Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

langage (suite)

Dans la série qui mène du signal et de l’indice au symbole et au signe prend place un chaînon intermédiaire, qui est le simulacre. Celui-ci est un acte fictif qui reproduit un acte réel. Il n’est pas de la représentation, mais l’intention y est représentative. Lorsque l’enfant, au début de sa seconde année, fait semblant de dormir, le dédoublement de l’acte s’ébauche et annonce la symbolisation.


Les premiers stades du langage chez l’enfant

Le langage n’apparaît chez l’enfant qu’au cours de la seconde année, avec la maturation des structures nerveuses indispensables à la fonction symbolique. Mais la parole a une structure sensori-motrice, et c’est celle-ci qui s’édifie au cours de la première année dans les émissions vocales de l’enfant et qui constitue le stade préparatoire au langage.

Le cri et le gazouillis sont des préludes à la parole. Le cri est un spasme expiratoire résultant du resserrement sur l’air expulsé des parois des cavités de l’appareil respiratoire. Ce sont ces mêmes contractions toniques qui sont modulées pour produire le gazouillis. Mais le cri commence par être une réaction vitale provoquée par des états de malaise et de souffrance. La mère donne à ces cris une signification et cherche à en supprimer les causes. Sous l’influence de ces interventions, le tri se transforme progressivement chez l’enfant en moyen d’expression et de demande communiqué à l’entourage. En même temps se multiplient des échanges de mimiques et de sourires. La parole dont la mère entoure l’enfant dès sa naissance devient vite des signaux : l’enfant se calme en l’entendant. Sa compréhension se développe : à cinq mois il distingue déjà une attitude bienveillante d’une attitude fâchée, une intonation grondeuse d’une intonation câline. L’expression et la communication affectives précèdent donc de loin l’apparition de la fonction symbolique et du langage.

Le gazouillis n’est pas étranger à l’influence affective. Il se produit dans les moments de bien-être et de contentement. Mais il est essentiellement un exercice de l’appareil phonatoire suivant le mécanisme de la réaction circulaire : les émissions sonores de l’enfant frappent ses oreilles, et les impressions auditives qui en résultent déclenchent leur répétition en chaîne. Il s’agit de l’établissement d’une Maison entre la série vocale et la série auditive. Leur ajustement progressif et de plus en plus précis est obtenu par des exercices où l’enfant module ses vocalisations pour en discriminer les variations auditives. Le résultat en est la constitution d’un riche répertoire phonétique où le langage va puiser pour s’édifier. De nombreux auteurs, notamment Kurt Lewin* et Antoine Grégoire, ont tenté d’enregistrer les vocalisations de l’enfant pour en analyser les sons. Ceux-ci apparaissent plus variés et plus riches que ceux du langage parlé autour de l’enfant, et leur utilisation par l’enfant au moment de l’apprentissage du langage n’est pas directe, mais implique un travail de sélection et de réorganisation des sons. Les gazouillis de l’enfant sont indépendants de l’entourage : l’enfant gazouille souvent quand il est seul, et l’enfant sourd gazouille comme l’enfant entendant. Cela n’empêche pas que les réponses de l’entourage stimulent l’enfant et surtout amorcent le rapport parleur-écouteur, dont les débuts se manifestent vers la fin de la première année par des écholalies qui annoncent l’imitation du langage.

Le langage débute lorsque l’enfant devient capable de saisir le rapport signifiant-signifié. Et l’enfant saisit le sens de beaucoup de mots émis par son entourage bien avant de pouvoir en articuler aucun. Cette période de compréhension qui précède la production du langage montre d’une part la priorité de la fonction symbolique sur son expression verbale et d’autre part le mécanisme fondamental d’acquisition du langage chez l’enfant, celui de l’imitation différée, ou imitation avec un temps d’incubation. De l’écoute d’un mot, il résulte d’abord pour l’enfant une image ou une représentation de l’objet signifié, et il doit, pour exprimer cette représentation, en se guidant sur les impressions auditives reçues, chercher dans son répertoire phonétique des sons à organiser. Il y réussit plus ou moins bien et rapidement en fonction de ses possibilités articulatoires. C’est ce travail d’élaboration cérébrale ou mentale qui occupe le temps d’incubation entre le moment où le mot est entendu et celui où il est reproduit.

Les premiers mots de l’enfant sont des mots-phrases. Papa est dit quand l’enfant voit son père, quand il désire le voir, être pris dans ses bras, mais aussi en présence de n’importe quel objet qui lui appartient. Le mot est un condensé de l’objet, de la situation et des actions ou des désirs qui y répondent. « Le pas que doit alors franchir l’enfant, écrit Wallon, a quelque chose d’essentiel. Sa parole devra nécessairement se détailler dans le temps alors que la chose à exprimer répond à un trait momentané de sa conscience. La distribution dans le temps de ce qui se présente d’abord comme simple intuition momentanée de la conscience est sans doute l’opération la plus critique du langage et de la pensée discursive. » (De l’acte à la pensée, 1942.) Cette capacité est abolie chez l’aphasique, qui ne sait plus mettre en ordre des mots pour former des phrases, des sons pour former des mots, ce qui le rend incapable soit d’aller des sons au sens, soit du sens à l’articulation.

Chez l’enfant, ce pas est franchi entre deux ans et deux ans et demi avec ses phrases de deux mots, simplement juxtaposés pour commencer. Mais les progrès deviennent ensuite extrêmement rapides aussi bien dans l’allongement des phrases que dans leur grammaticalisation. Celles-ci ne comportent d’abord que des substantifs et des verbes, puis s’ajoutent des adjectifs, des adverbes et finalement l’ensemble des mots de liaison. Au cours de la troisième année, le singulier, le pluriel et les temps du verbe sont utilisés, ainsi que la négation, et, vers quatre ans, la phrase de l’enfant ressemble pour l’essentiel à celle de l’adulte.