Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Kinoshita Junji (suite)

L’étrange est que cette pièce, et c’est là sans doute la raison de son succès prodigieux, proche par sa structure et par son symbolisme du le plus classique, ait pu en même temps, moyennant quelques modifications secondaires, fournir au compositeur Dan Ikuma (né en 1924) [auteur de la musique de scène] la matière d’un opéra japonais de style occidental qui est peut-être la première réussite véritablement satisfaisante dans ce genre, le plus éloigné qui soit de la tradition nationale.

Autre synthèse géniale, autre succès : Kawazu shōten (l’Apothéose d’une grenouille, 1951), pièce politique inspirée de la plus brûlante actualité, traitée en forme de minwa, et qui jette les bases d’une mythologie moderne. Le thème en est un fait divers politico-judiciaire : un prisonnier rapatrié d’U. R. S. S., appelé par une commission parlementaire à témoigner dans une « enquête » de style maccartiste, s’était dérobé à la persécution par le suicide. Kinoshita situe l’action au fond d’un étang, dans le monde des grenouilles, au lendemain de la grande guerre qui opposa les grenouilles vertes à leurs congénères rousses. Cela suffit à distancier les personnages et à démontrer de façon péremptoire l’absurdité inhumaine d’un pareil drame. L’acte III en particulier, la scène du « témoignage », qui est le point culminant de la pièce, atteint des sommets vertigineux de bouffonnerie tragique, les personnages se dépersonnalisant si bien que seuls les distinguent leurs tics de langage et la sottise spécifique de leur pseudo-logique. Le rire se fige devant cet implacable décapage de toutes les vanités et faux-semblants, ce cruel dégonflage des baudruches du monde politique, qui font irrésistiblement songer à Aristophane.

R. S.

Kinshasa

Anc. Léopoldville, capitale du Zaïre*, sur le fleuve Congo*.


Léopoldville, ainsi appelée en hommage au roi des Belges Léopold II, fut d’abord un poste militaire fondé en 1881 par Henry Morton Stanley (1841-1904) sur la rive méridionale du Stanley Pool (auj. Pool Malebo) [partie élargie du Congo]. L’agglomération a pris en 1966 le nom de Kinshasa (celui d’un village situé à l’emplacement actuel du quartier de la gare). Quoique excentrée, la situation géographique est remarquable : au terminus aval d’un réseau navigable de 18 000 km qui draine plus de 2 millions de kilomètres carrés, en un point où la rupture de charge est obligatoire, puisque le Congo s’engage sur 300 km dans une série de rapides infranchissables. L’achèvement, en 1897, de la voie ferrée Matadi-Léopoldville donnait à cette dernière ville une importance capitale. L’essor devait être régulier ; le transfert, en 1926, des services du gouvernement général jusque-là installés à Boma dota la ville d’une fonction administrative à laquelle s’adjoignirent plus tard d’importantes fonctions industrielles et intellectuelles. Kinshasa remplit aujourd’hui pleinement le rôle d’une grande métropole.

La croissance de la population a suivi une courbe de plus en plus tendue. De 5 000 habitants en 1889, la ville passait à 30 000 en 1925, 50 000 en 1940, 200 000 en 1950. À la veille de l’indépendance, l’agglomération abritait 400 000 personnes. Après 1960, aucun obstacle ne s’opposait plus à une immigration urbaine incontrôlable ; en outre, la capitale offrait un refuge sûr à tous ceux qui fuyaient les zones troublées de l’intérieur. Un exode rural massif, conjugué avec une très forte natalité (56 p. 1 000), portait la population à 900 000 personnes à la fin de 1967 ; on a estimé celle-ci à 1 300 000 habitants en 1972. Kinshasa est ainsi devenue la plus grande ville d’Afrique tropicale.

Le site originel est la baie de Galiéma, à l’ouest, où s’étaient établies les premières installations portuaires, les habitations européennes s’étageant sur les pentes du mont Léopold. Très vite, un second noyau s’était développé à Kinshasa, autour de la gare, essaimant le long du fleuve, en aval (Kalina) et en amont (Ndolo), gagnant vers le sud avec les quartiers résidentiels autochtones. Mais, périodiquement, la pression des besoins a rendu nécessaire l’aménagement de nouveaux espaces : en 1960, la ville couvrait 5 500 ha. Au cours des dernières années, le flot énorme des immigrants a entraîné une occupation spontanée, mais en général ordonnée des terrains libres en direction du sud et du sud-est, et l’agglomération s’étend à présent sur 20 000 ha, dont 10 000 sont bâtis.

Les paysages urbains sont assez contrastés. Les quartiers de type européen bordent le fleuve et comprennent le centre des affaires, la zone administrative et plusieurs zones résidentielles : les buildings impressionnants, les larges avenues, les espaces dégagés, mais aussi les pavillons luxueux et les villas coquettes dans des « concessions » verdoyantes et fleuries témoignent d’une volonté d’urbanisme moderne et sont les témoins d’un certain style de vie. La densité humaine y est faible : 36 habitants à l’hectare. Les « cités » offrent toutes un plan en grille très régulier, où les « îlots » déterminés par quatre rues sont divisés en parcelles juxtaposées et encloses. L’aspect varie cependant avec l’origine des quartiers et leur ancienneté : petites maisons basses individuelles en matériaux traditionnels, en briques sèches, en parpaings, à Barumbu, Dendale, Bumbu ou Makala ; petits immeubles en dur à Ndjili, Lemba ou Bandalungwa ; mais il ne s’agit nulle part de bidonvilles : l’aspect de l’habitat est rarement misérable, les arbres poussent rapidement. L’équipement collectif est satisfaisant dans les « cités planifiées », insuffisant dans les vieux quartiers, inexistant dans les extensions récentes. Celles-ci ont une fonction presque uniquement résidentielle, alors que commerce et artisanat animent les quartiers anciens. La densité atteint parfois un niveau relativement élevé : plus de 200 habitants à l’hectare.

Les activités de Kinshasa sont extrêmement variées. Le secteur tertiaire occupe plus des deux tiers de la population active. Il englobe le commerce de distribution (de la firme d’import-export à la minuscule boutique de quartier), mais aussi les transports (employés du chemin de fer et surtout du port, où sont manipulées 1,2 Mt de marchandises). En outre, l’administration occupe un nombre élevé de fonctionnaires. Mais le secteur secondaire moderne a connu un essor précoce qui a fait de Kinshasa le premier centre industriel du Zaïre, devançant largement les centres miniers de l’ancien Katanga (l’actuel Shaba*). Le travail des métaux est représenté par le complexe Chanic (chantiers navals, métallurgie variée : 3 000 ouvriers) et des fabrications multiples (fûts, meubles, emballages, tôles, clous) ; les textiles, par Utexco (filature, tissage, bonneterie, impression : 5 000 ouvriers) et des ateliers moins importants (couvertures, bâches, ficelle) ; la chaussure, par Bata. Les besoins alimentaires sont couverts par plusieurs brasseries et fabriques de sodas, des minoteries de maïs, des usines de pâtes alimentaires et de biscuits, des confiseries. On trouve encore une manufacture de tabac et cigarettes, des savonneries, des fabriques de meubles. Enfin fonctionnent des chaînes de montagne de récepteurs de radio, de bicyclettes, de camions. Le développement des cultures maraîchères et l’activité des pêcheurs maintiennent un secteur primaire.