Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jouve (Pierre Jean)

Écrivain français (Arras 1887).


Une enfance « généralement triste », une adolescence tourmentée, des « études sans aucun relief » et une grave opération à l’âge de seize ans favorisant son « agoraphobie » ne donnent « aucune promesse d’un écrivain ». Son sens artistique se manifeste par de longues improvisations au piano, enseigné par sa mère.

À l’âge de vingt ans, Jouve écrit ses premiers poèmes et fonde une revue, les Bandeaux d’or. Il subit l’influence des symbolistes et surtout celle des unanimistes. Il fréquente les hommes de l’Abbaye par « besoin de protester par une littérature humaine contre les déliquescences ». Pendant la Première Guerre mondiale, il est infirmier volontaire à l’hôpital des contagieux de Poitiers. Menacé de tuberculose, il est envoyé en Suisse, où il fait la connaissance de Romain Rolland. Il cherche toujours à « inventer sa propre vérité », essayant de se dégager des influences de sa jeunesse, pleine de « réserves mentales ». Attiré momentanément par le cubisme et le dadaïsme, il les refuse encore « par liberté et désir de vraie profondeur ».

En dehors des mouvements contemporains, contraint de trouver par lui-même sa propre voie, il persévère, et au cours d’une crise décisive (1922-1925) s’opère en lui une « conversion à l’idée religieuse », qui concilie enfin la religion intransigeante de son enfance et la poésie (liberté) découverte depuis peu. Jouve ressent le « besoin d’un contenu religieux de la poésie ». Après avoir renié ses œuvres antérieures, il prend en 1925 un nouveau départ, à mi-chemin entre le faire de la poésie et le fait de la religion, qu’il réconcilie dans une subtile dialectique.

Sa poésie, ses romans sont en effet parcourus par la hantise de la faute. Mais, après avoir longtemps lutté contre cette idée, Jouve finit par l’accepter comme une fatalité. Elle est même nécessaire : « Sans horreur pas d’amour / Pour amour aussi crime. » Il revient au pouvoir du verbe de sublimer l’amour coupable de désir et à la mort de réaliser dans sa totalité l’union de la chair et de l’esprit, union dans laquelle s’effectue le dépassement de l’homme par l’homme. La faute assumée s’élimine dans la transgression des limites pour parvenir à la connaissance « des milliers de mondes intérieurs du monde de l’homme », passant ainsi de la « nuit obscure » à la « rosée de l’origine ». Jouve prospecte poétiquement le monde de l’inconscient, qu’il a découvert en lisant Freud. Et, si une grande partie de son œuvre est consacrée au roman (romans écrits entre 1925 et 1935), c’est pour incarner dans des personnages sa recherche et satisfaire « un fort désir de réel [qui] ne trouvait pas toute son issue dans la poésie ».

La Seconde Guerre mondiale affecte Jouve, qui s’exile en Suisse. La guerre terminée, il sera long à sortir de cet « état d’exil intérieur et de proscription ». Il poursuit cependant son œuvre dans la ligne qu’il s’était fixée une fois pour toutes, ne faisant que l’approfondir toujours davantage et la déployer, travaillant à des essais où, en critique cette fois, il continue de prouver son attachement à la musique, qui l’avait préparé à accomplir le chant de la poésie.

M. B.

 J. Starobinski, P. Alexandre et M. Eigeldinger, Pierre Jean Jouve, poète et romancier (Zeluck, 1946). / R. Micha, Pierre Jean Jouve (Seghers, 1956 ; nouv. éd., 1971). / C. Blot, Relation de la faute, de l’Éros et de la mort dans l’œuvre romanesque de Pierre Jean Jouve (la Pensée universitaire, Aix-en-Provence, 1961). / M. Callander, The Poetry of Pierre Jean Jouve (Manchester, 1965). / Pierre Jean Jouve (l’Herne, 1972).

Jouvenet (Jean)

Peintre français (Rouen 1644 - Paris 1717).


Bien qu’il n’en soit nullement un spécialiste exclusif, Jouvenet est le principal représentant de la peinture religieuse en France à la fin du xviie s. et au début du xviiie. Né dans une vieille famille d’artistes apparentée à celle des Restout*, il vient dès l’âge de dix-sept ans à Paris. Ses années de formation restent obscures, mais elles sont marquées par la leçon de Poussin, comme le prouve l’Esther et Assuérus qu’il présente à l’Académie en 1673 comme morceau de réception (musée de Bourg-en-Bresse). Les débuts de sa carrière officielle, à partir de 1669, se font sous la protection de Le Brun, dans des entreprises décoratives modestes au château de Saint-Germain-en-Laye, puis aux Tuileries. Jouvenet atteint la notoriété autour de 1673-1675, en participant au décor du salon de Mars au château de Versailles (conservé mais repeint) et en peignant un mai pour Notre-Dame (le Christ et le paralytique, détruit, connu par des gravures et des copies). Entre 1675 et 1685, il semble avoir peint surtout des plafonds et des œuvres décoratives dans des hôtels parisiens, dont il ne reste à peu près rien (Sacrifice d’Iphigénie, musée de Troyes, ancien dessus de cheminée de l’hôtel de Saint-Pouange). Il peindra encore quelques tableaux mythologiques pour le roi (Zéphyr et Flore, 1688, Grand Trianon ; Apollon et Téthys, 1701, Grand Trianon ; Latone et les paysans de Lycie, 1701, château de Fontainebleau), d’un coloris vif et varié, et un certain nombre de portraits, d’un réalisme intense et dépouillé (Finot, Louvre ; Bourdaloue, Munich ; les deux vers 1704), mais la plus grande partie de son œuvre sera désormais religieuse. Il peint de nombreux tableaux d’autel pour des églises de Paris (Martyre de saint Ovide, 1690, musée de Grenoble) ou de province (Annonciation, 1685, musée de Rouen ; Mariage de la Vierge, 1691, musée d’Alençon), dont le coloris, simplifié, à base de brun, sert à mettre en valeur quelques taches vives. En 1694-95, il peint le décor, conservé, d’une salle du palais de justice de Rennes, dont il reprendra, en l’agrandissant, la partie centrale pour le parlement de Rouen (Triomphe de la Justice, 1712, détruit, esquisse achevée au musée de Grenoble). Sa gloire est achevée par la Descente de croix (1697, Louvre), grande page dont le dynamisme est soigneusement agencé, et par les quatre tableaux géants peints pour l’église Saint-Martin-des-Champs et posés en 1706 (Résurrection de Lazare et Pêche miraculeuse, Louvre ; Repas chez Simon et Christ chassant les marchands du Temple, musée de Lyon). Leur ordonnance grandiose est toute classique, mais renouvelée par la franchise de l’exécution et l’attention au détail réaliste. Peu après, Jouvenet, qui a travaillé au décor de l’église des Invalides (Apôtres, conservés, esquisses au musée de Rouen), participe à celui de la chapelle de Versailles (1709) ; la Pentecôte qu’il peint au-dessus de la tribune royale est magistrale par la clarté de la composition et son adaptation à la forme compliquée de l’architecture. En 1713, Jouvenet perd presque complètement l’usage de la main droite, mais continue à peindre, notamment deux de ses tableaux les plus connus : la Mort de saint François (1714, musée de Rouen) et le Magnificat (1716, Paris, Notre-Dame), où triomphe, juste avant sa mort, l’énergique simplicité de son style. Jouvenet a occupé une position brillante (il a été recteur, puis directeur de l’Académie), mais n’a formé qu’un seul élève notable, son neveu J. Restout.

A. S.

 F. N. Leroy, Histoire de Jouvenet (Didron, 1860). / Catalogue de l’exposition Jean Jouvenet (musée de Rouen, 1966).