Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Kulturkampf (suite)

Mais, au cours des années 60, une évolution complexe commence à troubler la paix des esprits. Aussi bien des vues philosophiques que des préoccupations politiques remettent en question le statu quo : idées hégéliennes, selon lesquelles la religion et le droit sont des dépendances de l’État et de sa souveraineté ; idées libérales et protestantes, selon lesquelles les Hohenzollern doivent achever l’œuvre de Luther et de Blücher, unifier politiquement et religieusement cette Allemagne à la naissance de laquelle s’opposent les puissances catholiques conservatrices. Ainsi se répand la conception d’un État ou bien protestant ou bien « chrétien », mais dans lequel l’Église catholique ne pourrait prétendre à une position indépendante. La proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale en 1870 vient encourager ceux qui réclament une action de l’État contre une Église catholique soumise désormais à la monarchie absolutiste de Rome.

En sens opposé, les catholiques vont se sentir mal à l’aise dans une construction politique — Confédération de l’Allemagne du Nord (1867), Empire allemand (1871) — dominée par la Prusse, où ils ne seront plus majoritaires et où les unités historiques risquent de perdre leur individualité.

S’exagérant l’influence des courants d’idées qui leur sont hostiles, ils s’organisent politiquement. Déjà pendant la guerre franco-allemande se constitue au Landtag de Prusse un « Centre » (Zentrum), ou « parti de la Constitution », « pour le maintien et le développement organique du droit constitutionnel en général et en particulier pour la liberté et l’indépendance de l’Église et de ses institutions ». Ce groupe est dominé par Karl von Savigny (1779-1861) et Hermann von Mallinckrodt (1821-1874).

Au premier Reichstag, en mars 1871, le Zentrum compte 57 députés. Il affirme, en tête de son programme, comme « fondamental » le caractère « fédéral » du Reich ; il préconise « le refus de toute diminution des droits des États particuliers [...], la liberté civile et religieuse de tous les citoyens, et particulièrement la sauvegarde des droits des sociétés religieuses contre les envahissements de la législation ». Ainsi naît, enraciné dans la méfiance, un parti, non strictement confessionnel, qui se réclame de la liberté civile et politique autant que de la liberté religieuse. Une communauté d’intérêts le rapprochera vite des groupes « nationalitaires » — Polonais, Alsaciens, Lorrains, Danois — et aussi des guelfes du Hanovre — « tous les ennemis de l’Empire », dira le chancelier...

Pourtant, Bismarck conserve une attitude réservée dans l’affaire de l’infaillibilité ; il a même fait proposer à Pie IX, lors de sa dépossession temporelle, de venir chercher asile à Cologne ou à Fulda. Mais l’activité d’un groupe de « vieux-catholiques » (Ignaz von Döllinger [1770-1841]), militant pour une Église nationale en même temps que contre l’infaillibilité, lui paraît digne d’encouragement. En outre, le rapprochement esquissé, au-delà des questions religieuses, entre le Zentrum et les nationalités l’inquiète. Toutefois, le chancelier s’engage prudemment, essayant (en vain) de faire désavouer le Zentrum par le pape ou supprimant la « division catholique », dont il incrimine la pratique polonophile en matière scolaire.

Plus significatives sont : la loi du 10 décembre 1871, ajoutant au Code pénal d’Empire le « paragraphe de la chaire » (qui permettra de poursuivre en justice des ecclésiastiques traitant « des affaires de l’État d’une manière susceptible de troubler la tranquillité publique ») ; l’attitude de Pie IX, refusant d’agréer comme premier ambassadeur d’Allemagne auprès de lui le cardinal de Hohenlohe (1823-1896), ami des « vieux-catholiques » ; le Jesuitengesetz (loi sur les Jésuites), dont l’extension à plusieurs ordres annulera pratiquement l’Église régulière. Depuis l’incident Hohenlohe (« Soyez sans crainte, Messieurs, nous n’irons pas à Canossa » [14 mai 1872]), il n’y a plus de rapports diplomatiques entre la Prusse ou l’Allemagne et le Vatican, sauf par le détour de la Bavière.


Le conflit

Le conflit devient alors aigu. Bismarck entreprend ou fait entreprendre une révision systématique des bases constitutionnelles sur lesquelles repose la vie de l’Église catholique. Ludwig Windthorst (1812-1891), un fils de paysans westphaliens qui va devenir l’adversaire numéro un du hobereau prussien, l’apostrophe en ces termes : « Vous voulez détacher les catholiques allemands de l’obéissance au Saint-Siège pour les soumettre au knout de votre police » (15 mai 1872). En Prusse, effectivement, le nouveau ministre des Cultes, Adalbert Falk (1827-1900), ne connaît que la raison d’État, et sa politique de sévère légiste satisfait pleinement les nationaux-libéraux.

Le premier train de lois prussiennes, en 1873 — après retouche des articles 15 et 18 de la Constitution —, connaît une immédiate célébrité sous le nom de lois de mai. L’intervention du savant Rudolf Virchow (1821-1902) n’est pas étrangère au tumulte : cet illustre membre du parti progressiste salue dans la législation nouvelle le « combat pour la civilisation », le Kulturkampf (1873).

Particulièrement importante est la première de ces lois, celle du 11 mai 1873, qui édicte minutieusement les conditions de la formation pédagogique des candidats aux fonctions ecclésiastiques, impose l’inspection de l’État à tous les établissements voués à la préparation desdits candidats, soumet les nominations à l’approbation du président supérieur de la province, qui peut faire opposition.

En somme, il s’agit de réduire l’Église catholique à un rouage administratif, original, mais dépendant de l’État, grâce à une série de contrôles, dont l’« examen de culture », qui permettrait d’évincer les mauvais esprits. Simultanément, l’autorité du pape dans le domaine disciplinaire est rejetée. D’autres lois suivent : sur le mariage civil, introduit en 1874-75, sur de nouvelles pénalités, sur le pouvoir de destitution, etc.