Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Johnson (Lyndon Baines)

Homme d’État américain (près de Stonewall, Texas, 1908 - près d’Austin, Texas, 1973).


Lyndon Baines Johnson est issu d’une famille de fermiers. Ses parents disposaient d’une petite aisance ; son père avait été élu cinq fois à la législature de l’État et connaissait bien Samuel Taliafero Rayburn (1882-1961), le futur speaker de la Chambre des représentants. Le jeune Lyndon ne fit pas de longues études ; s’il les reprit en 1927, ce fut dans un médiocre collège, où il apprit le métier d’enseignant. De sa jeunesse, il devait garder une certaine méfiance, mêlée d’envie, à l’égard des patriciens et des intellectuels du Nord-Est.

Dès 1931, il fait carrière dans les coulisses de la vie politique. Secrétaire d’un « congressman », il séjourne à Washington, noue des contacts étroits avec Rayburn, puis, après 1933, avec l’entourage du président. En 1935, Franklin Roosevelt le nomme directeur pour le Texas de l’Administration nationale de la jeunesse (NYA). L’année suivante, il se présente aux élections législatives, est élu à la Chambre des représentants, où il siège jusqu’en 1948 — avec une interruption en 1941-42, au cours de laquelle il sert dans la marine. Dans cette assemblée, il apparaît comme un « new dealer » convaincu, soucieux d’obtenir des crédits fédéraux pour sa circonscription, partisan d’une vigoureuse politique de défense. Sous la présidence de Truman, il évolue toutefois vers la droite et approuve la loi Taft-Hartley Labor Act en 1947.

Après une première tentative infructueuse en 1941, il est élu au Sénat en 1948 ; il conservera son siège jusqu’à 1961. Il fait partie du Comité des services armés et reproche au président de ne pas mener assez énergiquement la guerre de Corée. En 1951, il est élu « whip » du groupe démocrate, c’est-à-dire chef adjoint ; deux ans plus tard, il accède au poste de « leader ». Les démocrates sont alors en minorité au Sénat. En 1955, la situation change : Johnson devient le « leader » de la majorité. Cette fonction lui confère des responsabilités considérables. Non seulement le « leader » participe à la désignation des membres des comités — et peut ainsi se créer sa clientèle —, mais c’est lui qui tient entre ses mains la réussite ou l’échec des projets de lois. Johnson est persuadé que la Maison-Blanche est la principale source d’initiative législative ; son but sera donc de collaborer avec le président Eisenhower*, même si celui-ci appartient au parti républicain. Cette collaboration donne des résultats. Johnson sait, en effet, charmer, voire cajoler, flatter, récompenser ou punir, rendre des services. Il manie à merveille l’art du compromis. C’est ainsi que, pour faciliter le vote de censure qui va frapper Joseph McCarthy, il souligne combien la conduite du sénateur, plus que son anticommunisme pathologique, déshonore la haute assemblée ; beaucoup manifestent dès lors moins d’hésitation à accorder leur voix. En 1957 et en 1960, Johnson parvient à réconcilier les deux factions de son parti pour faire passer deux lois sur les droits civiques. Dès cette époque, il nourrit de solides ambitions, que sa femme, « lady Bird », entretient. Il a quelques idées politiques : défendre la démocratie, lutter contre la pauvreté, assurer une égalité des chances ; un vibrant patriotisme sous-tend son action ; Johnson éprouve une grande admiration pour Roosevelt.

En 1960, il ne parvient pas, lors de la convention démocrate de Los Angeles, à l’emporter sur John Kennedy*. Toutefois, à la surprise de tous, il accepte d’abandonner son poste important de « leader » pour celui de vice-président — que l’on considère généralement comme une voie de garage. Il reçoit quelques missions en politique étrangère et intérieure, mais le régime présidentiel lui interdit de se faire trop d’illusions sur son rôle. Pour lui, ce sont des années de frustration.

L’assassinat de Kennedy, le 22 novembre 1963, le pousse soudainement au premier rang. Mais sa position est délicate. Les milieux libéraux se méfient de lui ; dans l’entourage de Kennedy, on le traite bien injustement en usurpateur ; tous les Américains ou presque célèbrent la gloire d’un président plus grand mort que vivant. Habilement, Johnson emploie l’année 1964 à réaliser le programme législatif de son prédécesseur ; il fait voter par le Congrès, le 2 juillet, une première loi sur les droits civiques (elle sera complétée en 1965) et l’allégement fiscal qui doit relancer la croissance économique. Aussi remporte-t-il les élections présidentielles avec une majorité qu’aucun candidat n’avait encore atteinte ; la faiblesse et l’extrémisme de son adversaire, Barry Morris Goldwater (né en 1909), ne sont pas étrangers, il est vrai, à ce triomphe.

À partir de 1965, Johnson cesse d’être le légataire ; le peuple l’a choisi pour ses propres mérites. On attend de lui qu’il réalise la « Grande Société », un programme ambitieux de réformes qu’il a évoqué en termes vagues au cours de la campagne électorale. Encore une fois, Johnson réussit là où Kennedy avait échoué : le Congrès accepte d’instituer l’assistance médicale gratuite aux personnes âgées (le Medicare, 1966), d’allouer plus de crédits fédéraux aux écoles, à la santé publique et au budget de l’aide sociale.

Pourtant, le président ne restera pas longtemps populaire. La guerre du Viêt-nam bouleverse complètement la vie politique. Johnson a hérité de son prédécesseur une situation embrouillée ; à son arrivée au pouvoir, 16 000 Américains participent déjà aux combats. Après l’incident, réel ou imaginaire, du golfe du Tonkin (août 1964), Johnson décide de bombarder le Viêt-nam du Nord en guise de représailles, puis, en 1965, les bombardements vont devenir systématiques. Les troupes expédiées en Indochine s’accroissent : 180 000 hommes en 1965, 400 000 en 1966, 1 demi-million en 1967. Johnson craint de perdre toute l’Asie du Sud-Est en abandonnant le Viêt-nam du Sud et ne veut pas d’un Munich asiatique ; il espère pousser les communistes à la négociation. Si on lui reproche, du côté des « hawks » (faucons), de ne pas mener une politique assez dure, les « doves » (colombes) se font plus nombreux. Les libéraux, les Noirs, les étudiants abandonnent le président. À partir de la fin de 1967, les manifestations d’hostilité sont telles que le président ne peut plus guère apparaître en public. L’inflation exerce sur le niveau de vie des Américains des effets sensibles, puis dévastateurs. Pour mettre sur pied la « Grande Société », les moyens commencent à manquer ; les émeutes raciales se multiplient entre 1965 et 1968. À l’étranger, l’anti-américanisme retrouve sa vigueur d’avant 1960 ; l’Europe, dont Johnson ne s’est jamais beaucoup occupé, prend ses distances, et de Gaulle, en 1966, porte à l’O. T. A. N. un coup très dur. Seules les relations avec l’Union soviétique demeurent satisfaisantes ; en 1968 est signé le traité de non-prolifération des armes nucléaires.