Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Laurens (Henri)

Sculpteur français (Paris 1885 - id. 1954).


La formation de Laurens, né dans un milieu ouvrier, est placée sous le signe de la pratique. En cela, d’ailleurs, l’artiste trouve un point commun avec Georges Braque*, dont il fait la connaissance en 1911 et dont il restera fidèlement l’ami.

Laurens a vécu intensément la crise de sa génération, qui ambitionnait de se débarrasser plus encore des contraintes de l’académisme que de celles de la réalité ; visant, esprit en un sens classique, à adhérer à cette dernière, non plus dans ses détails, ses accidents, ses aspects pittoresques, mais dans sa permanence ; réalité libérée en somme de l’aléatoire, du temporel, pour une redéfinition en profondeur.

Il expérimente le relief, le papier collé et l’assemblage avant de passer au bas-relief, qu’il attaque au ciseau, « en taille directe », mais reprend par la polychromie. Contrairement à bien des épigones du cubisme*, Laurens échappe à tout intellectualisme, et pourtant il se manifeste avec les cubistes et, grâce à Picasso*, expose chez Léonce Rosenberg. Bientôt, il rejoindra Braque et Picasso à la galerie Kahnweiler.

Vers 1927-1930, sa période géométrique s’achève, la ligne s’infléchit, la masse devient plus onctueuse. Désormais, le nu devient le sujet essentiel : femmes debout, accroupies, couchées, ondines, sirènes, modelées dans la terre cuite ou le bronze, parfois taillées dans le marbre. Laurens renoue avec la réalité dans ses forces, ses élans et ses vibrations naturelles, réalisant là, en somme, les ambitions de ses débuts. Parallèlement aux sculptures de petites ou moyennes dimensions, il exécute des pièces monumentales, dans lesquelles il peut donner une mesure généreuse à son goût de l’effusion contrôlée : Grande Femme debout à la draperie (1928), encore statique et géométrisée, l’Océanide (1933), Amphion (1937), la Grande Baigneuse (1947), contrepoint ondoyant d’opulence et de gracilité.

Parce qu’il a toujours beaucoup dessiné, Laurens est aussi amené à donner de nombreuses illustrations pour Pierre Reverdy*, Tristan Tzara*, Céline Arnauld, Radiguet, Paul Éluard*, Paul Dermée, sans oublier Théocrite et Lucien de Samosate. Son œuvre graphique témoigne de la profonde qualité sensible d’un trait assujetti à des rythmes intérieurs qui épousent, très librement, ceux d’une réalité sensualisée à l’extrême.

Il fut un homme admirable de constance et de modestie, grave sans affectation, aimable sans servilité, admiré par ceux qui l’approchaient. Son succès fut tardif, tant il mettait d’indifférence à le provoquer. Il faudra attendre le geste amical de Matisse*, partageant avec lui son prix de la Biennale de Venise, en 1950, pour que l’attention du public se porte enfin sur lui. Il reçoit en 1953 le grand prix de la Biennale de São Paulo et, l’année suivante, meurt brusquement dans la rue.

À la suite, principalement, d’une donation voulue par l’artiste et réalisée par ses héritiers, le musée national d’Art moderne, à Paris, est très riche en œuvres de Laurens.

J.-J. L.

 M. Laurens, Henri Laurens, sculpteur (La Palme, 1955). / C. Goldscheider, Laurens (Cologne et Berlin, 1956).
CATALOGUE D’EXPOSITION : Henri Laurens, 1885-1954 (Grand Palais, Paris, 1967).

Laurier (Wilfrid)

Homme politique canadien (Saint-Lin, prov. de Québec, 1841 - Ottawa 1919).


Lointain descendant d’un soldat du régiment de Carignan-Salières, le futur homme d’État est élève des Assomptionnistes, puis étudiant en droit au collège McGill. Avocat, il édifie le premier tremplin de son ascension politique en devenant propriétaire d’un journal, le Défricheur, et s’établit en 1867 à Arthabaska. Partisan convaincu de la démocratie parlementaire, il est élu député libéral à l’Assemblée provinciale en 1871, puis il siège à Ottawa de 1874 à 1877 : là, il s’oppose vivement aux catholiques ultramontains du Québec et prône l’étroite union des deux « peuples fondateurs » du Canada, rejetant toute forme de séparatisme pour les descendants des Français.

En 1887, Wilfrid Laurier devient le leader de l’opposition libérale : il bénéficie d’emblée des difficultés économiques persistantes que le régime de John Alexander Macdonald ne parvient pas à atténuer. Après la mort de ce dernier (1891), Laurier va faire preuve d’un sens politique aigu qui lui ouvrira la voie du pouvoir : la majorité de l’opinion du Québec soutient avec ardeur les francophones du Manitoba engagés dans une lutte difficile pour la défense de leur langue maternelle. Pour respecter le principe de la non-intervention du « fédéral » dans les affaires réservées aux provinces, Laurier, leader politique à l’échelle du Canada tout entier, refuse de prendre parti dans l’affaire, puis s’élève contre le projet de gouvernement central favorable aux francophones. Cette audace contribue à donner la victoire aux libéraux, qui emportent très largement les élections de 1896, même au Québec (41 sièges sur 65) ; la hiérarchie catholique, par la voix d’un évêque, a pourtant déclaré que « c’était péché mortel de voter libéral ».

Le nouveau Premier ministre ne va pas tarder à bénéficier d’un renversement des conditions générales de l’économie, et la longue période de son pouvoir (jusqu’en 1911) coïncidera avec un développement sans précédent du Canada : dès août 1896, la découverte de l’or dans le lointain Yukon, même si elle n’engendre qu’une « ruée » passagère, est un élément important pour liquider la « morosité ». Sur le plan commercial, Laurier n’hésite pas à fouler aux pieds les principes libre-échangistes qui appartenaient, théoriquement, à la doctrine de son parti : un tarif préférentiel est accordé à la Grande-Bretagne, qui va développer considérablement les échanges avec son dominion. Les industries canadiennes vont bénéficier du protectionnisme qui s’instaure. Mais le Canada est plus intéressé par le développement de l’agriculture dans les grandes plaines. Cette dernière bénéficie de l’acclimatement de nouveaux types de blé et de l’extraordinaire essor de l’immigration : grâce aux prolétariats de l’Europe centrale, elle passe de 21 700 entrées en 1896 à 189 000 en 1906.