Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov, dit) (suite)

Kerenski échoue dans la tentative d’offensive militaire du 1er juillet. Le 17 juillet, le peuple et la garnison de Petrograd se soulèvent, mais Lénine juge le mouvement prématuré. En effet, le gouvernement écrase le mouvement et arrête les leaders bolcheviks ; Lénine passe à la clandestinité, d’un appartement à un autre, puis s’enfuit en Finlande en août 1917. Cependant, l’unification a été réalisée entre les groupes ralliés au bolchevisme, et Trotski est entré au parti en juillet. Le Comité central élu, en août, au VIe Congrès, comprend Lénine, Trotski, Zinoviev, Kamenev, Boukharine...

La tentative de coup d’État du général Kornilov contre le gouvernement Kerenski échoue grâce à la grève des cheminots, à la mobilisation de Petrograd et à la débandade des troupes. Par ses lettres des 25 et 27 septembre, Lénine met à l’ordre du jour la question de la prise du pouvoir par les bolcheviks. Là encore, la plupart des dirigeants bolcheviks s’opposent à lui. Ils veulent participer au pré-Parlement, proposé par Kerenski en attendant la réunion de la Constituante. Trotski et Staline proposent le boycottage du pré-Parlement, avec le soutien de Lénine. Ils sont minoritaires, et Lénine met en balance sa démission pour obtenir le boycottage et la décision d’insurrection. En dépit de l’opposition de Zinoviev et de Kamenev, les préparatifs militaires des bolcheviks commencent en octobre. C’est au milieu des discussions entre les fractions du Comité central, Trotski et Lénine d’un côté, Zinoviev et Kamenev de l’autre, que va se produire l’insurrection : non pas par une décision disciplinée et centralisée acquise de longue date, mais par l’initiative du comité militaire révolutionnaire. Lénine, de retour à Petrograd, participe à la séance secrète du Comité central du 23 octobre ; le jour de l’insurrection y est fixé au 7 novembre (ou 25 octobre ancien style), ce qui coïncide avec le IIe Congrès panrusse des soviets. Lénine arrive à Smolnyï, quartier général des bolcheviks dans la nuit du 6 au 7 novembre. Il rédige l’Appel aux citoyens de Russie, publié le 7 novembre par le soviet de Petrograd. Le 8 novembre vers 2 heures du matin le palais d’Hiver capitule. Le soir, Lénine déclare à la tribune du IIe Congrès panrusse des soviets, où les bolcheviks sont désormais majoritaires : « Maintenant nous abordons l’édification de l’ordre socialiste. » Il vient de rédiger les décrets sur la terre (« la possession de la terre par les propriétaires fonciers est abolie immédiatement et sans contrepartie [...] le droit de propriété privée sur la terre est supprimé à jamais ») ; il annonce la paix.

Le léninisme

Le léninisme se présente comme une étape du marxisme, dans lequel il produit les principes de la pratique politique. Il constitue la « politique » des partis communistes et des États socialistes héritiers de la IIIe Internationale. Leur critique des erreurs staliniennes laisse intact l’héritage de Lénine, c’est-à-dire d’abord la nécessité que la lutte soit conduite par un parti dirigeant. Ce postulat est-il marxiste et, si même Marx ne l’a pas formulé, est-il présent « en creux » dans son œuvre ?

C’est un fait que Marx n’a pas laissé une « politique » entendue comme principes d’organisation, d’intervention et d’analyse de la conjoncture historique. Mais on ne peut traiter cette absence comme une lacune imputable au manque de temps dû à la rédaction du Capital ou à l’état naissant du mouvement révolutionnaire organisé. Ce serait oublier les analyses historiques telles que les Luttes de classes en France, le 18-Brumaire de Louis Bonaparte, le Manifeste du parti communiste et surtout les contributions à la vie de la Ire Internationale, où est précisé le rôle des communistes dans le mouvement ouvrier. Si Marx n’a pas pris le temps de fonder une « politique », on s’aperçoit que cela tient à un refus de la politique entendue comme stratégie d’un état-major dirigeant ses troupes. La révolution, selon Marx, est l’émancipation du prolétariat par lui-même, abolissant les rapports politiques de dirigeants à dirigés. Lénine a pu fonder une politique en réintroduisant le rapport avant-garde dirigeante / masses dirigées. Bien que les analyses de Lénine soient rigoureusement orthodoxes, elles prennent leur départ dans son projet politique. L’étude des contradictions, de leur loi de développement inégal, de leur fusion en situation de crise a pour objet de répondre à des questions que Marx ne se posait pas en ces termes : quel est le point le plus faible de la chaîne impérialiste mondiale ? Comment utiliser les divergences de l’adversaire pour nouer des alliances ? Où, quand et comment intervenir pour pousser le mouvement des masses jusqu’à la prise du pouvoir ? L’objectif essentiel des analyses marxistes était de donner aux masses en lutte la connaissance scientifique dont elles ont besoin, sans idée de direction. Lénine raisonne en stratège et en tacticien de la révolution, et Marx en tant que partie prenante dans l’émancipation du prolétariat par lui-même. Le léninisme ne fait pas état de cette différence de point de vue, mais il donne amplement ses raisons de confier la lutte à un parti dirigeant. Marx avait déjà montré que la classe ouvrière combat d’abord pour des revendications accessibles dans le cadre du système, qu’elle est, de ce fait, toujours menacée par le réformisme, qu’elle est soumise à l’idéologie de la classe dominante. Lénine tire de ces considérations la nécessité d’un parti d’avant-garde, représentant et guide d’un prolétariat qui ne peut pas, dans sa masse, accéder à l’organisation et à la conscience révolutionnaires ; Marx estime que les circonstances et sa propre lutte contraindront le « prolétariat à s’organiser en classe et en parti politique », à acquérir la conscience de soi. Avec la IIIe Internationale et ses divers héritiers, le parti de la classe ouvrière est le représentant de ses intérêts ; il la dirige et parle en son nom.

Du point du vue de Marx, la révolution n’a de sens que si elle est voulue et faite consciemment par la masse du prolétariat « organisé en parti ». Du point de vue de Lénine, le parti d’avant-garde peut utiliser toutes les occasions, forcer les étapes de l’histoire et la faire accoucher avant terme d’une révolution.

Les textes respectifs sur le rôle du parti sont éloquents. Dans le Manifeste, Marx et Engels écrivent : « Quelle est la position des communistes vis-à-vis des prolétaires en général ? Les communistes ne forment pas un parti distinct en face des autres partis ouvriers.

« Ils n’ont pas d’intérêts distincts de ceux du prolétariat dans son ensemble. [...]

« Ils ne posent pas de principes particuliers d’après lesquels ils prétendent modeler le mouvement prolétarien. »