Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

langue (suite)

Une autre caractéristique de la grammaire est qu’elle doit pouvoir rendre compte de la compétence des sujets parlants à distinguer entre les phrases qui sont bien formées (on dit alors qu’elles sont grammaticales) et celles qui ne le sont pas. La grammaticalité (qui ne se confond pas avec la signification) est définie dans le cadre de la compétence, alors que, dans celui de la performance, on parlera d’acceptabilité. Celle-ci n’a donc pas l’aspect formel de la grammaticalité : elle ne concerne que ce qui est retenu comme « correct » (non au sens normatif) par le sujet parlant ou par le linguiste se fiant à l’intuition qu’il a de sa propre langue.

L’opposition langue/parole, d’une part, et l’opposition compétence/performance, de l’autre, ne doivent cependant pas faire perdre de vue que ces deux notions sont indissociables et que ce n’est que par l’examen de la parole-performance que l’on peut arriver à une connaissance de la langue-compétence. Les différences théoriques entre les définitions des concepts de langue et de compétence entraînent un certain nombre de différences méthodologiques dans l’analyse de la structure de la langue proposée par les structuralistes, d’une part, et par les générativistes, d’autre part.


La structure de la langue


Langue, système de valeurs

La conception saussurienne a déterminé l’analyse de la structure de la langue telle qu’elle a été développée par ses continuateurs, les structuralistes. Elle entraîne une première conséquence dans l’analyse : chaque langue sera considérée comme un système spécifique irréductible aux autres systèmes ; en effet, il n’est pas possible de considérer que deux termes appartenant à deux langues différentes ont une valeur identique, puisque la valeur de chacun d’eux n’est déterminée que par le rôle qu’il joue à l’intérieur d’une certaine structure linguistique. C’est ainsi que le mot français veau n’a pas la « même valeur » que le mot anglais veal, puisque celui-ci appartient à une structure dans laquelle il s’oppose non seulement aux autres noms d’animaux, mais aussi à calf (qui désigne la bête tant qu’elle est vivante).

De même, deux sons appartenant à deux langues différentes peuvent être relativement proches phonétiquement, mais les phonèmes ne seront pas nécessairement les mêmes, en raison de leur intégration dans des systèmes différents. Ainsi, le /i/ anglais (ex. it) est phonétiquement assez proche du /i/ français (ex. prix), mais son rôle phonologique est tout à fait différent, puisque, d’une part, le /i/ anglais ne s’oppose qu’à une autre rétractée antérieure (/e/ de get), alors que le /i/ français s’oppose à deux (/e/ de blé et /ε/ de baie), et que, d’autre part, le /i/ français s’oppose au même degré d’aperture à une arrondie également antérieure (/y/ de pu), ce qui n’est pas le cas en anglais.

La description de la langue se fera donc à partir d’un corpus (ensemble d’énoncés — oraux ou écrits selon que l’on envisage l’analyse du code oral ou du code écrit — ayant la particularité d’être compris par les locuteurs de la langue et constituant dans la mesure du possible un tout homogène et représentatif). Le linguiste réunit un ensemble de données, des actes de parole, dont il doit dégager par l’analyse les faits structuraux concernant la langue étudiée. Autrement dit, il doit déterminer et classer les éléments de cette langue et dégager leurs règles de combinaison.


Langue, structure, hiérarchie

Les structuralistes ont envisagé la langue comme une structure hiérarchisée à plusieurs niveaux. Les éléments de chacun de ces niveaux sont définis par les relations qu’ils entretiennent avec les éléments du niveau inférieur (dont ils sont constitués) et avec ceux du niveau supérieur (dont ils sont constituants). Ainsi, le phonème se définit par le fait qu’il est un constituant du morphème. Celui-ci entre dans la composition d’une unité de niveau supérieur, qui entre elle-même dans la composition de la phrase. Quant à la phrase, unité du niveau supérieur de l’analyse linguistique, si elle est constituée d’unités de niveau inférieur qui en permettent l’analyse, elle entre dans la composition de l’énoncé (défini comme une suite de phrases), qui nécessite d’autres méthodes d’analyse.

À chaque niveau, les groupements d’éléments déterminent des unités intermédiaires ; ainsi, les phonèmes se groupent en syllabes, unités obéissant dans chaque langue à des lois précises, mais dont le principe est toujours le même : une partie de la syllabe tranche sur les autres au moyen du contraste voyelle/consonne. Les morphèmes se groupent en mots. On peut ensuite établir entre le mot et la phrase un niveau intermédiaire, qui est celui du syntagme : en effet, par réductions successives d’une phrase, on peut constater qu’il y a des éléments qui peuvent soit être groupés par deux, soit être supprimés et que ce que l’on obtiendra alors (tout en n’ayant pas nécessairement le même sens) sera toujours une phrase française. Ainsi, de la phrase assertive et de contour d’intonation neutre Le vieux singe court dans le champ, on peut passer à Le vieillard court dans Paris, puis à Jacques court vite jusqu’à Jacques court, point où l’on parvient à quelque chose d’irréductible. Jacques court ne peut pas être réduit davantage parce que le résultat ne serait plus une phrase française de contour d’intonation neutre. Cette analyse permet de dégager les constituants immédiats de la phrase en français : le syntagme nominal (SN), dont le centre est le nom, et le syntagme verbal (SV), dont le centre est le verbe. Ces deux syntagmes se définissent l’un par rapport à l’autre par leur complémentarité (tous deux sont nécessaires à l’élaboration d’une phrase), leur ordre relatif (SN précède SV) et leurs systèmes de marques (genre, nombre, temps). La conception saussurienne du rôle social de la langue implique que seul soit pris en considération dans le langage l’aspect de communication. Chaque élément a donc à son niveau et aux autres niveaux une certaine fonction, qui est d’apporter une information. Les éléments qui n’apportent pas d’information n’ont pas de fonction linguistique. Le sens est le critère qui permet d’établir cette fonction linguistique dans le test de commutation. Il n’est pas pris en considération pour lui-même, mais seulement dans la mesure où il existe — ou non — une différence sémantique (une différence d’information) entre deux énoncés successifs. Ainsi, quand on a la suite phonétique [bys] bus, on établira l’existence du phonème initial /b/ en montrant qu’il peut commuter avec un autre son, par exemple /p/, ce qui donne [pys] puce, et que cette différence est suffisante pour changer le sens. Par contre, si le mot puce est prononcé avec un [p] légèrement aspiré, le sens ne change pas ; il ne s’agit donc pas d’un phonème différent.