Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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juridiques (sciences) (suite)

Pour Claude Lévi-Strauss*, le droit est éminemment rattaché au règlement des relations entre sexes. La prohibition de l’inceste notamment serait le soubassement de l’ordre juridique. La règle juridique n’est caractéristique que de l’ordre social humain, « le juridique étant l’élément universel du social ». En ce sens, l’anthropologue rejoint Léon Duguit, pour qui le groupement humain disparaîtrait de lui-même, précisément, si la norme juridique disparaissait.

• Du droit « privé » au droit « public ».

Formellement parlant, c’est-à-dire caractérisé par l’organe qui l’élabore, tout droit — pourrait-on dire aujourd’hui — est « droit public » et exceptionnellement « droit privé », alors que, dans les sociétés archaïques, l’élaboration du droit a été accaparée longtemps par des groupes privés. C’est seulement avec la primauté reconnue de l’État que l’élaboration du droit devient « fonction publique ». L’étape s’avère ici capitale.

• La sanction.

La sanction représente un des éléments caractérisant la règle de droit. Mais, si le phénomène est extrêmement visible en droit pénal (Durkheim* opposait celui-ci à toutes les autres branches du droit), il l’est beaucoup moins en d’autres branches du droit : le droit civil, hormis les dispositions d’« ordre public », que l’on ne peut en aucun cas transgresser, est surtout un « droit-cadre », créant des moules juridiques, des « formes » destinées à encadrer la vie des citoyens dans leurs rapports contractuels ; le droit constitutionnel n’apparaît guère davantage comme un droit sanctionnateur, non plus que le droit international public, pour des raisons différentes d’ailleurs. D’un autre côté, toutes les règles juridiques ne sont pas susceptibles de l’exécution forcée, par exemple en France les obligations à la charge de l’État, l’obligation pour l’employeur de réintégrer le travailleur licencié, etc.

• Les deux réseaux de normes.

L’école française de sociologie, avec Durkheim, a souligné les rapports existant entre la morale et le droit, distinguant seulement les règles du droit par leur précision plus grande, leur caractère spécifiquement organisé. Pour G. Gurvitch*, il y a rationalisation des valeurs morales, dont le droit refroidit la chaleur, et passage, ce faisant, à l’ordre juridique.

La délégalisation de certains domaines de la vie sociale apparaît a contrario (en germe, déjà, depuis la Renaissance) avec les temps modernes : une partie des relations humaines se « déjuridisent », les règles de la morale et de la religion tendant à n’être plus « du droit ». Les valeurs et les règles « politiques » tendent à faire l’essentiel de la norme juridique, de même que l’encadrement de la vie économique et des affaires (droit économique, droit du travail). Suite à la disparition de l’État théocratique, les normes de la vie religieuse et morale ont pris leur autonomie, elles échappent à l’attraction de droits positifs, eux profondément laïcisés, et se font indépendantes à leur égard : deux circuits normatifs coexistent en quelque sorte de ce fait.


Les édifices rendus caducs : l’évolution du droit

Un fait s’impose à l’historien du droit qui observe les sociétés occidentales du début du xixe s. au premier conflit mondial : cette période, couvrant une centaine d’années, est littéralement traversée par le trait — parfois fulgurant, parfois plus en grisaille — de la révolution protéiforme, commerciale, industrielle, financière, culturelle, qui caractérise ce temps et qui voit muter littéralement la société. Un fait majeur, dans l’histoire de l’Occident moderne et, notamment, de la France, est — au regard de la science juridique — que la nation a connu, avec les Codes napoléoniens de 1804, 1807, 1808, une réorganisation juridique sans précédent intervenant trop tôt. Prenant en compte une première évolution elle-même profonde mais limitée aux idées et aux mœurs, aboutissant à une refonte des institutions, cette réorganisation intervient après une révolution politique, mais à la veille de mutations absolument imprévues par les meilleurs penseurs du Consulat et de l’Empire : révolution mécaniste se développant au niveau de l’entreprise moderne, grandes conurbations, émergence de techniques bancaires et financières, changements idéologiques profonds comme la fin du primat de la propriété immobilière (primat sur lequel avait été construit le Code civil). Cette révolution, sociale et humaine, va, par la pression des faits sur les textes, faire apparaître les lézardes d’édifices rendus caducs, détériorer profondément les meilleures constructions des légistes de l’époque napoléonienne, faire éclater en morceaux l’œuvre entreprise.

Œuvre de reprise d’anciens textes en certains cas, de transition souvent, de réaction parfois par rapport aux textes de l’époque révolutionnaire, le Code civil (1804), le Code de commerce (1807), le Code pénal (1810), les trois « tables de la loi » de cette époque (le premier d’une conception remarquable et ayant, au xixe s., fait le tour de l’Europe), à peine promulgués, subissent la pression des faits, au cours d’années plus différentes du xviiie s. qu’elles ne le sont des années 1950 : ainsi, les « droits » vont être condamnés à une rapide obsolescence dans certains cas, à paraître insuffisants ou lacunaires dans d’autres.

• Trois exemples de changement.

• Le vieillissement de la procédure civile. La loi de la Constituante des 16-24 août 1790, déjà, prescrit qu’une réforme de la procédure* serait entreprise « incessamment », en vue de la rendre plus expéditive, plus simple, plus accessible à tous, moins coûteuse. Le Code de procédure civile en fait ne répond pas à ce souci de la législation révolutionnaire et est jugé, plus tard, une copie servile de l’ordonnance de 1667 et des pratiques du Châtelet de Paris. Un ensemble de textes déjà dépassés à la naissance, tel apparaît le Code de procédure civile de 1806.