Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Léopold III (suite)

La révolution manquée

Dans l’attente du retour du roi, son frère, le prince Charles (né en 1903), fut chargé de la régence, de la libération du territoire (sept. 1944) à celle du roi (mai 1945) ; le pays fut gouverné par un cabinet d’union nationale. La question royale n’éclata qu’à l’occasion de la libération du roi ; elle mit ainsi fin à la formule unioniste, minée par la poussée de la gauche au lendemain de la guerre. Dans le climat troublé de l’immédiat après-guerre, certains envisagèrent la prolongation de l’entracte républicain londonien. Une campagne s’organisa contre Léopold III, visant à travers le souverain le régime monarchique.

Gêné par la personnalité controversée du roi, le parti socialiste prit, à l’annonce de sa libération, position en faveur de l’abdication, estimant le sacrifice de Léopold III indispensable à la cause monarchique. À l’issue d’un débat passionnel, le Parlement se réserva le droit de fixer un terme à la régence. Les élections de 1946, les premières de l’après-guerre, renforcèrent les extrêmes ; les partis de gauche conservèrent une majorité précaire.


La restauration manquée

Le recul des gauches s’accentua en 1947 sous l’effet de la guerre froide et se traduisit par un gouvernement de coalition entre socialistes et catholiques, anticipant le glissement électoral que faisait entrevoir l’évolution de l’opinion publique. La question royale fut laissée en suspens jusqu’aux élections de 1949, qui marquèrent une nette percée royaliste. Le parti catholique, frôlant la majorité absolue à la Chambre, l’obtint au Sénat. La question royale rebondit, le gouvernement de coalition entre catholiques et libéraux désirant légitimer par une consultation nationale la suppression de la régence projetée par la majorité.

À la faveur des 57 p. 100 de oui exprimés au référendum du 12 mars 1950, des élections anticipées (juin) assurèrent au parti social-chrétien la majorité absolue. Le retour du roi en juillet déclencha cependant une vague de grèves et d’émeutes, menaçant le pays d’une insurrection. Devant la gravité de la situation, Léopold III proposa l’attribution immédiate des pouvoirs royaux au prince Baudouin (1er août), remettant l’abdication à la majorité de son fils. Le 16 juillet 1951 eut lieu la cérémonie d’abdication.


À l’écart de la politique

La question royale a constitué le point de cristallisation de l’épreuve de force engagée au lendemain de la guerre entre le parti socialiste et le parti social-chrétien. La violence du conflit annonçait le choc de la guerre scolaire. En filigrane s’esquissait le dualisme communautaire. Dans l’immédiat, le loyalisme réciproque dont firent preuve Léopold III, en s’abstenant de toute ingérence politique, et les partis, en assurant le roi Baudouin Ier* de leur collaboration, permit l’apaisement. Après 1950, le roi Léopold, qui, veuf de la reine Astrid († 1935), a épousé en 1941 Liliane Baels, devenue princesse de Réthy, a repris les voyages d’exploration scientifique déjà amorcés avant 1934.

P. J.

➙ Albert Ier / Baudouin Ier / Belgique.

 J. Page, Leopold III, The Belgian « Royal Question » (Londres, 1959). / E. R. Arango, Leopold III and the Belgian Royal Question (Baltimore, 1963). / R. Capelle, Dix-Huit Ans auprès du roi Léopold (Fayard, 1970).

Lepautre (les)

Artistes français du xviie s.


Le nom des Lepautre est lié au style du temps de Louis XIV aussi essentiellement que celui de Le Brun*. D’Antoine (Paris 1621 - id. 1691), architecte du roi et contrôleur général des bâtiments du duc d’Orléans, subsiste à Paris un chef-d’œuvre, l’hôtel de Beauvais, rue François-Miron. Bâti autour d’une cour ovale s’ouvrant sur la rue par l’intermédiaire d’un vestibule circulaire à colonnes doriques, il justifie l’éloge que, du talent de son auteur, fit un critique difficile, Pierre Jean Mariette (1694-1774), en son Abecedario : « Il avait un goût de décorer qui était entièrement à lui et dont la majesté doit plaire. Ce n’est pas qu’on ne pût lui reprocher d’être un peu lourd, mais cette pesanteur est accompagnée de grand goût et prend dans ses ordonnances un caractère solide qui marque le grand maître. » Lepautre construisit notamment l’église du monastère de Port-Royal, disparue. Il avait fourni les projets du château de Clagny pour Mme de Montespan, qui lui préféra le dessein de J. H.-Mansart*. Antoine Lepautre n’en fut pas moins l’un des premiers membres de l’Académie royale d’architecture, instituée en 1671.

C’est Jean Lepautre (Paris 1618 - id. 1682), son frère aîné, qui fut le plus actif propagateur du style Louis XIV*. On l’avait destiné au métier de menuisier ; il préféra se faire dessinateur, et Adam Philippon (né en 1606) lui fit copier ses dessins d’Italie. Jean Lepautre est resté le disciple de ce classicisme dérivé de l’antique ; en témoignent quelque quinze cents estampes qu’il a publiées en cahiers méthodiquement classés : éléments de décor architectural, fontaines et cheminées, portails et jardins, éléments mobiliers, trophées et rinceaux, grotesques et cadres, orfèvreries, chaque projet partagé, par une section verticale, en deux versions différentes. Il travaillait avec une facilité qu’a notée Mariette, dont l’analyse explique à la fois l’influence qu’exerça Lepautre et la monotonie qu’on n’est pas sans remarquer dans ses compositions : « Il eût peut-être été à souhaiter qu’il eût trouvé plus d’obstacles puisqu’il [eût été] pour lors obligé à faire des réflexions et se serait moins livré au torrent impétueux de son imagination. » En fait, c’est l’imagination qui manquait à cet habile professionnel. Mariette ajoute à son commentaire une indication applicable à la technique générale des ornemanistes d’autrefois : « Il serait blâmable d’avoir chargé de trop d’ouvrage ses morceaux d’architecture si l’on ne considérait qu’il cherchait par là à les rendre propres à toutes sortes d’ouvriers et qu’il n’ignorait point que ce qu’il mettait au jour était moins reçu comme des modèles que comme des idées propres à échauffer le génie. » Quand le Cavalier Bernin* fit à Paris, en 1665, son fameux voyage, il est à noter que « rien ne l’avait plus frappé que les ouvrages de Le Pautre ».