Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Ankara (suite)

Entre des massifs dont l’altitude oscille entre 1 700 et 1 900 m au nord, et une steppe plus basse (de 1 000 à 1 200 m) et peu ondulée au sud s’élève à près de 1 000 m un piton volcanique dans une dépression, lieu de confluence de trois rivières. Dans ce site, de petite localité fortifiée, s’établit un village phrygien. La bourgade, connue sous le nom d’Ankyra (Ancyre) à l’époque achéménide, devient par la suite une modeste agglomération galate. À l’époque romaine seulement, Ancyre s’étend assez largement dans la plaine, où s’édifient thermes et temples, symbole de sa prospérité commerciale ; elle se replie sur son site primitif aux époques byzantine et ottomane. À ce moment, la fonction routière et de relais de la ville diminue, en même temps que le commerce d’ensemble de l’Anatolie (la route la plus fréquentée vers le Levant passe de nouveau par le sud de la steppe et Konya).

Ankara joue le rôle de centre régional. Au cœur de la zone d’élevage des chèvres à long poil (chèvres d’Angora), la ville exporte la laine et devient un actif centre d’artisanat de filature et de tissage, qui paraît avoir approché 50 000 habitants au début du xixe s. Cette prospérité est anéantie par la ruine de la filature (concurrencée à partir de 1840 par l’industrie occidentale) et par la chute des exportations de la matière première (quand des chèvres d’Angora seront élevées en Afrique australe, à partir de 1880). La population retombe au-dessous de 30 000 habitants au début du xxe s., et Ankara n’est plus qu’un modeste centre de distribution de produits importés, auquel, en 1914, l’arrivée du chemin de fer et sa fonction, toute provisoire, de tête de pont ferroviaire de l’embranchement du chemin de fer de Bagdad (qui, se détachant à Eskisehir de la voie principale, progresse le long de la bordure nord de la steppe) vont redonner une certaine activité.


Le choix d’Ankara comme capitale

Mais rien ne laisse prévoir le développement futur de la ville. Le choix d’Ankara comme siège du Comité national turc, puis comme capitale, événement décisif dans l’évolution de la ville, sera le résultat, après la Première Guerre mondiale et le démembrement de l’Empire ottoman, d’un ensemble de facteurs convergents, parmi lesquels les conditions stratégiques de l’époque seront prédominantes. La présence de troupes franco-arméniennes en Cilicie et les révoltes des Kurdes dans l’Anatolie du Sud-Est amènent le déplacement du siège du Comité national d’abord d’Erzurum à Sivas. À l’ouest, la présence des forces alliées franco-anglaises à Istanbul, des forces grecques à Smyrne et des forces italiennes en Pamphylie impose de choisir un centre sur le plateau, à l’écart des diverses menaces possibles. Quatre villes de taille relativement importante sont sur les rangs : Kayseri, Sivas, Konya et Ankara. Mais les deux premières ne disposent pas encore de la voie ferrée, élément de liaison décisif avec Istanbul, où demeure le sultan et où se réunira la première assemblée jusqu’à sa dissolution par les Alliés en mars 1920. Konya est trop proche des côtes méridionales ; cette ville traditionaliste n’est d’ailleurs guère favorable au nouveau gouvernement. Le choix d’Ankara est donc logique, et la nouvelle assemblée s’y réunit en avril 1920. Quand, en 1923, après la guerre turco-grecque, il faut désigner une capitale définitive, Ankara occupe une position centrale, ce qui assure son choix à la tête d’un État replié sur l’Anatolie ; Istanbul, trop périphérique, symbolise aussi une certaine attitude de compromission avec l’étranger, que renforce encore le caractère cosmopolite de sa population. Les préférences sentimentales issues du rôle d’Ankara pendant la guerre achèvent de jouer en sa faveur et conduisent à pérenniser une fonction jusque-là provisoire.


Ankara, capitale de la Turquie

Le développement de l’agglomération s’est tout naturellement orienté vers le sud, dans le bassin et sur les pentes faciles situées au-delà des vallées. Un facteur supplémentaire vient préciser l’axe de croissance. Pendant la guerre, l’administration s’est tant bien que mal entassée dans la vieille ville perchée sur son rocher. Néanmoins, on a dû utiliser toutes les possibilités de logement praticables dans la campagne environnante. Le président du Comité national et plusieurs ministres se sont ainsi installés dans le petit noyau rural de Çankaya, à quelques kilomètres au sud. Atatürk décide d’y fixer le siège de la présidence, dans un site champêtre qu’il a apprécié. Quand l’urbaniste allemand Hermann Jansen établit, à partir de 1927, le plan de développement, il est naturellement conduit à le concevoir autour d’un grand axe de communication, l’actuel boulevard Atatürk, reliant l’ancien noyau urbain de la vieille ville au nouveau pôle de croissance, où se concentrent les fonctions politiques.

La structure de la ville est ainsi typiquement polynucléaire. Accolée à la citadelle, la vieille ville conserve une fonction résidentielle mêlée à la fonction commerciale traditionnelle. À son pied sud se placent les quartiers commerçants et d’affaires de type moderne (place Ulus). Au-delà s’étendent les quartiers résidentiels de type moderne (Yenişehir) ; des bâtiments universitaires ou officiels se dispersent le long de la grande artère qui conduit aux quartiers de résidence élégants, groupant en outre l’essentiel de la fonction politique (ministères et ambassades), de Kavaklıdere et de Çankaya. L’accroissement démographique récent a juxtaposé à cette structure initiale un développement nouveau en étoile le long des grandes routes : s’y sont installés des lotissements organisés, mais aussi des additions parasites, zones hybrides d’habitats médiocres et d’artisanat le long des vallées, zones d’habitats sommaires (de caractère semi-rural d’ailleurs, plus que véritables bidonvilles) dispersées sans ordre surtout sur les collines escarpées du Nord (Altın dağ) et groupant au total près de 300 000 personnes. L’essor de la population a été spectaculaire : 74 000 habitants en 1927, 288 000 en 1950, plus de 900 000 en 1965 et plus de 1 200 000 en 1970. Mais l’activité urbaine n’a d’autre base que la centralisation considérable d’un régime fortement étatisé. Services publics et professions libérales dominent largement (27 p. 100) dans la population active, avec les domestiques (8 p. 100), qui leur sont liés, devançant le commerce et les transports (10,5 p. 100), le secteur secondaire (14,5 p. 100), essentiellement fondé sur l’artisanat, et une agriculture en diminution régulière (6,5 p. 100 des personnes actives en 1955 contre 26 p. 100 en 1927). Les gens sans profession définie constituent plus du tiers de la population active. La ville, qui n’est ni commerçante ni industrielle, apparaît ainsi sans fondements économiques réels en dehors de sa fonction même de capitale. La progression de la population employée dans le secteur secondaire est néanmoins régulière, mais est due surtout à la croissance de l’artisanat.

X. P.