En persan Omar Khayyām, savant et poète persan (Nichāpur, Khurāsān, vers le milieu du xie s. - id. v. 1122?).
De son vivant, Abolfath Omar Khayyām fut surtout célébré comme mathématicien et astrologue. Ainsi, en 1074, il fut chargé par le souverain seldjoukide régnant, Malik Chāh (1073-1092), de diriger une commission de savants désignés pour étudier une réforme du calendrier. Il écrivit plusieurs ouvrages scientifiques en arabe, dont un traité d’algèbre, qui fut d’ailleurs connu en Europe dès 1851. De sa carrière de poète, il ne reste que quelques notes chez les biographes persans de son époque, qui parfois citent l’un ou l’autre quatrain en arabe ou en persan. Mais il fallut attendre le xvie s. pour découvrir des manuscrits contenant un nombre plus important de poèmes de Khayyām. Et au cours des trois siècles suivants, l’on assista à une multiplication prodigieuse du nombre des « quatrains ». L’édition de Luknow en 1894 alla jusqu’à en donner plus de sept cent cinquante. Il appartint donc à quelques historiens de la littérature tant orientaux qu’européens d’établir des éditions critiques d’Omar Khayyām, en dépouillant les recueils de l’énorme quantité de poèmes apocryphes. En Europe, Edward Fitzgerald, J. B. Nicolas et V. A. Joukovski présentèrent respectivement Khayyām en anglais, en français et en russe à la fin du xixe s. Aujourd’hui, l’on attribue cent cinquante quatrains à Omar Khayyām.
L’œuvre poétique d’Omar Khayyām est essentiellement constituée de roba‘iyat, ou quatrains. Le quatrain se rapproche de la chanson populaire persane — tarānè —, dont il ne se différencie que par l’adoption du mètre. C’est un genre emprunté à la littérature persane préislamique et non à la littérature arabe. En deux distiques, un décor est dressé, une histoire racontée, une idée exprimée. La simplicité de forme du quatrain en fait le moyen d’expression le plus proche de l’intelligence populaire : il frappe, il se retient facilement, il court sur toutes les langues. Mais il est facilement imitable, d’où la profusion de quatrains faussement attribués à Khayyām.
Or, que chante Khayyām tant en Iran que dans le monde entier (les roba‘iyat ont pratiquement été traduits dans toutes les langues) ? Sur quelle philosophie s’appuie-t-il ? Une idée courante veut faire de Khayyām une sorte de bon vivant qui a choisi le plaisir, la vie facile, le bon vin et qui, installé dans un paradis artificiel et de mauvais goût (si l’on en juge par les images d’Épinal offertes au grand public), conseille à ses compagnons d’infortune, les humains, d’en faire autant. Rien ne serait plus erroné que de s’en tenir à cette présentation simpliste. Homme de science, disciple du grand Avicenne en maintes disciplines, Omar Khayyām est donc aussi un penseur qui a pris part aux querelles philosophiques et religieuses qui secouaient le monde oriental en ce xie s. La science lui avait appris à adopter l’esprit critique devant l’ordre établi de la nature. En face de la créature lancée contre son gré dans l’injustice de l’existence, la religion lui offrait la soumission au malheur et la promesse d’une vie autre dans un paradis dont personne n’était encore jamais revenu. Le commerce avec la cour et les grands ne lui dévoilait que lâcheté et hypocrisie. Devant ce bilan un peu sombre, Omar Khayyām ne se lança pas dans le pari de l’homme de religion ou du moraliste. Il voulut se pencher sur le présent, le vivre pleinement, c’est-à-dire à la recherche de tout ce qui peut faire oublier que l’homme est voué en fin de compte au malheur, à l’injustice et à la mort. Si Khayyām a chanté le vin et les plaisirs fugaces, il n’a pas cessé non plus d’exprimer sa passion pour la science, tout en sachant que jamais il n’atteindrait la vérité.
B. H.