Keaton (Buster) (suite)
Contrairement aux films comiques, qui ne sont rien d’autre qu’une mise en images de numéros de music-hall, les chefs-d’œuvre de Keaton étonnent aujourd’hui par l’intelligence profonde de leur réalisation : rien qui soit laissé au hasard ; chaque plan semble prémédité et en harmonie parfaite avec le sens général de la séquence ; les gags ne se contentent pas d’exister : ils se répondent, se chevauchent, s’amplifient en une admirable logique de l’absurde. Ce cinéma-là est un cinéma de la « respiration », où la poésie ne paraît jamais surajoutée ou ornementale. Il existe dans le personnage créé par Keaton une sorte d’obstination imaginative qui parvient à se rendre maîtresse des éléments extérieurs (objets ou même cataclysmes naturels) en leur imposant un équilibre personnel, où la tendresse et l’ingéniosité bricoleuse jouent un rôle primordial. Le chantage au sentiment n’existe guère — ce qui différencie notamment Keaton de Chaplin ; aussi est-il normal que la complicité directe avec le public soit parfois plus délicate et plus difficile. Cela expliquerait en partie la curieuse désaffection qu’a connue Keaton pendant une trentaine d’années. « Une analyse détaillée de l’élaboration du travail et de l’évolution du gag chez Keaton permettrait de montrer comment il a porté à son achèvement la forme du gag burlesque telle qu’elle s’était plus ou moins fixée dans cet « âge d’or » du rire cinématographique, dont il est sans doute le plus parfait représentant, et telle qu’elle n’a guère évolué depuis. Concentrant, à l’intérieur d’un comportement « autre » de bout en bout par rapport au comportement normal vis-à-vis des objets, les vertus contradictoires d’un objet par rapport à lui, conjuguant la positivité et la négativité de cet objet dans un même cadre de situation et selon la logique même de cet objet, pour ensuite dépasser la contradiction contenue dans l’objet pour une utilisation supérieure de celui-ci, Keaton a introduit le maximum d’intensité et de variété possible à l’intérieur d’un même gag et par là porte le gag burlesque à une perfection dont peuvent se vanter peu de formes esthétiques » (Jean Patrick Lebel).
J.-L. P.
B. Keaton et C. Samuels, My Wonderful World of Slapstick (New York, 1960). / J.-P. Coursodon, Buster Keaton et Cie (Seghers, 1964). / J. P. Lebel, Buster Keaton (Éd. universitaires, 1964). / M. Oms, Buster Keaton (Serdoc, Lyon, 1964). / R. Blesh, Keaton (New York, 1966). / D. W. McCaffrey, Four Great Comedians (Londres, 1968). / D. Robinson, Buster Keaton (Londres, 1969). / M. Denis, « Buster Keaton », dans Anthologie du cinéma, t. VII (C. I. B., 1971). / J. P. Coursodon, Buster Keaton (Seghers, 1973).