Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Languedoc (suite)

Dans le paysage nostalgique des étangs de la côte, la cathédrale solitaire de Maguelonne ressemble à une forteresse avec ses étroites fenêtres pareilles à des meurtrières. Un Christ en majesté cantonné par le tétramorphe et un linteau décoré de rinceaux ornent son porche. Aux pieds droits, deux bas-reliefs : saint Pierre, au corps ramassé de lutteur, au visage lourd sous les cheveux frisés, d’énormes moustaches tombant en croissant sur la barbe bien peignée ; saint Paul, au corps en mouvement, comme emporté par la course, le visage ouvert au front dégarni. La sombre nef unique est voûtée en berceau brisé. La grande composition de la façade de Saint-Gilles-du-Gard, étroitement apparentée à celle de Saint-Trophime d’Arles, est nettement d’inspiration antique avec sa large frise et ses trois portails, dont les tympans sculptés de scènes de la vie du Christ sont séparés par une colonnade sous laquelle se succèdent les statues des apôtres. L’abbaye de Saint-Gilles, dont Raimond IV, comte de Toulouse, chef des armées méridionales de la première croisade, portait le nom, eut un rayonnement considérable, auquel contribua le pèlerinage de Compostelle, car les « jacquets » venant d’Italie et de Provence y faisaient halte.

Romans aussi les trois nefs robustes de Saint-Nazaire de Carcassonne*, l’abbatiale de Cruas, le clocher cylindrique à cinq étages d’Uzès, dit « tour Fenestrelle », qui émerge des vieux toits roses comme un signal, les églises de Bourg-Saint-Andéol, à coupole octogonale, de Champagne, à quatre coupoles, la cathédrale fortifiée en lave noire d’Agde, le portail à deux arcades de la cathédrale de Saint-Pons, l’église de Rieux-Minervois au plan centré sans équivalent.

L’art cistercien est représenté par l’abbaye Sainte-Marie de Fontfroide, en pierre dorée, située près de Narbonne dans un vallon des Corbières hérissé de cyprès. Fondée à la fin du xie s., affiliée à l’ordre de Cîteaux en 1146, elle prospéra rapidement, au point de créer dès 1151, à Poblet, en Catalogne, une filiale promise à un grand avenir. L’église (seconde moitié du xiie s.), contemporaine de celles de Sénanque et du Thoronet, se compose d’une nef de cinq travées voûtée en berceau brisé aigu et de deux collatéraux voûtés en quart de cercle. Trois voûtes d’ogives couvrent le transept. Le choeur carré, également ogival, est prolongé par une abside à cinq pans. Une grave allégresse baigne le cloître gothique (fin du xiiie - début du xive s.), bordé, côté jardin, d’arcades en plein cintre supportées par des colonnettes jumelées de marbre blanc aux minces chapiteaux à feuillages, qui s’inscrivent par groupes de trois ou quatre dans de grands arcs de décharge percés d’oculi. La salle capitulaire, aux élégantes voûtes ogivales soutenues par de fines colonnes, s’ouvre sur le cloître par trois baies en plein cintre. Le cellier voûté en berceau rappelle que le monastère fut une exploitation viticole pilote. Fontfroide — la source fraîche image de la Grâce — apparaît comme la cité exemplaire de l’absolu rêvée par saint Bernard.

La voûte en croisée d’ogives apparut pour la première fois en Languedoc à la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse au début du xiiie s. Un style gothique différent de celui des pays de langue d’oïl se répandit rapidement dans toute la province. Il se caractérise par une large nef unique sans arcs-boutants, épaulée par des contreforts puissants entre lesquels se nichent, en l’absence de transept, des chapelles, un chœur sans déambulatoire, une abside à pans coupés, un clocher souvent octogonal. L’intérieur des églises de ce style, où Marcel Durliat relève « le sens de l’espace hérité de Rome », a l’avantage d’être absolument dégagé de colonnes : on y voit le chœur de partout. Plusieurs églises toulousaines sont de ce type et aussi, parmi un grand nombre : Sainte-Cécile d’Albi*, Saint-Alain de Lavaur, Notre-Dame-du-Bourg de Rabastens, Saint-Vincent et Saint-Michel de Carcassonne, Saint-Vincent de Montréal (Aude), Saint-Papoul, Saint-Maurice de Mirepoix, Saint-Fulcran de Lodève. Au Moyen Âge, leurs grandes surfaces murales étaient couvertes de peintures. La cathédrale Saint-Pierre de Montpellier*, précédée d’un porche monumental, relève en partie de ce style. Saint-Nazaire de Béziers (fin du xiiie - xive s.), qui surplombe l’Orb, a une nef à deux travées, un transept et, sur sa façade, une rose de 10 m de diamètre.

Tandis que s’élevaient ces églises, d’autres, directement inspirées des réalisations gothiques « françaises », sortaient de terre : la cathédrale Saint-Just de Narbonne*, œuvre de Jean Deschamps (actif à partir de 1248), dont les voûtes s’élancent à 40 m, la cathédrale Saint-Pierre de Mende, à la façade encadrée de deux hauts clochers, la longue église à façade et abside fortifiées de Clermont-l’Hérault et le merveilleux chœur tout en verrières de Saint-Nazaire de Carcassonne.

La sculpture produit des chefs-d’œuvre aux xive et xve s. : Vierge d’ivoire polychrome et tombeau d’Innocent VI à Villeneuve-lès-Avignon, Vierge dite « Notre-Dame de Grâce » du musée de l’ancien couvent des Augustins de Toulouse, Mise au tombeau et Pietà de Monestiés-sur-Cérou, et les incomparables statues polychromes de la clôture du chœur de la cathédrale d’Albi. Du gothique finissant datent aussi la fresque du Jugement dernier dans le même édifice, celle de saint Jean-Baptiste à la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon et le célèbre Couronnement de la Vierge à l’hospice de la même ville (v. Avignon).

Carcassonne est la plus fameuse des cités fortifiées du Moyen Âge. Cordes dresse sa silhouette altière sur une pyramide rocheuse de la vallée du Cérou. Fondée en 1222 par Raimond VII, comte de Toulouse, elle a gardé à l’intérieur de ses murailles des maisons en beau grès mordoré du xive s., bâties selon une ordonnance rigoureuse. Elles présentent des façades plates à deux étages et toit débordant, percées au rez-de-chaussée d’arcades ogivales et aux étages d’élégantes fenêtres trilobées à colonnettes. Au sommet de la ville, jadis bruissante d’artisanat, la halle de 1353, faite pour les marchés des draps et des cuirs et dont la charpente de chêne est supportée par 25 piliers hexagonaux, abrite l’orifice du puits profond de 107 m. Aigues-Mortes, fondée par Saint Louis et bâtie en échiquier avec une place centrale, à partir de 1272, par les architectes de Philippe le Hardi puis de Philippe le Bel, est entourée d’une enceinte de 11 m de hauteur en bel appareil, flanquée de 20 tours, percée de 10 portes et surmontée d’un chemin de ronde large de 2,50 m sur les courtines. Un puissant donjon cylindrique de 30 m de hauteur et 22 m de diamètre, aux murs épais de 6 m, la tour de Constance de tragique réputation, flanque cet ensemble sévère. Mirepoix (xiiie s.), avec sa place rectangulaire entourée de « couverts » à charpente, et Revel (xive s.) témoignent de l’urbanisme des bastides. Les forteresses cathares, enfin, dressent leurs ruines dans des sites de légende, tandis que celles des rois de France gardent la rive droite du Rhône : donjon triangulaire de Beaucaire, redoutable fort Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon.