Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Le Nain (les) (suite)

Leurs toiles, quand elles sont signées, le sont de la seule formule Le Nain fecit. Bien que, devant cette signature commune, la distinction des différentes mains soit fort délicate (elle est considérée comme prématurée, dans l’état de nos connaissances, par le professeur Jacques Thuillier), une théorie faisant resurgir la spécificité de chacun des trois frères a été élaborée.


Antoine Le Nain

(Laon autour de 1588 ? - Paris 1648)

Antoine apparaît, en dépit d’un certain archaïsme, comme un petit maître plein d’attrait, très libre dans sa couleur et dans sa touche, ayant le sens des sujets d’enfants. La palette est vive, l’observation fraîche et spirituelle, enfin les personnages se présentent dans une lumière égale, où tout clair-obscur fait défaut. Reçu maître peintre au faubourg Saint-Germain-des-Prés en 1629, l’artiste a vécu au milieu de la colonie flamande de Paris. On lui doit un certain nombre de miniatures sur cuivre et des portraits en raccourci ; son Bénédicité (coll. privée, Paris), tableautin à quatre figures dont l’unité est rendue par l’heureuse distribution des lumières, rend compte de cette technique remarquablement large et hardie dont Louis et Mathieu ont dû s’inspirer. Par contre, la Réunion de famille (1642, musée du Louvre) est une composition sans profondeur, qui montre des bourgeois autour d’une femme en robe jaune ; on y trouve un trait commun aux trois frères, le rouge du manteau de l’un des hommes, qui jette une note vive. Cette particularité se retrouve dans les Trois Jeunes Musiciens du musée de Los Angeles.

Si ces attributions sont justes, Antoine se définit comme un peintre honnête et un consciencieux portraitiste, au réalisme d’instinct, bien senti, bien rendu, mais peu transposé. C’est l’artiste des scènes familiales telles que la Danse d’enfants (1643, coll. privée) et les Portraits dans un intérieur (1647, Louvre).


Louis Le Nain

(Laon autour de 1593 ? - Paris 1648)

La nature revue et corrigée par Louis est un monde de formes stables, chargées d’un contenu spirituel. À la qualité de l’ordonnance de ses œuvres, le peintre ajoute une poésie toute bucolique, délicatement nuancée par une gamme de gris et de bruns. Dans la Charrette ou le Retour de la fenaison (1641, Louvre), un élément primordial fait l’unité du tableau : l’éclairage de plein air. Cette conception de l’espace se retrouve dans la Halte du cavalier (1642. Londres, Victoria and Albert Museum) ou la Famille de la laitière (musée de l’Ermitage, Leningrad).

Aux champs comme autour de la table à la nappe froissée, dans le plein jour ou le demi-jour qui lutte avec le reflet du foyer, les paysans de Louis sont économes de gestes, réservés, conscients de leur condition. Le Repas de paysans (1642, Louvre) est un tableau d’intérieur baigné d’une clarté presque uniforme, qui accentue la sévérité de ces regards tristes, mais pleins de dignité. La Forge (Louvre), particulièrement remarquée en son temps, est une œuvre d’un type différent, prétexte à une étude technique sur la lumière, traitée à la manière du Caravage*, mais sur ce mode retenu qui marque le caractère classique de l’œuvre de Louis.


Mathieu Le Nain

(Laon autour de 1607 ? - Paris 1677)

Peintre ordinaire de la Ville de Paris en 1633, décoré de l’ordre de Saint-Michel en 1662, il fut communément appelé le « chevalier Le Nain ». Brillant et élégant, l’auteur du Corps de garde (1643, Louvre) a presque abandonné les scènes de la vie rurale. Ses modèles préférés sont des militaires, des jeunes gens en chapeaux à plumes et rabats de dentelle. Un prétexte suffit à justifier leur réunion autour d’une table, comme dans les Joueurs de trictrac du Louvre. Bien qu’on lui attribue la Vénus dans la forge de Vulcain (musée de Reims), Mathieu fut avant tout ce peintre de portraits collectifs sans doute repris de la peinture hollandaise. Il sut, comme ses frères, donner au regard une intensité inoubliable.

B. B.

 P. Jamot, les Le Nain (Laurens, 1929). / P. Fierens, les Frères Le Nain (Fluory, 1933).

Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov, dit)

Homme d’État russe (Simbirsk [auj. Oulianovsk] 1870 - Gorki 1924).



De l’enfance à la Sibérie (1870-1900)

Son père, Ilia Nikolaïevitch Oulianov (1831-1886), était inspecteur de l’enseignement primaire à Simbirsk, sur la Volga. Sa mère, Maria Aleksandrovna Blank, d’origine allemande, était fille d’un médecin de campagne, aux idées progressistes. Outre Vladimir, le ménage eut cinq enfants.

Dès quatorze ans, Vladimir aborde la lecture des ouvrages des grands démocrates russes, alors interdits : A. I. Herzen, N. G. Tchernychevski. En 1886 , son père meurt. En 1887, Aleksandr Oulianov, son aîné de quatre ans, est arrêté pour avoir participé à un attentat contre Alexandre III : il est exécuté le 20 mai 1887. Dès lors, Vladimir Oulianov est engagé dans le mouvement révolutionnaire : exclu de l’université de Kazan à la fin de 1887, il participe aux cercles clandestins de la même ville qui étudient le marxisme.

Dès cette époque, il commence à se heurter à la génération des populistes, qui sont nombreux à être exilés dans la région. En 1891, il passe les examens de la faculté de droit de Saint-Pétersbourg, ville qui est déjà fortement industrialisée (usine Poutilov) et où le populisme a cédé la place au marxisme ; Gueorgui Valentinovitch Plekhanov (1856-1918) y exerce une influence importante. Vladimir Oulianov y participe à l’instruction des cercles ouvriers à partir de 1894.

Outre la critique du populisme, il commence l’attaque contre les « marxistes légaux », qui refusent les conséquences révolutionnaires du marxisme, et les économistes, qui ne visent que l’amélioration de la condition économique de la classe ouvrière. En 1895, il passe l’été en Suisse, où il établit le contact avec le groupe de Plekhanov. Il rencontre Karl Liebknecht à Berlin et P. Lafargue à Paris. À la fin de 1895 est créée l’« Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière », qui rassemble les groupes locaux russes et le groupe Plekhanov. Vladimir Oulianov pousse à la création d’un nouveau type de militant, le révolutionnaire professionnel spécialisé. Mais, le 21 décembre 1895, les créateurs de l’Union sont arrêtés : Vladimir Oulianov est emprisonné. Par chance, il a droit à un régime libéral qui lui permet de correspondre avec l’extérieur, notamment avec sa collaboratrice Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa (1869-1939), alors étudiante. En février 1897, il apprend sa déportation pour trois ans en Sibérie.