Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lamoignon (suite)

Peu après, il rompit avec le surintendant des Finances, Fouquet*. Nommé à quelque temps de là président de la chambre de justice qui devait juger Fouquet après son arrestation, il fit preuve néanmoins de la plus grande équité, fit donner un conseil à l’accusé et résista si fermement aux pressions de Colbert* qu’il se brouilla avec le ministre et finit par refuser de siéger au procès.

Il entreprit ensuite de jeter les bases d’une grande réforme judiciaire ; il a résumé ses vues dans ses Arrêtés édités en 1702, dont le chancelier Henri François d’Aguesseau devait faire le plus grand éloge. Auparavant, dans des conférences sur l’ordonnance civile de 1667 et sur l’ordonnance criminelle de 1670, il avait déjà œuvré dans ce sens ; il y opposait ses idées humanitaires (garanties de l’accusé) aux tendances autoritaires d’Henri Pussort, l’oncle de Colbert. Guillaume de Lamoignon cultivait également les lettres ; il protégeait les écrivains et s’était lié particulièrement avec Boileau*, qu’il incita à écrire le Lutrin. Il mourut après une courte maladie en 1677.

Chrétien François de Lamoignon (1644-1709), fils aine de Guillaume Ier, fut formé par son père. D’abord avocat, puis conseiller au parlement (1666), enfin maître des requêtes, il fut avocat général au parlement (1673) durant vingt-cinq ans. Dans ce poste, il fit revivre une véritable éloquence judiciaire, ses plaidoyers étaient célèbres. Président à mortier en 1690, il remit cette charge à son fils en 1707 et mourut deux ans après (1709).

Lettré comme son père, il cultiva l’amitié des hommes de lettres et fut l’ami de la plupart des génies du Grand Siècle, qu’il réunissait dans son domaine de Bâville ; Bourdaloue, Racine, Boileau, Regnard comptèrent parmi ses intimes. On sait que la VIe Epître de Boileau sur les plaisirs de la campagne lui est dédiée. S’il refusa, sans expliquer pourquoi, de se faire élire à l’Académie française, il accepta en 1704 une place à l’Académie des inscriptions.

Son frère Nicolas de Lamoignon de Bâville (1648-1724) est surtout connu comme intendant du Languedoc (1685-1718), pour la rigueur avec laquelle il traita les protestants du Midi, principalement au moment de la révolte des camisards*.

Guillaume II de Lamoignon, seigneur de Blanc-Mesnil et de Malesherbes (1683-1772), fut le premier de la famille à atteindre la plus haute charge à laquelle pouvait aspirer un robin, celle de chancelier de France.

Il fut successivement avocat général, président du parlement de Paris et président de la Cour des aides ; enfin, en 1750, il était nommé, après la démission de d’Aguesseau, chancelier de France. Dans cette haute fonction, il sut garder la mesure au moment de la résurrection des querelles jansénistes, mais il déplut aux philosophes en faisant révoquer le privilège de l’Encyclopédie, et à Mme de Pompadour. De surcroît ami des Jésuites, il fut entraîné dans leur disgrâce et exilé en 1763. Toutefois, il ne se démit de sa charge de chancelier qu’en 1768 et mourut quatre ans après, âgé de quatre-vingt-neuf ans.

Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794), son fils, est principalement connu pour avoir assuré, à soixante-douze ans, la défense du roi Louis XVI devant la Convention, ce qui lui valut d’être guillotiné le 22 avril 1794.

P. P. et P. R.

 L. Vian, les Lamoignon. Une vieille famille de robe (Lethielleux, 1896).

La Motte-Fouqué (Friedrich, baron de)

Écrivain allemand (Brandebourg 1777 - Berlin 1843).


Friedrich de La Motte-Fouqué descendait d’une ancienne famille d’abord française et qui avait déjà donné un général à l’armée du roi de Prusse ; lui-même était destiné à la carrière des armes. Pourtant, il publiait dès 1804, à l’instigation d’A. W. Schlegel et sous le pseudonyme de Pellegrin, un volume de drames. Jusqu’à sa mort, quarante ans plus tard, il devait être l’auteur le plus fécond, avec Ludwig Tieck, du romantisme allemand, publiant une foule de drames et surtout des romans de chevalerie. Ceux-ci en particulier lui ont assuré, de son temps, un très grand succès ; il savait y évoquer un Moyen Âge poétisé dans des intrigues mélodramatiques qui lui attiraient un large public. Henri Heine à ses débuts admirait et imitait ses ballades. Il a, le premier, popularisé par ses drames les figures de la légende germanique, en particulier des Nibelungen.

Mais un seul de ses ouvrages a survécu et demeure lié à son nom, un bref récit légendaire : Ondine (Undine), qui est de 1811. Parmi les esprits élémentaires (Elementargeister) qui peuplent la poésie romantique, une des plus jolies figures demeure l’Ondine de Fouqué. Élevée par de pauvres pêcheurs qui ont cru reconnaître en elle leur propre fille un jour emportée par la mer, c’est, en fait, une fille des eaux, un de ces « êtres intermédiaires » qui peuvent emprunter l’apparence des créatures humaines. Séduisante et gracieuse, elle se laisse prendre à l’amour d’un humain, le chevalier Huldbrand de Ringstetten. Son oncle et protecteur, Kühleborn, le maître des sources, des rivières, des lacs et des esprits qui y vivent, a rendu cet amour possible, et Ondine, fille de la nature jusque-là sans âme, aura désormais un cœur et une âme de femme. Elle connaît les joies, les peines, enfin la tragédie de l’amour et de la jalousie. Sortie de sa condition d’esprit de la nature, elle ne pourra plus que disparaître en causant aussi la mort de l’imprudent chevalier : « Tu dois savoir, mon doux aimé, qu’il y a dans les éléments des êtres qui ont presque les mêmes apparences que vous autres humains et qui pourtant se laissent rarement voir au milieu de vous... Nous et nos cousins qui vivent dans les autres éléments, nous nous évanouissons, nous disparaissons corps et âme, il ne reste nulle trace de nous, et quand vous autres, un jour, vous vous réveillerez dans une vie plus pure, nous, nous demeurerons là où il y a le sable et l’étincelle et le vent et la vague. »

P. G.