Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

La Bruyère (Jean de) (suite)

Le livre semble, en effet, obéir à une triple orientation. Une bonne partie se compose d’aphorismes d’une clairvoyance désabusée, mais qui n’ont pas la cruauté des maximes de La Rochefoucauld. Peu d’indulgence, mais une générosité instinctive qui empêche La Bruyère de noircir son tableau. Chez lui, la sentence constate, affirme : elle ne juge pas, elle ne débouche pas sur la transcendance, elle n’obéit pas à des raisons métaphysiques. L’homme n’est pas, de par sa nature, corrompu. Il est tel qu’il se montre. Voilà une vision moins profonde que celle de La Rochefoucauld : au moins est-elle plus rassurante. À côté des sentences, les portraits, qui se glissent dans tous les chapitres. C’est là le domaine par excellence de La Bruyère : la variété corrosive de sa palette, le nombre de ses silhouettes, ce plaisir inavoué à étiqueter les êtres et à dénoncer leurs travers comme leurs ridicules offrent un plaisir rare à l’esprit. Mais remarquons que La Bruyère ne s’engage pas : l’acuité du trait, le goût pour la satire, l’humour froid divertissent sans provoquer l’émotion. L’auteur veut amuser en enseignant et il ne croit pas qu’il est possible d’amuser si l’on se montre trop sensible. Sa position est claire : « L’étude de la sagesse a moins d’étendue que celle que l’on ferait des sots », et ce sot, cet autre nous-même, qui « n’entre, ni ne sort, ni ne se lève, ni ne se tait, ni n’est sur ses jambes, comme un homme d’esprit », est la matière de son enquête. Sentences et portraits se complètent par des passages d’indignation généreuse d’un homme scandalisé par l’organisation sociale et politique de son temps. C’est sans doute par là que La Bruyère nous touche le plus. L’écrivain cède la place aux mouvements du cœur ; la sympathie qu’il porte à ceux qui souffrent semble autre chose qu’un sentiment superficiel. « Il y a une espèce de honte d’être heureux à la vue de certaines misères. » « Il y a sur la terre des misères qui saisissent le cœur [...]. De simples bourgeois, seulement à cause qu’ils étaient riches, ont eu l’audace d’avaler en un seul morceau la nourriture de cent familles. » On sent une émotion vive, et sa sévère critique des grands, des institutions, de la guerre offre un accent de révolte nouveau en ce siècle.


« Il faut exprimer le vrai pour écrire naturellement, fortement, délicatement »

Avoir le naturel, la force, la délicatesse, telle est l’ambition de La Bruyère. Son sens de la formule ramassée, ses tours vifs et piquants, son choix des attitudes et des détails révélateurs ne sont pas la moindre qualité d’un art accompli. La Bruyère est un très grand styliste. C’est même le style qui donne à l’œuvre son unité. On peut déjà parler d’une « écriture artiste », grâce aux rythmes, au choix des mots, à l’agencement de la phrase. On a remarqué le caractère moderne des analyses de La Bruyère, qui tranchent sur la simplicité classique de ses prédécesseurs. La contrepartie en est qu’on peut déceler une certaine préciosité, un goût de la recherche qui n’est pas loin du procédé. À force de vouloir être incisif, La Bruyère exagère son dessein. Chez lui, remarquait déjà Sainte-Beuve, « l’art est grand, très grand ; il n’est pas suprême, car il se voit et il se sent ». On pense aussi à cette phrase de La Rochefoucauld, qui semble assez exactement s’appliquer aux Caractères : « Le plus grand défaut de la pénétration n’est pas de n’aller point jusqu’au but, c’est de le passer. »

N’exagérons pas non plus la portée « politique » de l’œuvre de La Bruyère. Si l’on reste très sensible à sa générosité, lorsqu’il s’indigne contre les excès de son temps, on ne saurait voir en lui un révolutionnaire. La Bruyère est loin d’avoir l’étoffe d’un réformateur. Disons qu’il a eu le courage de ses idées, mais cette sympathique franchise ne débouche pas sur une critique positive. Quand il parle des différentes « formes de gouvernement », c’est pour conclure : « Ce qu’il y a de plus raisonnable et de plus sûr, c’est d’estimer celle où l’on est né comme la meilleure de toutes et de s’y soumettre. » Faut-il nécessairement exiger d’un sujet du Roi-Soleil, homme de cœur et capable de nous émouvoir, d’avoir les audaces constructives des « philosophes » du siècle suivant ?

A. M.-B.

➙ Anciens et Modernes (querelle des) / Classicisme.

 G. Michaut, La Bruyère (Boivin, 1936). / L. Paquot-Pierret, l’Art du portrait chez La Bruyère (Office de publicité, Bruxelles, 1941). / F. Tavéra, l’Idéal moral et l’idée religieuse dans « les Caractères » de La Bruyère (Mellottée, 1941). / P. Richard, La Bruyère et ses « Caractères » (Malfère, Amiens, 1946 ; nouv. éd., Nizet, 1966). / R. Jasinski, Deux Accès à La Bruyère (Minard, 1971). / L. Van Delft, La Bruyère moraliste (Droz, Genève, 1971). / A. Stegmann, les Caractères de La Bruyère, Bible de l’honnête homme (Larousse, 1972).

lac et limnologie

Le lac est une nappe d’eau retenue par une contre-pente naturelle ou artificielle.
L’étang* est un lac sans profondeur qui peut être colonisé par la végétation riveraine. Lacs et étangs forment les eaux stagnantes, qui s’opposent aux eaux courantes, représentées par les fleuves*.
La limnologie est la science qui se préoccupe des particularités physiques et biologiques des lacs. Ses moyens et ses méthodes sont les mêmes que ceux de l’océanographie*.



Le lac


Le relief lacustre

La forme d’ensemble des lacs (contours et profondeurs) varie selon leur origine, qui permet de distinguer deux grandes catégories.

• Les lacs de cuvette. Ce sont les plus profonds (et donc les plus durables), creusés le plus souvent dans la roche en place. Ils résultent :
— de déformations de l’écorce terrestre : au centre d’un fossé d’effondrement (fig. 1), le long d’un escarpement de faille (fig. 2), dans l’axe d’une cuvette de subsidence (fig. 3) ou d’un appareil volcanique (fig. 4) ;
— de creusements spécifiques à certains domaines morphologiques : dépressions karstiques comme les dolines et les poljés (fig. 5), cuvettes de surcreusement glaciaire occupées par des lacs de cirque ou des lacs de vallée (fig. 6).