Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Le Brun (Charles) (suite)

Le peintre

L’œuvre de Le Brun n’est pas seulement le témoignage d’une carrière — la plus éclatante de son siècle. Son style est mâle, grave, héroïque, parfois brutal à ses débuts. L’exécution est large, sans le raffinement d’un La Hire ou d’un Le Sueur, et le coloris moins vif et plus chaud que celui de la plupart des maîtres français du siècle. Le Brun est à l’aise dans l’allégorie, pour laquelle il trouve d’emblée des formes lisibles et vivantes. Ce don lui permet d’exceller dans la grande décoration. Cependant, le réalisme ne perd jamais ses droits ; il inspire des morceaux savoureux, surtout dans les ouvrages de la première période (par exemple le poêle et le chat du Sommeil de l’Enfant Jésus), mais encore dans certains de la maturité, comme l’escalier des Ambassadeurs ou les tapisseries de l’Histoire du roi.


Le maître d’œuvre

Le Brun n’aurait pu venir à bout de ses entreprises sans l’intervention de nombreux aides. Cela explique certaines faiblesses d’exécution, que l’on relève surtout dans les grands décors de la période versaillaise. Alors que Jean-Baptiste de Champaigne (1631-1681), Noël Coypel (1628-1707), Antoine Paillet (1626-1701), Michel II Corneille (1642-1708), Jean-Baptiste Corneille (1649-1695), René Antoine Houasse (1645-1710), etc., travaillant sous sa direction, ont préservé leur marque individuelle, d’autres peintres, tels Louis Licherie (1629-1687) ou François Verdier (1651-1730), neveu par alliance du maître, reflètent plus directement son influence. Parmi les collaborateurs de Le Brun, il faut aussi faire la part des spécialistes : Jacques Rousseau (1630-1693), qui peignait des architectures en trompe l’œil ; Jean-Baptiste Monnoyer (1634-1699), auteur de somptueuses natures mortes ; Belin de Fontenay (1653-1715), peintre de fleurs ; sans omettre Adam Frans Van der Meulen (1632-1690), le peintre des batailles, auquel Le Brun confiait des fonds de paysage pour ses modèles de tapisserie.

La carrière officielle de Le Brun déborde, on l’a vu, le domaine de la peinture. La richesse incroyable de son invention est illustrée par les dessins qu’il livrait au talent des sculpteurs, des ciseleurs, des menuisiers, des orfèvres, des tapissiers. Il se contentait le plus souvent de leur fournir des « pensées » qui admettaient d’assez grandes libertés d’exécution, mais assuraient l’unité du style décoratif qui accompagne la période la plus brillante du règne de Louis XIV.

B. de M.

➙ Académie royale de peinture et de sculpture / Académisme / Classicisme / Louis XIV (style) / Versailles.

 H. Jouin, Charles Le Brun et les arts sous Louis XIV (Laurens, 1890). / P. Marcel, Charles Le Brun (Plon, 1909). / Catalogue de l’exposition Charles Le Brun au château de Versailles (Éd. des Musées nationaux, 1963).

Le Chapelier (Isaac René Guy)

Homme politique français (Rennes 1754 - Paris 1794).


Cet avocat, fils d’un bâtonnier anobli par Louis XVI, est le type de ces bourgeois de talent qui firent la Révolution, mais qui s’effrayèrent de la voir pénétrée et radicalisée par les masses populaires, et cherchèrent alors à s’entendre avec leurs ennemis de la veille.

En 1788, il est, lors de la « révolte aristocratique », un des opposants les plus énergiques aux privilégiés. Les élections aux États* généraux en font un député de la sénéchaussée de Rennes. Le Chapelier va s’affirmer comme une des têtes du « parti » patriote. Il est parmi ceux qui fondent le Club breton (futur club des Jacobins*), où la tactique de la bourgeoisie révolutionnaire s’élabore. Il est de ceux qui réclament avec le plus d’insistance la vérification en commun des pouvoirs des députés ; c’est là une manœuvre qui doit aboutir au vote par tête et non par ordre, à l’égalité politique entre nobles et représentants du Tiers. Menacés par la Cour, ces derniers jurent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution à la France : au Jeu de paume, Le Chapelier, avec Barnave, rédige la formule du serment. Puis, dans la nuit du 4-Août, il préside à l’Assemblée nationale constituante* à l’abandon des privilèges. Dans les mois qui suivent, la notoriété acquise lui vaut d’être au comité de Constitution un des organisateurs de la France nouvelle. Il y défend le principe d’un partage égal des successions.

En 1791, la persistance d’une agitation démocratique au sein des masses populaires urbaines inquiète un grand nombre de bourgeois. Un comité réunit les clubs populaires ; il réclame le droit de cité pour tous, pauvres et riches. Le Chapelier, comme beaucoup de membres de sa classe, soutient que seuls les propriétaires ont des droits politiques. Pour mieux s’opposer aux revendications, il aide à forger un arsenal juridique. Le 14 juin, il fait voter une loi dont son nom restera inséparable. Le caractère politique de cette loi retient seul l’attention des contemporains tel Marat*, qui la dénonce dans son journal. C’est que la loi interdit, en même temps que les coalitions de citoyens, les adresses et les pétitions faites à des corps administratifs « sous la dénomination d’un état ou d’une profession ». C’est déclarer illégale la forme d’action politique choisie à l’intérieur des sections par les éléments populaires.

Dépassant la contingence, les historiens reconnaissent dans la loi une des bases du système libéral. Sur elle, tout le système capitaliste du xixe s. va s’élaborer : la grève hors la loi, la liberté d’association reniée, les compagnons ou les ouvriers sont à la discrétion du patronat.

La fuite, puis le retour du roi de Varennes précipitent l’évolution d’une partie de la bourgeoisie vers le compromis avec le roi et les aristocrates. Le Chapelier est de ceux qui pensent, avec Barnave, qu’il est temps de terminer la Révolution. Rejoignant les Feuillants, il fait figure d’un des chefs du groupe qui veut l’entente avec le roi. Il sera, à la veille de la séparation de la Constituante, l’instigateur de mesures qui restreignent l’influence des clubs populaires.