Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Léger (Fernand) (suite)

La Partie de cartes (1917, musée Kröller-Müller, Otterlo) marque le passage d’un dynamisme encore héritier des découvertes antérieures à une expression plus personnelle, enrichie par l’expérience même de l’artiste, qui a découvert sur le front (« Je fus ébloui par une culasse de 75 ouverte en plein soleil, magie de la lumière sur le métal blanc [...] ») une nouvelle beauté, assez âpre, par rapport à laquelle la place de l’homme se situe moins en harmonie qu’en conflit. Fernand Léger, dès lors, en même temps qu’il vise l’expression des forces et des beautés de la modernité, ne perd pas de vue que cet environnement mécanique et technique implique un nouvel humanisme. Il tentera ultérieurement d’assurer la pérénité de ces nouvelles valeurs dans l’action politique. Mais, dès cette époque, il se donne intensément à la pédagogie, qui est pour lui la première manière de changer les choses. Il prend des notes et écrit de nombreux articles (dès 1913 et jusqu’à la fin de sa vie), dont la plupart ont été réédités dans le recueil Fonctions de la peinture (1965). En 1924, il ouvre une académie dans son atelier du 86, rue Notre-Dame-des-Champs, en collaboration avec Ozenfant, cocréateur du purisme* avec Le Corbusier*. Entre-temps, il aura épousé Jeanne Lohy, illustré J’ai tué et la Fin du monde de Blaise Cendrars, enfin participé à la fondation de la revue l’Esprit nouveau, où l’élaboration d’une nouvelle plastique n’est plus, comme au temps du cubisme, dissociée de la pédagogie et par là, de la vie. Il est significatif que Le Corbusier, artiste complet, ait servi d’intermédiaire et, de ce fait, ait offert à Léger la possibilité de sortir des seuls problèmes de la peinture de chevalet.

Entre 1918 et 1924, l’art de Léger est à un de ses sommets, au maximum de son ampleur et de son harmonieuse insertion dans le domaine du décoratif : composition mécaniste des Disques (1918, musée d’Art moderne de la ville de Paris), synthétique de la Ville (1919-20, Philadelphia Museum of Art) et du Grand Déjeuner (1921, Museum of Modern Art de New York), qui intègre admirablement la figure humaine dans un décor où l’objet est moins détail réaliste que signe représentatif d’une époque. Parallèlement, les décors et costumes que l’artiste exécute pour les Ballets suédois, ainsi que son film le Ballet mécanique (1924) fortifient cette idée que l’art doit sortir des limites du chevalet, aborder une multiplicité de techniques et de supports et, par tous ces moyens, se mêler à la vie.

1925 marque une période de crise, Léger présentant à l’Exposition des arts décoratifs, dans le « pavillon de l’Esprit nouveau », des peintures murales abstraites d’une sévère orthogonalité. Mais, très vite, il revient à l’objet, qu’il traite non pas dans cette ambiguïté poétique que les surréalistes avaient mise à la mode, mais en l’isolant dans un espace indifférencié (la Joconde aux clefs, 1930, musée Fernand-Léger de Biot). Les figures, de leur côté, avec leur modelé conventionnel, laissent l’arabesque et la couleur, loin de toute fonction descriptive, se déployer avec leur valeur propre (Composition aux deux perroquets, 1935-1939, musée national d’Art moderne, Paris). Les décorations de Léger pour une salle de l’Exposition internationale de Bruxelles, sur le thème du sport (1935), puis pour le palais de la Découverte à Paris, sur le thème du Transport des forces (1937), lui permettent de définir une esthétique de synthèse à l’échelle du mur, qu’il avait toujours considéré comme le support idéal d’un art destiné à tous.

Pendant l’Occupation, le peintre se réfugie aux États-Unis, où il était allé trois fois déjà (en 1931, en 1935 avec Le Corbusier, en 1938). Il y retrouve les intellectuels et artistes émigrés, tels André Breton, Masson, Tanguy, Ernst, Chagall, Mondrian, Ozenfant... Il collabore aux expériences cinématographiques de l’ancien dadaïste Hans Richter et peint sous l’influence du milieu américain, qui, par l’ampleur de ses conditions naturelles comme par sa dimension mécanisée, répond idéalement à ses rêves plastiques.

De retour en France en 1945, il adhère au parti communiste, dont il deviendra, avec Picasso, l’artiste vedette. Il reprend les grandes compositions à personnages d’avant guerre, en dissociant parfois l’apport de la couleur de celui du dessin, chacun ayant sa vie propre (états définitifs, en 1954, de la Grande Parade [musée Guggenheim, New York] et de la Partie de campagne [fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence]). On a vu là des réminiscences à la fois des papiers collés du cubisme et de la vision que l’artiste eut de Broadway et rapporta ainsi : « Vous êtes là, vous parlez avec quelqu’un, et tout à coup il devient bleu. Puis la couleur passe, une autre arrive, il devient rouge, jaune. Cette couleur là, la couleur des projecteurs, du néon, est libre : elle est dans l’espace. J’ai voulu faire la même chose dans mes toiles. »

On voit également l’artiste aborder, à cette époque, tous les domaines de la création plastique : décors et costumes pour le Bolivar de Darius Milhaud (1949) ; mosaïque pour l’église d’Assy (1946) ; vitraux pour l’église d’Audincourt (1951), vitraux en dalles de verre pour l’église de Courfaivre, en Suisse, et pour l’université de Caracas (1954) ; décoration pour la grande salle du palais de l’O. N. U., à New York (1952) ; étude chromatique pour l’hôpital de Saint-Lô (1954). Léger aborde également la tapisserie, la céramique et la sculpture polychrome ; il illustre en 1953 Liberté, de Paul Éluard, poème-objet qui connaîtra un large succès populaire.

Grand prix de la Biennale de São Paulo en 1955, il meurt à Gif-sur-Yvette la même année, dans la propriété qu’il avait acquise en 1952 lors de son remariage avec une de ses élèves, Nadia Khodossevitch. En 1957 est entreprise à Biot (où il avait réalisé ses premières céramiques) la construction du musée Fernand Léger, inauguré en 1960 et devenu par donation musée national en 1967.

J.-J. L.

➙ Cubisme.