forme unique.

Toutefois, contrairement à ce qui se passe pour les mots de la vie courante, qui sont caractérisés par la polysémie, les unités tendent à ne désigner qu’une seule notion. Ainsi, le mot opération s’emploiera bien en stratégie militaire, en mathématiques et en chirurgie, mais dans chacune de ces activités il n’aura qu’un sens déterminé, sans ambiguïté.


Les inventaires modernes

Le recensement des mots est pratiqué par les dictionnaires*, mais la lexicographie tend de plus en plus à l’exhaustivité parce que seul un relevé complet de toutes les formes et de toutes les combinaisons de formes qui caractérisent un état de langue permettrait d’établir avec précision les valeurs d’emploi de chacune d’elles. D’où la mécanisation des inventaires, introduite d’abord au Centre d’étude du vocabulaire français de Besançon et qui a permis la réalisation (en cours) du Trésor de la langue française.


Le mouvement lexical

Les racines des mots viennent soit du fond héréditaire, par lente transformation des formes, soit d’emprunts divers.

C’est aux langues classiques (latin et grec) et aux langues modernes voisines (anglais, allemand, italien, espagnol) que le français a fait les emprunts les plus nombreux : qui se douterait aujourd’hui que des mots comme régiment, nature, imbécile, facile, fatiguer, habituer, imaginer résultent non de la lente évolution du latin de Gaule en français, mais d’emprunts faits consciemment au latin, notamment au xvie s.

En dehors des emprunts, des mots nouveaux sont constamment créés par la langue à partir de racines existantes : les deux procédés sont la dérivation et la composition.

Les dérivés sont formés d’un radical auquel on ajoute un suffixe et un préfixe, parfois les deux : ainsi, de nom, on tire nommer (addition d’un suffixe), renom (addition d’un préfixe), renommée (préfixe et suffixe), nomination, etc. La série qu’on peut rattacher à une même base forme une famille ou un paradigme. Évidemment, les préfixes et les suffixes sont plus ou moins fréquemment employés selon les époques. C’est ainsi que, de nos jours, les suffixes -iste et -isme sont très productifs. Il existe aussi une « dérivation régressive », qui permet de former des mots en supprimant les terminaisons de temps et de mode du verbe (dérivation déverbale dans le mot marche, tiré de marcher), une dérivation par abréviation ou troncation (auto pour automobile) et une dérivation impropre (emploi d’une forme dans une catégorie qui n’est pas la sienne).

Les composés comprennent deux ou plusieurs racines (brise-jet, garde-chasse, timbre-poste). On distingue les formations suivantes : nom + nom apposition (chou-fleur, porte-fenêtre) ; nom + préposition + nom (croc-en-jambe) ; nom + nom complément (timbre-poste) ; nom + adjectif (terre-plein) ; adjectif + nom (rouge-gorge) ; verbe + nom (abat-jour, pense-bête, croque-monsieur) ; verbe + préposition + nom (boute-en-train, tire-au-flanc) ; verbe + verbe (laissez-passer).

Il existe aussi des adjectifs composés (bleu-vert, nu-pieds), des pronoms composés (celui-ci), peut-être aussi des verbes (virevolter).

La tradition ne considère pas les suites comme des composés (notamment les suites nom + prép. + nom) quand les mots qui les forment ne sont pas reliés par des traits d’union : pomme de terre, chemin de fer. Il s’agit pourtant (usage orthographique mis à part) de véritables unités lexicales et certains dictionnaires les enregistrent comme telles.