Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov, dit) (suite)

Le Xe Congrès est aussi marqué par la montée de l’appareil du parti : Lénine attaque avec violence l’« opposition ouvrière » en déclarant que toute déviation anarchisante dans un pays à majorité paysanne et à faible classe ouvrière est trop dangereuse pour pouvoir être tolérée au sein du parti. Dès lors, l’une des motions finales du Congrès présentée par Lénine déclare l’appartenance à l’« opposition ouvrière » incompatible avec l’appartenance au parti. L’autre motion finale dénonce les « indices du fractionnisme ».

On peut penser que l’attitude de Lénine est justifiée par des circonstances graves ; il réaffirme d’ailleurs au même moment la nécessité d’action fractionnelle la plus vigoureuse « en cas de nécessité absolue », et il combat vigoureusement la proposition qui vise à interdire l’élection au Comité central sur des plates-formes différentes. Les lendemains du Congrès voient le nouveau secrétariat accroître son pouvoir. Le bureau politique détient désormais la puissance qui revient en droit au Comité central. Une purge du parti est organisée.

Certes, Lénine est conscient de la bureaucratisation qui menace le parti. Mais il croit à la possibilité de redresser la tendance par des commissions de contrôle et, plus encore, par l’inspection ouvrière et paysanne (rabkrin), en laquelle il met plus grand espoir. Mais, de fait, cette inspection est une émanation de l’appareil du parti et est placée sous la direction de Staline. À la suite du XIe Congrès du parti, Staline devient secrétaire général en avril 1922.


La fin de Lénine (1922-1924)

Depuis août 1918, Lénine est malade. À la fin de 1921 apparaissent les symptômes de l’artériosclérose ; Lénine se retire aux environs de Moscou, à partir de 1922, il ne pourra plus travailler que par à-coups. Le 26 mai 1922, il est frappé d’une attaque. D’octobre à décembre, il reprendra ses activités, mais il sera de nouveau immobilisé à partir du 16 décembre. Il avait déjà affirmé devant le VIIIe Congrès : « L’inculture de la Russie avilit le pouvoir des soviets et recrée la bureaucratie. » En 1920, 1921 et 1922, il répète souvent que l’appareil d’État soviétique a hérité de l’appareil tsariste. Il écrit à propos du poème de Maïakovski Ceux qui n’en finissent pas de siéger : « Notre pire ennemi, notre ennemi intérieur : le communiste bureaucrate. »

Mais Lénine reste attaché à l’idée que le parti est le légitime représentant de la dictature du prolétariat. Il en est dès lors réduit à imaginer des remèdes internes à la bureaucratie qui restent inefficaces.

C’est au moment où la maladie le rend à moitié paralysé qu’il prend conscience du danger principal : il dicte à la fin du mois de décembre une lettre destinée au XIIe Congrès du parti (il se tiendra après sa mort) qui est considérée comme son testament. Elle prévoit le conflit entre Staline et Trotski. Dans les jours qui suivent, Lénine apprend par quelles méthodes de répression Staline et le bureau d’organisation ont brisé le parti communiste géorgien. Il traite alors Staline de « brutal argousin grand-russe ». Puis, le 4 janvier, il écrit un post-scriptum à sa lettre du Congrès où il demande au comité de « réfléchir aux moyens de remplacer Staline à son poste ». En public, il attaque par deux articles à la fin de janvier et au début de février l’appareil d’État et le parti.

À la suite d’un incident entre Staline et Kroupskaïa, il est amené à envoyer une lettre de rupture à Staline le 6 mars. Mais, le 9 mars, sa troisième attaque le prive définitivement de la parole. Malgré une courte rémission en été 1923, Lénine meurt le 21 janvier 1924 après avoir fêté Noël avec les enfants du village dans le manoir de Gorki.

En dépit des protestations de Kroupskaïa, le culte de Lénine commence : Petrograd est débaptisé et devient Leningrad. Zinoviev déclare : « Lénine est mort, mais le léninisme est vivant », inventant ainsi un concept que Lénine avait toujours refusé. Le célèbre testament, lu au cours du XIIIe Congrès du parti (23-31 mai 1924), n’est pas rendu public : ce texte restera secret jusqu’à sa révélation par Khrouchtchev* au XXe Congrès (1956).

Extrait du « testament » de Lénine

« Staline est trop brutal, et ce défaut, parfaitement tolérable dans notre milieu et dans les relations entre nous, communistes, ne l’est plus dans les fonctions de secrétaire général. Je propose donc aux camarades d’étudier un moyen pour démettre Staline de ce poste et pour nommer à sa place une autre personne qui n’aurait en toutes choses sur le camarade Staline qu’un seul avantage, celui d’être plus tolérant, plus loyal, plus poli et plus attentif envers les camarades, d’humeur moins capricieuse, etc. Ces traits peuvent sembler n’être qu’un infime détail. Mais, à mon sens, pour nous préserver de la scission, et tenant compte de ce que j’ai écrit plus haut sur les rapports de Staline et de Trotski, ce n’est pas un détail, ou bien c’en est un qui peut prendre une importance décisive. » (4 janvier 1923.)

G. H.

➙ Boukharine / Communisme / Impérialisme / Internationales (les) / Marxisme / Révolution russe de 1905 / Révolution russe de 1917 / Socialisme / Staline / Trotski / U. R. S. S.

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