Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lesseps (Ferdinand Marie, vicomte de)

Diplomate et administrateur français (Versailles 1805 - La Chênaie, près de Guilly, Indre, 1894).


Ferdinand de Lesseps doit beaucoup à sa famille : sa mère est apparentée aux Montijo, qui donneront une impératrice aux Français, ce qui sera un appui de grande valeur sous le second Empire ; son père, consul en Égypte sous le Consulat, fut l’ami de Méhémet-Ali* avant que ce dernier ne devienne vice-roi de l’Égypte. Ferdinand embrasse aussi la carrière diplomatique et, consul à Alexandrie en 1832, il se lie au fils de Méhémet-Ali, le prince Muhammad Sa‘īd. Sa carrière se poursuit à Barcelone, puis à Madrid. Mais elle est brisée à Rome, où il est envoyé en mission lors de l’intervention française de 1849 : il est désavoué pour s’être engagé de façon trop visible auprès de la « République romaine ». Mis en disponibilité, il se consacre à l’exploitation du domaine de sa belle-mère, dans le Berry.


Le canal de Suez*

Ses loisirs lui font reprendre l’étude, qu’il avait déjà entreprise en Égypte, d’un chenal navigable à travers l’isthme de Suez. En 1854, son ami Muhammad Sa‘īd devient pacha d’Égypte, et Lesseps obtient de diriger la future compagnie destinée à percer l’isthme. Il se heurte d’emblée à diverses oppositions : d’abord celle des saint-simoniens, qui ont leur propre projet (un canal vers le Nil) ; celle de la Porte, ensuite, car l’Égypte est sous la suzeraineté de Constantinople. Mais le sultan est, en fait, soumis à la pression britannique : les Anglais sont très inquiets de cette entreprise, qui risque de bouleverser, à leurs dépens, les courants commerciaux vers l’Inde et qui développera sans doute une influence française fâcheuse au Proche-Orient.

La Compagnie universelle du canal maritime de Suez est pourtant fondée le 15 décembre 1858, mais sans l’appui des banques (Lesseps a rompu avec Rothschild). Dès le mois d’octobre 1859, Constantinople ordonne l’arrêt des travaux : l’intervention personnelle de Napoléon III permet seule leur reprise.

La disparition de Sa‘īd pacha (1863) amène de nouvelles difficultés : il faut renoncer au véritable servage dont l’entreprise bénéficiait aux dépens des fellahs : coup très dur pour la rentabilité de la Compagnie. En 1868, la situation financière est alarmante, et il faut obtenir du Corps législatif l’autorisation d’émettre des bons à lots pour trouver les moyens financiers nécessaires à l’achèvement des travaux. Enfin, le 17 novembre 1869, c’est l’inauguration solennelle du canal, en présence de l’impératrice Eugénie. Lesseps est sans doute alors l’homme le plus célèbre de son temps. Mais l’optimisme inaltérable du constructeur a singulièrement surestimé le trafic du canal, dont le creusement a, par ailleurs, coûté 432 millions au lieu des 160 qui étaient prévus : les caisses de la Compagnie sont bientôt de nouveau presque vides, et certains organes de presse commencent à l’attaquer durement. Elle est sauvée une première fois par le raffineur Jean-Gustave Lebaudy (1872). Une autre atteinte aux intérêts français est la cession des actions du khédive d’Égypte à la Grande-Bretagne (1875) : ce danger se précise en 1882 lorsque les forces de cette dernière, profitant de troubles, occupent l’isthme. Il ne faut pas tarder à faire des concessions à Londres pour l’administration du canal.


L’échec de Panamá*

Mais Lesseps est déjà engagé dans une autre œuvre et d’une plus grande envergure encore : Panamá. Cette fois, aux désillusions vont succéder les catastrophes. La minceur de l’isthme américain avait depuis longtemps suggéré de l’ouvrir à la navigation (dès 1529). À partir de 1872, les États-Unis étudient la percée par l’isthme de Tehuantepec (Mexique). En 1876 se constitue un « Comité français pour le percement du canal interocéanique » : il est présidé par Lesseps. En mai 1879, enfin, le constructeur de Suez préside à Paris un congrès international d’ingénieurs qui conclut à la nécessité de creuser le canal au niveau des deux océans. Malgré les sages réserves de son fils Charles (1849-1923), Ferdinand de Lesseps accepte la direction de l’entreprise. Sous le patronage de la Compagnie de Suez, une première souscription (août 1879) est un échec. Des conférences et un voyage spectaculaire à Panamá permettent au vieillard de réveiller l’épargne : les rentiers souscrivent largement à la nouvelle « Compagnie universelle du canal interocéanique », créée le 20 octobre 1880, et les travaux commencent. Mais il faut faire face à de terribles conditions naturelles : les pluies, d’abord, qui provoquent des crues catastrophiques des ríos locaux et qui ravinent bien plus qu’il n’était prévu les versants de la célèbre « tranchée » de la Culebra ; les maladies tropicales, surtout, contre lesquelles on ne sait pas encore lutter (vingt-sept centraliens arrivent en 1885 et 1886 ; seize seulement survivent à la fièvre jaune et à la malaria en 1887). Après une nouvelle tournée triomphale dans l’isthme (1886), Lesseps doit cependant renoncer au canal à niveau, décidément beaucoup trop coûteux (1887). Mais il faut obtenir de la Chambre l’autorisation d’émettre un emprunt à lots, seul susceptible d’allécher l’épargne une fois encore : la Compagnie du canal doit faire pression sur tous les parlementaires qu’elle peut influencer. L’autorisation est donnée de justesse (9 juin 1888), mais l’émission est un échec, et la liquidation de la Compagnie doit être prononcée le 5 février 1889. Ferdinand de Lesseps disparaît alors de la vie publique : son grand âge et la gloire qu’il a connue le tiendront à l’écart du scandale de Panamá*. Celui qui avait été surnommé « le Grand Français » survivra encore cinq ans à la poignante tragédie due à ses imprudences et à son incurable optimisme.

S. L.

 R. Courau, Ferdinand de Lesseps (Grasset, 1932). / J. Vincent, le Canal de Suez. Ferdinand de Lesseps intime (Nouv. éd. latines, 1935). / A. Siegfried, Suez, Panama et les routes maritimes mondiales (A. Colin, 1940). / R. Jeanne, Ferdinand de Lesseps (Didier, 1942). / G. Edgar-Bonnet, Ferdinand de Lesseps, le pionnier de Panama (Plon, 1959). / J. Bouvier, les Deux Scandales de Panama (Julliard, coll. « Archives », 1964).