Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Kleist (Heinrich von) (suite)

Ce drame occupe ainsi une place à part dans l’œuvre de Kleist ; le dénouement n’est pas un échec, mais une ouverture sur l’avenir. On est sorti de l’univers des contradictions et de la haine. L’inspiration patriotique est évidente non seulement dans le mot final, qui est un appel à la grandeur prussienne, mais tout le long du drame. Pourtant, ce fut à Vienne, puis à Dresde, que les amis de Kleist parvinrent à le faire jouer, en 1821 seulement. La Cruche cassée (Der zerbrochene Krug, 1808) avait été une première création heureuse et demeure la meilleure comédie du répertoire allemand. Elle avait été précédée, en 1807, par une sorte de divertissement sur le sujet d’Amphitryon, où était apparu, de façon inattendue, le talent comique d’un auteur qu’on avait cru enfermé dans le genre opposé. Mais Amphitryon est encore un exercice de style, un essai sur un mode nouveau d’expression. Pourtant, le personnage d’Alcmène, ambivalent comme si souvent chez Kleist, apporte déjà un élément inconnu des devanciers, de Molière en particulier.

La Cruche cassée est une création originale, sur une donnée très mince, mais dont Kleist a su tirer tant d’effets que cette seule comédie suffirait à montrer son talent. Le corps du délit est une cruche qui a été cassée mystérieusement, tandis que la fille de la maison, Eva, promise à Ruprecht, se trouve aussi désirée et suspectée par Adam, le juge de paix du village. Ce nouveau jeu d’Adam et Ève connaît des rebondissements cinq actes durant, sans jamais lasser. Le ton est celui de la farce : la pièce est haute en couleur, avec quelque chose qui rappelle Hogarth ou Jan Steen ; au centre du jeu, le juge Adam, paresseux et rusé, dissimulé et toujours en éveil, trompe ses ennemis par un mouvement endiablé. C’est un Scapin de village, qui trouve moyen, en fin de compte, d’orienter l’affaire vers un dénouement plausible où l’innocence est reconnue et où l’indulgence l’emporte. Depuis la première représentation, à Weimar en 1808, la Cruche cassée a été montée de bien des façons différentes, avec des intentions interprétatives variées ; elle y a résisté sans vieillir.

Tout aussi proches — et même plus modernes de ton — apparaissent les nouvelles de Heinrich von Kleist, rédigées entre 1805 et 1810, publiées en 1810. Les sujets ressemblent, dans leur essence, à ceux des drames, mais leur style exclut tout pathétique : uni et concis, il est celui d’un constat ; aucun détail qui n’ait une signification, rien de superflu, rien qui soit laissé au hasard. Ici encore, le cœur des hommes s’oppose à l’ordre social, ils connaissent le même genre de conflits. La Marquise d’O... a une conduite ambivalente comme Alcmène et, tout comme Hombourg, Michael Kohlhaas, le marchand de chevaux, a raison devant Dieu et tort devant la loi des hommes. La plus ravissante des nouvelles de Kleist est assurément l’histoire de ce maquignon à qui un seigneur a fait tort et qui, comme la justice des princes ne veut pas l’entendre, veut faire justice lui-même, comme le Goetz de Goethe, comme Karl Moor dans les Brigands de Schiller. Mais, de ces trois causes, la sienne est certainement la plus pure, comme doit le reconnaître le frère Martin Luther, qui intervient ici aussi. Pourtant, l’inexorable s’accomplit. Kohlhaas, pur et rigide, déchaîne la violence aveugle et sera livré à la justice de Brandebourg ; il ne lui restera d’autre recours que la soumission.

Dans ces nouvelles, le réalisme triomphe ; la précision du trait observé, la nudité d’une expression exempte de toute image marquent ici le rejet absolu des ornements romantiques.

P. G.

 R. Bonafous, Henri de Kleist, se vie et ses œuvres (Hachette, 1894). / G. Fricke, Gefühl und Schicksal bei Heinrich von Kleist (Berlin, 1929 ; rééd., 1963). / E. E. Schmid, Kleist und Hebbel (Berlin, 1930). / R. Ayrault, Heinrich von Kleist (Nizet, 1934 ; nouv. éd., Aubier, 1966). / W. Müller-Seidel, Versehen und Erkennen. Eine Studie über Heinrich von Kleist (Cologne, 1961). / W. Emrich, K. L. Schneider, E. Staiger et B. von Wiese, Heinrich von Kleist. Vier Reden zum Gedächtnis (Berlin, 1962). / H. Müller, Die Zeitstruktur im Drama Heinrich von Kleists (Münster, 1964). / W. von Einsiedel, Die dramatische Charaktergestaltung bei Heinrich von Kleist (Berlin, 1967). / J. Brun, l’Univers tragique de Kleist (C. D. U., 1967). / C. Hohoff, Komik und Humor bei Heinrich von Kleist (Berlin, 1967). / J. Gearey, Heinrich von Kleist, a Study in Tragedy and Anxiety (Philadelphie, 1968). / E. Hoffmeister, Täuschung und Wirklichkeit bei Heinrich von Kleist (Berlin, 1969). / H. Reshe, Traum und Wirklichkeit im Werk Heinrich von Kleists (Berlin, 1969).

Knox (John)

Réformateur de l’Église en Écosse (près de Haddington 1505 ou v. 1515 - Édimbourg 1572).


D’origine modeste, Knox reçoit une éducation ouverte aux grands courants de la culture contemporaine ; après avoir suivi à Glasgow les cours de philosophie des meilleurs maîtres de son pays, il se détourne de la scolastique et, à travers les écrits d’Augustin, de Jérôme et d’autres Pères de l’Église ancienne, il s’adonne avec ferveur à l’étude de la Bible. Chargé de l’enseignement de la philosophie à la célèbre université de Saint Andrews, il y diffuse sa conviction qu’un retour aux sources du christianisme est une urgente nécessité. Cependant, ce n’est que relativement tard, en 1542, qu’il se déclare ouvertement pour la Réforme. Poursuivi comme hérétique, il mène une existence clandestine au sud de l’Écosse, participe (1547) avec d’autres responsables protestants à la défense du château de Saint Andrews assiégé par les troupes catholiques, au service de la régente Marie de Guise, mère de Marie Stuart. Capturé par ruse, il passe de longs mois à ramer sur les galères du roi de France. Libéré (1549), il se fixe provisoirement en Angleterre, où, protégé par Thomas Cranmer, il exerce une très forte activité de prédicateur ; il participe à la révision du Book of Common Prayer. La dure réaction menée sous l’impulsion de la « sanglante » Marie Tudor l’oblige à s’exiler plus loin : en France, puis à Genève (1554), d’où, après un bref séjour, il part pour Francfort ; dans cette ville, il est quelque temps à la tête d’une communauté de réfugiés de divers pays. Mais il retourne en Écosse en 1555 pour y regrouper les chrétiens évangéliques et, en 1556, fait signer le premier « covenant », par lequel les chefs du mouvement se lient pour toujours à la Réforme. Menacé par une nouvelle flambée de persécution, il repart bientôt pour Genève, où il passe deux ans à l’abri de la police et dans la féconde amitié de Calvin et de Théodore de Bèze : il élabore avec eux la liturgie évangélique qui sera adoptée par les églises d’Écosse. Pendant son absence, il a été condamné à mort et brûlé en effigie à Édimbourg.