Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Lattre de Tassigny (Jean-Marie Gabriel de) (suite)

Au cours d’une reconnaissance, le peloton de Lattre disperse le 14 septembre un parti de cuirassiers bavarois, mais son chef tombe, frappé au poumon de deux coups de lance. Pansé et caché à Pont-à-Mousson, il y sera recueilli par une patrouille du 5e hussards et soigné à Nancy par Mme Weygand, dont le mari vient de quitter ce régiment pour devenir chef d’état-major de Foch*. La guerre de tranchée condamnant les cavaliers à l’inaction, c’est dans l’infanterie qu’à la fin de 1915 de Lattre reprend le combat. En 1916, il commande une compagnie de Vendéens du 93e et est encore blessé à Verdun, où il apprendra pour toujours de quelle misère et de quelles souffrances se paie une victoire ; il la connaîtra en 1918 à la tête d’un bataillon après avoir été quatre fois blessé et huit fois cité. En 1921, il est volontaire pour le Maroc, où, à Meknès, à Fez puis comme chef d’état-major à Taza en 1925 lors de la campagne du Rif (où il est encore blessé), il découvrira la nécessaire conjugaison de l’action politique et des opérations militaires. Promu commandant en 1926, il rentre en France, prend la tête d’un bataillon du 4e régiment d’infanterie à Coulommiers, se marie et est reçu en 1927 à l’École de guerre. Comme Juin, toutefois, il supporte mal un enseignement trop conformiste, fondé sur les seuls impératifs de la technique des armes et la seule expérience incomplètement analysée de la dernière guerre. Pour de Lattre, que la vie et l’action dévorent et qui possède une étonnante puissance de vibration, la liberté d’esprit, le refus de tout a priori et surtout la connaissance des hommes constituent autant d’éléments essentiels à la formation du chef de guerre. En 1933, le général Weygand*, nommé vice-président du Conseil supérieur de la guerre, appelle à son cabinet le lieutenant-colonel de Lattre, qu’il charge, à l’échelon suprême, de préparer et de suivre les grands exercices stratégiques et tactiques. Promu colonel en 1935, de Lattre prend à Metz la tête du 151e régiment d’infanterie : bousculant bien des routines, il donne à ce corps un brio et un panache exceptionnels, y imprimant sa marque personnelle, faite autant de séduction que d’autorité. Après un an au Centre des hautes études militaires en 1938, de Lattre est nommé général en mars 1939 : il a cinquante ans et est le plus jeune général de l’armée française.

À la mobilisation de 1939, il devient chef d’état-major du général Bourret à la Ve armée, dont de Gaulle* commande les chars. Mais au début de 1940, de Lattre quitte son P. C. de Wangenbourg, en Alsace, pour prendre le commandement de la 14e division, avec laquelle, aux jours sombres de l’invasion, il portera de Rethel à la Loire de rudes coups à l’adversaire. S’il admet l’armistice, qui le trouve à Clermont-Ferrand, il refuse qu’il soit sans appel. Commandant militaire du Puy-de-Dôme, il crée à Opme, en Auvergne, la première école de cadres qui veut donner aux jeunes Français fierté et confiance en eux pour les rendre capables, le moment venu, de reprendre la lutte. Promu divisionnaire en 1941, il est de nouveau appelé par Weygand, commandant en chef en Afrique du Nord, et nommé commandant supérieur des troupes de Tunisie. Il n’y reste que quelques mois, car il soutient la thèse du désarmement par les Français des troupes allemandes de Rommel* au cas où, poursuivies par les Britanniques, elles chercheraient refuge sur ce territoire. En février 1942, de Lattre est mis à la tête de la 16e division militaire à Montpellier. En novembre, voulant « sauver l’honneur des troupes placées sous ses ordres », il tente en vain de s’opposer à l’occupation de la zone libre par la Wehrmacht en violation des clauses de l’armistice. Désavoué par ses chefs, il est arrêté, condamné à dix ans de prison par le tribunal militaire de Lyon et incarcéré à la prison de Riom, d’où il parviendra, avec l’aide de sa femme et de son fils, à s’évader le 3 septembre 1943. Le 18 octobre, un avion de la Royal Air Force le conduit en Angleterre, et, le 25 décembre, il arrive enfin à Alger, où il a été promu le 10 novembre général d’armée.

Nommé par le général Giraud* au commandement de l’armée B, qui deviendra la Ire armée française, de Lattre va vivre avec elle l’époque la plus glorieuse de sa carrière. Dès le début de 1944, il crée à Doueira une école de cadres où se forgent des promotions de jeunes dont l’enthousiasme et la détermination feront de la Ire armée un remarquable instrument. Le 15 août s’ouvre avec les débarquements de Provence cette étonnante campagne de style napoléonien que de Lattre conduira avec une exceptionnelle maîtrise. C’est d’abord en treize jours la Provence entièrement libérée, puis cette poursuite de 700 km qui, en trois semaines, conduira les divisions françaises de la Méditerranée aux Vosges, libérant au passage Lyon le 3 septembre, Dijon le 11 et prenant dès le 12 la liaison avec les forces débarquées en Normandie. C’est aussi l’amalgame réalisé en pleine bataille entre 250 000 soldats venus d’Afrique et 137 000 F. F. I. issus des maquis de la Résistance ; il est concrétisé par la création, dès le 20 février 1945 à Rouffach, d’une autre école de cadres qui « insufflera à toute l’armée une ardeur nouvelle à la veille de sa campagne décisive ». Après l’irruption en haute Alsace (nov. 1944), la défense de Strasbourg, la réduction de la poche de Colmar (9 févr. 1945), la Ire armée franchit le Rhin le 31 mars dans la région de Spire, puis, en une ultime chevauchée, atteint le cœur même de l’Allemagne du Sud, le Danube et pénètre en Autriche. « Grâce à cet être assez fabuleux que nous appelions familièrement le « roi Jean », écrit son chef d’état-major, le général Valluy (1899-1970), nous, les assassinés de 1940, avons vécu une revanche que nous n’aurions jamais crue possible ! » Dans la nuit du 8 au 9 mai 1945 à Berlin, de Lattre contresignera au nom de la France la capitulation de la Wehrmacht. En juillet, la Ire armée, baptisée Rhin et Danube, est dissoute. Le 21 novembre, de Lattre est nommé chef d’état-major et inspecteur général de l’armée, à laquelle il veut donner un nouveau souffle de grandeur et d’efficacité, réformant les méthodes d’instruction des cadres, organisant celle des recrues, non plus dans les casernes mais dans l’ambiance tonique et vivifiante des camps légers.