Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Kafka (Franz) (suite)

Écrire par désespoir

Quoique bon élève, Kafka est hanté par un sentiment de l’échec et manque de confiance en lui. Dès l’âge de seize ans, il se tourne vers les idées socialistes, auxquelles l’initie son ami tchèque Rudolf Illowý, et y adhère durant toute sa vie. En 1918, six ans avant sa mort, il esquisse encore un programme de communauté de travailleurs non possédants, quelque peu utopique et presque monacal. Le socialisme de Kafka, né d’un ardent désir de solidarité et de communication constamment entravé et refoulé, reste toujours teinté de couleurs très subjectives. Ni le lycée ni la maison paternelle ne sont d’aucun secours à cette âme en proie à mille inquiétudes. Au temple, Kafka passe « des heures interminables à bâiller et à rêvasser », étouffe à peine le dédain qu’il éprouve pour son père en le voyant s’acquitter de la prière « comme on accomplit une formalité ». À la fin de ses études secondaires, il se déclare athée. Dans son œuvre, cependant, qui comporte des accents prophétiques, il pose souvent les problèmes en termes théologiques. Max Brod (1884-1968), son ami et biographe, affirme qu’il faut ranger sa vie et son œuvre « dans la sainteté et non pas dans la littérature ». Kafka lui-même note dans ses carnets : « Écrire est une forme de prière. » Extrêmement exigeant à l’égard de lui-même, d’une franchise absolue et d’une très grande pudeur, il est hostile aux concessions, aux moyens faciles, aux affectations. Le seul critère de ses écrits est la vérité, si bien qu’ils paraissent toujours exemplaires et objectifs en dépit de leur extrême subjectivité.

Kafka commence à écrire vers 1897-98, « avec désespoir », dit-il dans son journal, conscient de sa singularité au sein d’une famille fermée à la création artistique. Il soumet ses manuscrits au jugement de son seul ami de lycée, Oskar Pollak, dont il se détachera dès 1903. En classe terminale, il découvre Nietzsche, qu’il lit avec enthousiasme. Promu bachelier en 1901, il fait son premier voyage hors de la Bohême et passe quelques semaines à Norderncy et à Helgoland. Puis il se met aux études de chimie, délaissées aussitôt, et assiste à des cours de droit romain, enfin à des cours d’histoire de l’art et de littérature allemande. Après un bref séjour à Munich, il retourne à Prague et reprend ses études juridiques, cédant ainsi à un désir de son père. À l’automne 1902, il fait la connaissance de l’écrivain Max Brod. Il est alors un grand lecteur de Goethe et de Flaubert ; durant toute sa vie, il garde une admiration inaltérable pour ces deux écrivains. Il se passionne également pour le Tonio Krőger de Thomas Mann, pour Hamsun, Hesse, Rudolf Kassner et Hofmannsthal. Les œuvres biographiques et autobiographiques le captivent avant tout. Au cercle du Louvre, il rencontre le philosophe Franz Brentano (1838-1917) dont les idées, par le truchement de son disciple Anton Marty (1847-1914), qui professe à Prague, exerceront une profonde influence sur lui.


Description d’un combat

C’est probablement vers la fin de 1904 que Kafka entreprit la première de ses œuvres qui nous soit conservée, la Description d’un combat (Beschreibung eines Kampfes). C’est un récit en plusieurs parties, dont deux morceaux ont été publiés en 1909 dans la revue Hyperion de Franz Blei (1871-1942), mais auquel Kafka semble avoir encore travaillé en 1910 et en 1911. Le thème du combat constitue un élément fondamental de toute la création littéraire de Kafka, traduisant le conflit intime de son existence et sa lutte sourde et tenace contre toutes les formes du pouvoir. De santé fragile, Kafka doit faire un séjour dans une maison de repos à Zuckmantel (auj. Zlaté Hory) en Silésie, pendant l’été 1905, puis une nouvelle fois en 1906. Il s’y éprend d’une jeune femme dont il cache même le nom. Ce n’est que dix ans plus tard qu’il évoque cette rencontre avec beaucoup de discrétion, dans une lettre à Max Brod. Peu après l’idylle de Zuckmantel, il rédige un récit, Préparatifs de noce à la campagne (Hochzeitsvorbereitungen auf dem Lande), resté à l’état de fragment.

Le 18 juin 1906, Kafka acquiert le titre de docteur en droit. Après une année de stage au tribunal, il accepte en octobre 1907 un poste d’auxiliaire dans la succursale pragoise de la Compagnie d’assurances générales de Trieste (Assicurazioni generali). Les conditions de travail y sont particulièrement défavorables, et Kafka quitte son emploi neuf mois après, pour entrer aux « Assurances ouvrières contre les accidents pour le royaume de Bohême », où il reste jusqu’à sa retraite anticipée en 1922. La vie de bureau, morne gagne-pain, lui pèse et représente l’empêchement majeur au plein épanouissement de son activité littéraire. Quand il doit consacrer provisoirement ses heures de liberté à une affaire industrielle familiale, Kafka se sent au bord du suicide, qu’il frôlera du reste à plusieurs reprises.


Amitiés

Bien que taciturne et réservé, Kafka ne refuse pas les rencontres avec quelques amis. Il fréquente le salon de Berta Fanta, où l’on voit alors des philosophes, des mathématiciens, des physiciens. Albert Einstein, qui faisait des conférences à Prague, se trouve souvent parmi les invités. Un des rares auteurs de langue allemande à avoir des contacts avec les écrivains tchèques, Kafka connaît Jaroslav Hašek, poète anarchiste, futur auteur du Brave Soldat Švejk. Il se lie avec le philosophe Martin Buber et les poètes Franz Werfel et Oskar Baum. Pendant ses brefs congés d’été, il entreprend des voyages avec Max Brod : excellent nageur et rameur, il fait avec son ami, en septembre 1909, un séjour idyllique à Riva, d’où ils font une excursion à Brescia pour assister à une fête d’aviation. Sur les instances de Brod, il écrit alors un article sur la Fête d’aviation à Brescia (Aeroplane in Brescia), qui paraît peu après. En octobre 1910, lui et Brod se rendent à Paris en compagnie d’Otto Brod, frère de Max, et du philosophe Felix Weltsch. La même année, une représentation théâtrale yiddish met Kafka en contact avec le milieu des Juifs polonais et russes. L’année suivante, à la deuxième session de la compagnie, il se lie avec l’acteur Jizchak Löwy, au grand déplaisir de son père. À la fin d’août 1911, il repart pour le sud, à Zurich, à Lugano, à Milan et revient à Paris.