Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Krasicki (Ignacy) (suite)

L’ouvrage qui marque le début de sa carrière littéraire est un poème héroï-comique rédigé d’après une vieille légende, Myszeis (ou la Souriade, 1775) ; histoire satirique d’une guerre entre chats et souris, prétexte à démontrer les vices nationaux et les désordres d’une guerre civile, c’est un ouvrage écrit par un écrivain classique de goût et de culture, mais dont le style est influencé par le baroque de l’époque. Les deux poèmes héroï-comiques suivants, la Monachomachie ou la Guerre des moines (1778) et l’Antimonachomachie (1780), sont des satires contre certains couvents, qui provoquent une grande indignation dans les milieux religieux et traditionnels. Suivant la tradition d’Esope et de La Fontaine, Krasicki compose des Fables et Apologues (1779) : satiriques, philosophiques, poétiques ou anecdotiques, ce sont de petites scènes qui expriment une vérité, une morale ; la forme de l’épigramme, laconique, simple et expressive, s’adapte parfaitement au talent dramatique de l’auteur. Les Satires (1779) présentent un tableau de la société polonaise sous le règne de Stanislas Auguste, sous forme de portraits, d’esquisses, de monologues ou de dialogues pittoresques.

Dans ses deux romans, les Aventures de Nicolas Doswiadczyński (1776) et Monsieur l’écuyer tranchant (Pan Podstoli, 1778), l’auteur décrit la noblesse campagnarde, avec ses mœurs et ses traditions, et donne ses opinions sur l’éducation de la jeunesse, l’administration des domaines agricoles, les questions sociales. Encore quelques essais, l’Histoire (1778), la Campagne de Chocim (1780), tentative, sans succès, d’une épopée nationale, et Krasicki donne avec le Traité de la poésie le premier précis de littérature universelle en Pologne. On lui doit aussi des lettres poétiques, des poèmes en vers et en prose de forme classique, des traductions et quelques faibles comédies ; les Lettres sur les jardins (1801) achèvent la longue liste des ouvrages du prince-évêque de Varmie, qui sut réaliser la synthèse des thèmes traditionnels et des aspirations modernes.

K. S.

 J. Krzyzanowski, Histoire de la littérature polonaise (en polonais, Varsovie, 1969). / Piszczkowski, Ignacy Krasicki (en polonais, Cracovie, 1969).

Krleža (Miroslav)

Écrivain yougoslave (Zagreb 1893).


Comme Ivo Andrić, son aîné d’un an, Miroslav Krleža est l’un des rares écrivains de sa génération à être vraiment yougoslave de conceptions. C’est un militaire de formation. Sorti de l’école de Guerre de Budapest et attiré par l’idée yougoslave, il veut entrer dans l’armée serbe, mais il est éconduit et même arrêté quelque temps comme suspect. Il doit se contenter de faire la Première Guerre mondiale dans les rangs austro-hongrois. Démobilisé, il s’occupe de la rédaction de nombreuses revues, la plupart éphémères, parce que rapidement interdites pour non-conformisme, et collabore à toutes les revues littéraires importantes. Directeur de l’Institut de lexicographie de Zagreb, il est vice-président de l’Académie yougoslave des sciences et des arts, qui a célébré en 1963, notamment par un très important recueil d’études qui lui sont consacrées, ses cinquante ans d’activité littéraire. En effet, c’est à la fin de 1913 que remontent ses premiers essais, puisque les trois tableaux de sa Legenda parurent dans les trois premiers numéros des Književne Novosti (Nouvelles littéraires) au début de 1914. Krleža a renouvelé la littérature croate, qui, en dépit des tentatives de certains jeunes, s’embourbait dans le formalisme et la spéculation pure. Il a dénoncé la nocivité des vieilles formules toutes faites et vides de tout contenu, et a réappris à penser aux jeunes générations. Dans toutes ses œuvres, aussi bien littéraires que polémiques, drames (Golgota, 1922 ; le Chien-Loup, 1923 ; les Glembajevi, 1929), nouvelles et romans (le Retour de Filip Latinović, 1932 ; Banquet en Blitvie, 1938-39), il a inlassablement, souvent avec hardiesse, laissé transparaître ses convictions, qui le placent politiquement à gauche, s’opposant à l’ordre établi et soutenant le mouvement ouvrier. Il a mis en scène les petites gens, en particulier les paysans entraînés dans la guerre pour des buts qui ne les concernent pas, broyés dans l’aveugle et impitoyable mécanique de l’appareil militaire austro-hongrois, incapable d’humanité et de compréhension. Mais il a aussi flétri les féodaux et la haute bourgeoisie, qui, en Croatie, mettaient le pays en coupe réglée depuis des siècles, et il s’est attaqué à la bêtise humaine sous toutes ses formes. Par contre, il a mis en valeur dans ses essais les personnalités évoluées qui ont œuvré utilement pour le bien de l’humanité tant en Croatie qu’à l’étranger. Il s’est attaché à dénoncer sans pitié les mensonges des slogans officiels en montrant ce qu’il y avait en réalité derrière le beau décor de la propagande : la misère, la stagnation des petites villes, arriérées et incapables de sortir d’un traditionalisme sans issue, les souffrances et la vie végétative des petites gens. Malgré cette vision nette des choses du passé et du présent, il a souvent été traversé par des doutes et des hésitations qui se reflètent dans son œuvre, qui est cependant toujours profondément marquée par sa personnalité et laisse une impression de force et de puissance. Il s’est encore davantage rapproché du peuple en écrivant dans son dialecte, le kajkavien, les Ballades de Petrica Kerempuh, 1936, chronique des longues souffrances des Croates vilipendés, trahis, exploités pendant des siècles par les féodaux, l’Église, la bourgeoisie et même par leurs chefs, trop souvent prêts à se laisser convaincre de prendre le parti du plus fort.

Styliste accompli, Krleža a introduit la langue de tous les jours dans la littérature, dont il a brisé les formes anciennes d’expression avec son rythme puissant et la justesse des expressions imagées qui donnent une vie bouillonnante et exubérante à tout ce qu’il écrit. Sa démarche intellectuelle lui a valu l’admiration et le respect de toutes les forces éprises de liberté en Yougoslavie en dépit des violentes polémiques qu’il a dû soutenir avec les tenants du conservatisme social et littéraire.

H. B.