Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

latine (littérature) (suite)

Mais, alors que la poésie compte déjà des œuvres remarquables, l’apparition de la prose reste timide, sauf dans les domaines de l’histoire et de l’éloquence. C’est à Caton* le Censeur (iiie-iie s.) que l’on doit les premières œuvres de valeur de la littérature latine proprement dite. Cet adversaire intransigeant de l’hellénisme raconta sous le nom d’Origines la fondation des principales villes d’Italie et conçut l’histoire comme l’école de l’homme d’État. Son Traité sur l’agriculture, manuel d’économie rurale, vise à montrer que seule la terre peut former des hommes énergiques et de bons soldats. L’éloquence, influencée par les rhéteurs grecs, favorisés par une partie de l’aristocratie (ainsi le « Cercle des Scipions »), brille surtout avec les Gracques (iie s.), dont Cicéron rapporte les traits les plus célèbres, et, peu après, avec Antoine et Crassus.

Il semble donc que ces deux premiers siècles d’une littérature qui s’est haussée à la dignité littéraire se caractérisent par la volonté plus ou moins consciente des écrivains d’utiliser l’héritage grec — et encore l’héritage classique plutôt qu’hellénistique — tout en cherchant à s’engager dans une voie nettement romaine aussi bien dans l’expression que dans le contenu intellectuel et moral. Il devait appartenir au siècle suivant de faire la synthèse de la culture hellénique et d’une tradition nationale : ce sera l’âge classique de la littérature latine.


L’âge classique

Le classicisme latin, alliage de qualités romaines et d’imitation grecque, commence paradoxalement à s’affirmer à une des époques les plus troublées de l’histoire romaine et correspond à un niveau de culture élevé de la société. Il parviendra à sa plénitude au début de l’ère impériale. Cette maturité des lettres latines s’épanouit en deux temps : d’abord, à la fin de la République, presque essentiellement dans la prose, puis, sous Auguste*, dans la poésie.

Les bouleversements politiques et sociaux de la fin de la République n’empêchent pas — peut-être même favorisent — l’éclosion d’une littérature qui trouve une forme achevée dans l’éloquence comme dans l’histoire. L’éloquence, qui vit des luttes politiques, et l’histoire, qui en recueille l’écho, atteignent immédiatement un équilibre classique grâce à l’heureuse combinaison d’un art accompli — dû à une incessante méditation sur les chefs-d’œuvre grecs — et d’une inspiration qui puise ses sources dans l’actualité. La figure de Cicéron* domine toute cette époque. Cet homme engagé met au service de ses dons l’élan passionné de ses convictions. Avant tout, il veut persuader et emporter l’adhésion. Pour lui, la littérature est une arme de combat, et, comme telle, admirablement entretenue. Simultanément, dans un autre registre, celui de l’histoire, César* s’applique, avec une feinte impassibilité, à faire œuvre de propagande. À peine quelques années plus tard, Salluste* aura peut-être plus d’intensité dramatique, mais non la limpidité césarienne, tandis que l’érudit Varron restera dans la tradition de l’ancien esprit romain.

La poésie républicaine doit son éclat à deux poètes presque contemporains qui se situent aux antipodes l’un de l’autre. Lucrèce*, dont la cosmogonie est celle d’un visionnaire inspiré, se situe comme un astre à part dans le ciel de Rome. Catulle (v. 87 - v. 54), dont la haute société raffinée et cultivée voit avec sympathie le néo-alexandrinisme, se distingue par son goût de l’art pour l’art et par sa facture savante. Mais il a su aussi être autre chose qu’un poète mondain : maintes pièces de ce jeune homme si doué émeuvent profondément par leur mordant, leurs accents douloureux, leur sensibilité exacerbée.

Enrichie par cette double influence, la poésie va atteindre son apogée sous Auguste, comme si un pouvoir fort entraînait nécessairement l’apparition de chefs-d’œuvre. Du moins l’a-t-il facilité, et le fait qu’Auguste et Mécène protègent et encouragent le poète n’est sans doute pas étranger à la perfection des réalisations. Dominant de très haut la poésie augustéenne, deux hommes se détachent : Virgile*, chantre des vertus nourricières de la terre et des valeurs guerrières et spirituelles de l’âme romaine ; Horace*, dont la sagesse et l’art de vivre sont la juste mesure du classicisme.

Consciente de la dignité qu’a acquise la poésie, une nouvelle génération d’écrivains se porte vers les raffinements de la psychologie et s’attache à la souplesse de l’expression. La passion d’amour gouverne l’inspiration des poètes, et le distique élégiaque devient la forme privilégiée de cette poésie. Un ton personnel s’instaure pour peindre les tortures d’un amour malheureux. Sensibilité et sincérité, mélancolie voluptueuse et nonchalance caractérisent Tibulle, qui se rattache à Virgile. À peine plus jeune de quelques années, un autre élégiaque, Properce (v. 47 - v. 15), use d’un ton plus vigoureux : sa passion inquiète et fiévreuse pour Cynthia, les frémissements de son cœur tourmenté émeuvent singulièrement pour autant qu’ils offrent la chaleur de la vie. Le plus jeune des poètes augustéens, Ovide*, saura, lui aussi, à la fin de son existence et malgré sa facilité, être pathétique.

Cette grande floraison poétique contraste avec le déclin de la prose. Seule l’œuvre de Tite-Live* a survécu. La poésie est devenue pratiquement toute la littérature. Un poème est considéré comme une œuvre de vérité, qu’il exalte la grandeur de Rome ou qu’il s’étende sur les ravages de la passion. Les leçons de la Grèce ont été pleinement assimilées. Mais il reste que le régime impérial, après avoir suscité tant de talents nouveaux, va finir — et c’est la conséquence inévitable de toute perte de liberté — par stériliser pour un temps les facultés créatrices.


De la dynastie julienne aux Antonins

Après le siècle d’Auguste, en effet, les lettres latines semblent brusquement se montrer inférieures à elles-mêmes. Le pouvoir croissant des empereurs a annihilé la liberté de l’inspiration. Ce n’est probablement pas par hasard que peu d’œuvres nées sous Tibère* et Caligula* nous sont parvenues. Elles n’avaient guère de titres pour mériter de passer à la postérité, si l’on excepte le recueil de Controverses de Sénèque le Père (v. 55 av. J.-C. - v. 39 apr. J.-C.), les Fables de Phèdre (v. 15 av. J.-C. - v. 50 apr. J.-C.) et une littérature historique à vrai dire de second ordre (Velleius Paterculus, Valère Maxime, Quinte-Curce).