Mathématicien français (Beauvais 1875 - Paris 1941).
D’origine très modeste, Henri Lebesgue fut l’un des plus éminents représentants d’une grande époque des mathématiques françaises. En 1894, il entre à l’École normale supérieure, où il est le condisciple du physicien Paul Langevin* (1872-1946) et du mathématicien Paul Montel. Agrégé de mathématiques en 1897, il exerce pendant quelques années dans des lycées de province. Mais, dès 1902, sa thèse de doctorat, révolutionnaire dans ses conceptions « intégrale-longueur-aire », le situe à l’avant-garde des mathématiciens du siècle. Pour la première fois est exposée une nouvelle théorie de l’intégration des fonctions de la variable réelle. Cette nouvelle intégrale détrône vite celle de Bernhard Riemann (1826-1866) : plus souple, plus puissante, elle étend considérablement le champ des fonctions intégrables. Pour son élaboration, Lebesgue doit introduire la notion de mesure d’un ensemble de points de la droite réelle. De cette mesure, il donne une définition descriptive, alors qu’en 1894 Émile Borel* en avait donné une définition constructive, un peu moins maniable. Curieusement, une polémique s’élève entre ces deux mathématiciens de grande classe, qui pourtant s’apprécient mutuellement. Chacun refuse à l’autre, en la circonstance, ce qui fait l’essentiel de son œuvre. Mais, aujourd’hui, il faut reconnaître que la mesure des ensembles est due à Borel, et la nouvelle intégrale à Lebesgue.
Dans l’intégrale de Riemann, pour calculer
on partage l’intervalle [a, b] en intervalles disjoints [xi, xi + 1], dans chacun desquels on prend une valeur x de la variable. Si f (x) est la valeur associée de la fonction, on totalise les produits f (x) . (xi + 1 – xi), et l’on passe à la limite.
Dans l’intégrale de Lebesgue, si A et B sont les valeurs extrêmes de f (x) sur [a, b], on partage l’intervalle [A, B] en intervalles disjoints [yi, yi + 1], yi < yi + 1. Si m est la mesure de l’ensemble des valeurs x pour lesquelles yi < f (x) < yi + 1, et si y est un nombre compris entre yi et yi + 1, on totalise les produits y . m, et l’on passe à la limite. Lebesgue appliquera son intégrale à l’étude des séries trigonométriques, domaine où elle révélera toute sa puissance. Cependant, certaines catégories de fonctions, intégrales au sens de Lebesgue, ne le sont pas au sens classique.
Son grand mémoire de 1905 « sur les fonctions représentables analytiquement » a été le point de départ d’importants travaux sur les ensembles analytiques, développés en particulier dans les écoles mathématiques russe et polonaise.
Appelé en 1902 à la faculté des sciences de Rennes comme maître de conférences, Lebesgue peut, d’autre part, exposer pendant deux ans ses découvertes au Collège de France, grâce à la fondation Peccot. Professeur à la faculté des sciences de Poitiers de 1906 à 1910, il est nommé maître de conférences, puis professeur, à la Sorbonne jusqu’en 1921, époque où il succède à Georges Humbert (1859-1921) au Collège de France. En 1922, il remplace Camille Jordan (1838-1922) à l’Académie des sciences. Maître de conférences, pendant de longues années, tant à l’École normale supérieure qu’à l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres, il a formé des générations de professeurs. Ses recherches de mathématiques élémentaires sur la mesure des grandeurs, sur les constructions géométriques et sur les coniques, recherches où il a mis toutes les ressources de son génie au service de l’enseignement du second degré, ont eu une influence considérable sur l’évolution de la pensée mathématique.
J. I.