Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Krylov (Ivan Andreïevitch)

Fabuliste russe (Moscou 1769 - Saint-Pétersbourg 1844).


La mémoire populaire est parfois plus sûre que celle des biographes : la vie de Krylov est remplie de lacunes et d’incertitudes, mais quelques-unes de ses fables sont devenues des proverbes que tous les enfants russes ont sur les lèvres. Sa silhouette même semble familière à chacun, tant elle incarne à merveille un certain type grand-russien, bonhomme et rusé, malicieux et pétri de bon sens.

Autour des années 1810, Krylov fait le pique-assiette dans les salons de Saint-Pétersbourg, étalant ses formes arrondies dans un profond fauteuil, coulant un regard de biais sur le monde de polichinelles qui l’entoure. Il est paresseux, débraillé, gros mangeur et d’humeur placide. Il occupe en 1812 l’emploi de conservateur à la bibliothèque de Saint-Pétersbourg, sinécure qui lui laisse le loisir d’écrire...

De sa jeunesse, on sait seulement que, fils d’un pauvre officier de l’armée sorti du rang, il se forma lui-même et lut beaucoup. À quatorze ans, employé au service du gouvernement, il composa un opéra-comique ; il fit ensuite ses griffes dans deux revues satiriques, le Courrier des esprits (1789), et le Spectateur (1792), transformé l’année suivante en Mercure de Saint-Pétersbourg, où il écrivit de violentes épîtres contre la corruption, la francomanie, les injustices et les abus commis contre les serfs de la glèbe (« Panégyrique de mon grand-père »). Il donna également plusieurs comédies qui n’eurent pas de succès.

La fougue de la jeunesse passée, Krylov acquit une sorte de bonhomie sceptique, une sagesse railleuse qui lui inspirèrent ses meilleures œuvres : il s’aperçut que le ridicule tuait plus sûrement que l’indignation. Son premier recueil de fables, publié en 1809, lui apporta d’un coup succès et popularité. Neuf livres se succédèrent ainsi, comprenant plus de trois cents fables. Nommé académicien, poète populaire national, Krylov devint un classique avant même de mourir.

On chercherait vainement des prolongements philosophiques dans l’œuvre de Krylov. Ce satiriste n’a rien d’un penseur révolutionnaire. Ses fables se veulent une leçon de bon sens ; elles prêchent pour le travail et l’honnêteté, dénoncent l’oisiveté et la prétention stupide, et vantent les vertus cardinales de modération et d’efficacité. Krylov ne force pas son talent. Il déteste les mots boursouflés et les idéaux vagues. Conservateur, il décochera quelques-unes de ses pointes les plus aiguës aux nouveaux progressistes...

L’attrait des fables réside dans le verbe savoureux, dans l’expression pittoresque, dans la verve des petits tableaux de rues et de tavernes, dans la spécificité russe. Inspiré par La Fontaine, Krylov oublie son modèle pour exprimer le caractère national de son pays : ses animaux parlent et pensent russe. La satire colle toujours à la réalité, et, sans doute, le grand courant réaliste de la littérature russe prend-il là sa source. La langue, dense et classique, ne méprise pas les tournures populaires ni même les archaïsmes. Elle aime les raccourcis, se ramasse en épigrammes et en sentences caustiques, sentences qui passeront en proverbes et constitueront, selon Gogol, « le livre de la sagesse du peuple ».

S. M.-B.

 N. Stepanov, I. A. Krylov (en russe, Moscou, 1949).

Kūbīlāy khān

Petit-fils de Gengis khān et fondateur de la dynastie mongole (Yuan) de la Chine (1214-1294).


Il était le quatrième fils de Tuli (Toloui) [† 1232], le plus jeune des quatre fils de Börte, la première femme de Gengis khān. Après la mort de ce dernier (1227), le pouvoir était passé à son troisième fils, Ogoday, puis, à la mort de celui-ci (1241), à sa femme, qui avait assumé la régence jusqu’en 1246, puis à son fils Güyük († 1248). Le trône fut alors transféré de la maison d’Ogoday à celle de Tuli et passa au fils aîné de Tuli (et frère de Kūbīlāy), Möngke (Mangū khān) [1251-1259]. Kūbīlāy reçut alors en apanage les régions correspondant en gros aux actuelles provinces de Gansu (Kan-sou) et de Shănxi (Chen-si), et fut chargé de mener des campagnes contre l’empire des Song du Sud. Il marcha contre le Sichuan (Sseu-tch’ouan), s’empara de Chengdu (Tch’eng-tou), puis pénétra au Yunnan (Yun-nan) et prit Dali (Ta-li). En 1257, une nouvelle offensive fut lancée contre le bas Yangzijiang (Yang-tseu-kiang) ; mais Möngke, qui se préparait à attaquer à partir du Sichuan, mourut subitement en 1259, Kūbīlāy suspendit aussitôt les hostilités, regagna Shangdu (Changtou, auj. Kaiping) sa résidence d’été au nord de Pékin, et s’y fit proclamer grand khān par son armée.

Son frère cadet, Ariq boga, ne reconnut pas son autorité et se fit proclamer également grand khān à Karakorum (1260). Kūbīlāy lança une campagne contre lui et le défit en 1264. Ainsi débarrassé de toute compétition familiale, il put établir son autorité en Mongolie et reprendre la conquête interrompue dans le Sud. En 1267, l’offensive fut reprise ; en 1273, les deux villes jumelles de Xiangyang (Siang-yang) et de Fancheng (Fan-tch’eng), sur la Han inférieure, au Hubei (Hou-pei), succombèrent après cinq années de siège ; en 1276, Hangzhou (Hang-tcheou), la capitale des Song du Sud, tomba à son tour. Le jeune empereur fut fait prisonnier, mais deux autres princes parvinrent à s’enfuir et se firent proclamer empereurs l’un après l’autre dans le Sud. Poursuivant leur avance en direction des provinces méridionales, les armées mongoles s’emparèrent des ports du Fujian (Fou-kien) [1277], puis de ceux du Guangtong (Kouang-t’ong) [1279] ; les derniers partisans des Song se réfugièrent sur une flotte qui fut attaquée par les Mongols et battue au large de Canton. Kūbīlāy était désormais maître de toute la Chine ; il fonda la nouvelle dynastie des Yuan en 1279. Son autorité fut également reconnue par son frère Hūlāgū, qui régnait en Perse, mais non par Qaïdu, un petit-fils d’Ogoday, qui se trouvait à la tête d’un vaste khanat au sud du lac Balkhach et qui, à partir de 1274, ne cessa de se comporter en rival.