Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

jeunesse (la littérature pour la) (suite)

Mêlés aux eaux mortes de cette littérature, ou gardant une relative indépendance par rapport à elle, apparaissent bientôt des courants vivifiants.
1. Un certain nombre de grandes œuvres pour adultes choisies par les enfants eux-mêmes. Les pédagogues finiront par valider ces choix, qui deviendront peu à peu de véritables prototypes. Ainsi Robinson donnera naissance à d’innombrables « robinsonnades ».
2. Les résurgences et les adaptations créatrices du répertoire populaire. Dans chaque pays, la littérature de voie orale a largement précédé l’autre et la domine de sa qualité. L’éveil des nationalités, au xixe s., multipliera et approfondira ces redécouvertes.
3. Le courant humaniste inspiré par le progrès des sciences, et plus spécialement des sciences humaines. Il enrichit la littérature pour la jeunesse d’œuvres originales, spécifiques, diversement orientées en apparence, mais très proches par leur volonté de parler à l’enfant de ce qui l’intéresse vraiment et dans un langage qu’il puisse comprendre. Leurs thèmes récapitulent et analysent les schémas fondamentaux de la situation enfantine : besoin de sécurité, rapport continuellement remis en question entre ce qui est grand et ce qui est petit, réflexion sur les pouvoirs du langage et de la science.


Crise de croissance ?

À la mort de J. Verne, en 1905, la littérature pour la jeunesse s’est constituée en domaine spécifique, mais des facteurs historiques nouveaux interviennent qui vont lui faire subir une véritable mutation.
1. La poussée démographique, le recul de l’analphabétisme et le progrès de la scolarisation élargissent sans cesse son public.
2. La révolution technique transforme ce secteur, qui est resté longtemps artisanal, en industrie livrée à la concurrence et à la loi du profit maximal. Les entreprises se concentrent rapidement.
3. L’apparition des mass media (cinéma, radio, télévision) et le développement du sport entraînent un nouveau découpage du temps que l’enfant consacre au loisir.
4. Le développement de la pensée socialiste et celui des mouvements ouvriers aboutissent, dans chaque pays et au niveau mondial, à la constitution de deux « blocs », l’un « libéral », l’autre « communiste ». La littérature pour la jeunesse, secteur restreint mais important puisqu’il touche à l’éducation, donc à l’avenir, reflète cet affrontement idéologique.

Dans les pays « socialistes », les livres pour enfants sont plus ou moins directement contrôlés par des organismes d’État. Leurs principaux thèmes sont le choix d’un métier, la participation des jeunes à la défense et à l’édification d’une société meilleure, l’aventure scientifique. Autres caractéristiques : une critique discrète du « merveilleux » de type ancien et un développement considérable de la science-fiction. Jules Verne, traduit in extenso, garde son audience et l’élargit, à la fois exemple et best-seller. Dans l’ensemble, c’est une littérature de haute tenue, mais qui est menacée par les défauts de ses qualités : politisation parfois prématurée, excès de didactisme.

Dans les pays « de l’Ouest », les publications pour enfants, bien que suivies par des comités officiels de surveillance, restent dans le secteur privé. Les sujets qui abordent les problèmes sociaux, politiques ou idéologiques sont considérés comme « litigieux » et écartés : ils pourraient diviser le public et nuire à la vente. On se borne donc à satisfaire les goûts exprimés par les enfants et qui souvent sont le simple reflet de ceux des adultes (romans policiers ou d’espionnage). Cette orientation vers le pur divertissement a développé une importante « littérature de consommation », qui peut être utile pour habituer l’enfant à la lecture rapide, mais qui devient dangereuse s’il s’y limite. Retenu par un suspense formel, il s’accoutume à la passivité et, comme son alphabétisation est encore récente et fragile, il régresse peu à peu vers les bandes dessinées, les « comics » et les cinéromans. Ainsi — phénomène qui semble typique de notre époque d’« acculturation accélérée » — se fraie le chemin de la « désalphabétisation », qui mène directement de la littérature enfantine à la littérature infantile.

Inquiets de cette évolution, un certain nombre d’éducateurs et d’artisans du livre pour la jeunesse se sont efforcés de réagir. Parmi les initiatives les plus intéressantes, il faut retenir les suivantes.
1. Les écrivains s’efforcent d’aborder des sujets nouveaux, souvent très actuels et qui initient de manière objective le jeune public aux problèmes fondamentaux du monde qui sera le sien (par exemple la défense de la paix, la lutte contre le racisme, la question sociale, etc.). Parallèlement, l’exploitation systématique du trésor folklorique de chaque pays se poursuit et s’intensifie. Autre signe non négligeable : les grands et les bons écrivains pour adultes sont de plus en plus nombreux à écrire pour les enfants. Ainsi, dans ce dernier demi-siècle, en France, M. Aymé, H. Bosco, M. Druon, G. Duhamel, P. Éluard, P. Gamarra, M. Genevoix, F. Mauriac, A. Maurois, A. de Saint-Exupéry, C. Vildrac.
2. D’importantes recherches sont poursuivies dans le secteur de l’album pour les plus jeunes (ainsi, à partir de 1931, les réalisations de l’atelier du père Castor, animé par Paul Faucher et inspiré des travaux des pédagogues tchèques L. Havranek et F. Bakule).
3. La littérature encyclopédique et de vulgarisation pour la jeunesse, rapidement considérée comme une « valeur-refuge », se développe.
4. Une nouvelle politique de la lecture est entreprise. Au lieu d’attendre que l’enfant vienne au livre, on s’efforce d’amener le livre à l’enfant, ou tout au moins de lui en rendre l’accès facile et attrayant (multiplication des points de vente et de lecture, bibliobus, bibliothèques spécialisées, comme celles de l’Heure joyeuse ou de Clamart, techniques d’animation).
5. Des organismes nationaux ou internationaux de recherche et de « promotion » sont créés, et des prix littéraires institués (John Newbery aux États-Unis, Carnegie medal en Grande-Bretagne, Nils Holgersson en Suède, Jeunesse, J. Macé, du Salon de l’enfance, de l’O. R. T. F., C. Perrault en France). Le prix H. C. Andersen, sorte de Nobel pour livres d’enfants, est décerné tous les deux ans depuis 1956 par l’International Board on Books for Young People.