Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

judaïsme (suite)

Mais ces deux attributs ne sont pas en conflit ; ils se complètent dans le gouvernement moral du monde, qui a besoin des deux. La justice implique que Dieu est un juge qui place l’humanité face à ses exigences et à ses jugements. Il se soucie des hommes, qu’il n’abandonne pas, mais qu’il rémunérera. Sa bonté fait de lui un rédempteur dont les jugements ne sont pas vengeance, mais volonté de libérer le monde de ses péchés et de son malheur pour le sauver et lui donner le bonheur. Cette activité providentielle de Dieu dans l’univers donne un sens à l’histoire du monde et à la vie de chacun. Ce qui arrive n’est donc pas le produit d’un jeu de forces aveugles et chaotiques. Tout est étape du jugement de la rédemption ; tout est dans le plan de Dieu omniprésent et omnipotent.

L’idée de la présence constante de Dieu se rend par le mot Shekhina (immanence). Cela signifie non pas que Dieu se confond avec la création, mais que sa Providence la couvre. Il n’est pas identique au monde ou limité par lui : « Il est le lieu (maqom) du monde, mais le monde n’est pas son lieu. » De là, l’utilisation par le Talmud du mot maqom pour désigner Dieu. Il est « notre Père qui est aux cieux », père à la fois proche et lointain ; il est proche de ses enfants qui sont sur la terre, tandis que son être transcendant est très loin et très haut. Dieu est incorporel ; c’est un pur esprit, échappant aux limitations et aux accidents de la matière. Il est omniscient et connaît les actes secrets de l’homme ainsi que ses pensées intimes. Il est éternel.

L’homme fait figure d’associé (Shoutaf) de Dieu en vue de l’accomplissement projeté. Cette coopération consiste à obéir à la loi morale, ce qui suppose une « imitation » terrestre des attributs divins de bonté, de justice et de miséricorde. La vie est une tâche assignée en vue du perfectionnement moral. L’homme doit se rendre de plus en plus apte à coopérer avec Dieu pour enseigner au monde la justice. Il doit y parvenir par l’imitation de la bonté et de la miséricorde divines.

Cela suppose une vision du royaume de Dieu, qui n’est pas dans l’au-delà, mais qui doit être réalisé dès ici-bas par l’homme sous la direction de Dieu. Cet effort n’est rien d’autre que ce qui se traduit en termes de justice personnelle et sociale. Le royaume de Dieu, pour le judaïsme, c’est la réalisation universelle de l’idéal de justice dans toutes les relations humaines.

C’est dans ce sens que ce monde est le « vestibule » (prosodos) de l’autre.

Le royaume de Dieu sera inauguré par le Messie, qui ne sera ni un être surnaturel, ni un Dieu pardonnant les péchés, mais un mortel, instrument de la réhabilitation d’Israël à posséder son antique patrie. Par l’intermédiaire d’un Israël restauré, le Messie régénérera toute l’humanité, dont chaque membre deviendra apte à être un sujet du royaume. Le règne de Dieu sera alors universel.

Le royaume messianique et terrestre ne fera que préparer l’avènement du « monde à venir » (Olam ha-ba) placé au-dessus de l’histoire et de la nature.

C’est à cet ordre de choses que sont étroitement associées les doctrines de la Résurrection et du Jugement dernier. Tout cela dépend de l’accomplissement terrestre de la volonté de Dieu, qui, de la sorte, n’oppose pas le terrestre au céleste, ni le temporel à l’éternel. Le second est l’aboutissement du premier. Aussi, bien que composé d’un corps terrestre et d’une âme céleste, l’homme est unité ; le terrestre et le céleste ont été unis pour former un être droit, capable de faire avancer la justice sur la terre ; l’homme coopère ainsi avec Dieu en vue d’une immortalité qui n’est pas une simple survivance posthume, mais un retour de l’âme à sa patrie, où elle continuera à cultiver et à approfondir une relation avec Dieu rendue manifeste ici-bas.

La coopération avec Dieu ne souffre pas de différences entre les hommes, les classes et les nations. Toute la différence est dans le caractère de la contribution. Celle d’Israël doit être plus complète et plus élevée, car il a été choisi par Dieu et chargé de faire progresser la justice en obéissant à la Torah, dans laquelle se trouve révélée la volonté morale de Dieu. S’abstenir de répondre à l’appel de Dieu lui est une offense, qui fait que l’on se sépare de lui, avec toutes les conséquences d’une telle sécession. Mais le repentir et la pénitence peuvent être une réparation et une restauration des liens brisés. Cette restauration se passe de médiateur.

Le judaïsme nie l’existence du « péché originel » ; il professe le libre arbitre, donc le libre choix de la vertu ou du péché. Ce qu’a provoqué la faute d’Adam, c’est seulement la mort physique ; le retour à Dieu, après le péché, fait que là « où les pécheurs repentis se tiennent, les justes accomplis sont incapables d’accéder ».

La relation entre le péché et la souffrance n’est pas expressément définie ; tout est dû à l’insondable volonté de Dieu, dont les « jugements ne sont pas comme ceux des hommes ». Tout ce que l’on affirme, c’est la certitude d’une rémunération dont on ignore les modalités. Il en est de même pour la rétribution après la mort ; on parle d’une « Géhenne » (Gehinnom) et d’un lieu bénit (Gan Eden : « Jardin délicieux »), sans plus de détails. Au Gan Eden, les justes, nous dit-on, goûtent la présence divine et la vie éternelle ; cela est réservé non seulement à Israël, mais aussi « à tous les justes des Nations du monde », car le salut ne dépend que de la bonne conduite. Celle-ci comporte au moins l’observance des sept lois déjà révélées à Noé : refus de l’idolâtrie, du blasphème, de l’inceste, du meurtre, du vol, de la consommation des membres arrachés à un animal vivant et ordre de pratiquer la justice.

Tout homme qui vit en accord avec ces sept préceptes coopère déjà avec Dieu ; peu importe sa religion, pourvu qu’il ne soit pas idolâtre ; c’est pourquoi l’on a peu souci de convertir l’humanité au judaïsme, dont, en vertu de sa vocation sacerdotale, les pratiques ne sont destinées qu’à Israël. Aussi, lorsque apparurent le christianisme et l’islām, Israël reconnut-il que ces religions étaient capables de répandre les lois de Noé.